Flashback hiver 2006 / PTV Nour Senghar
C'est une journée de cours tout à fait lambda. L'approche des fêtes de fin d'année commence à secouer les esprits de Colombes. Pour ma part, je m'en carre. Chez nous, fêter noël, c'est une grande chimère dont on ne prend pas part. Ou tout du moins seulement du bout des doigts. On continue de s'entraîner dans le froid et ça devient de plus en plus éprouvant, les mains gelés, je ne lâche pourtant pas l'objectif de ma vie. Le cours de français s'éternise. J'ai envie de lâcher le fil. Mais je résiste. Il me faut mon diplôme avant de prétendre à une carrière professionnelle. Donc, pragmatique, je me résigne à écouter la prof déblatérer sur je ne sais quel recueil à l'histoire éclatée au sol. Ma camarade de table semble prendre des notes, attentive et ailleurs à la fois. Je me demande bien ce qu'elle trouve d'intéressant à tout ça. Ses cheveux s'éparpillent sur sa feuille, je ne vois rien de ce qui est écrit. Discret, j'essaye de sonder son humeur de jour. Se peut-il qu'elle soit aussi taciturne que moi ?
La cloche marque la fin de ce calvaire. Je rassemble mes affaires calmement. L'entrainement commence dans trente minutes, j'ai largement le temps de m'y rendre à pied. Mara semble pourtant bien plus impatiente d'en finir avec sa journée. Ses gestes sont brusques et imprécis. Devant moi, elle laisse échapper un sachet de son sac. Le plastique fracasse le sol sans un bruit. De l'herbe. Pure.
J'aurais pensé qu'elle occupait ses soirées différemment.
Quand elle s'aperçoit que j'ai tout vu, elle déguerpit à la vitesse de l'éclair. Je ne sais pas ce qui traverse mon esprit à cet instant précis, ni pour quelle raison je m'élance à sa poursuite, mais c'est instinctif. La savoir sous la coupe d'une addiction, ravive chez moi des souvenirs douloureux. Il n'y a pas grand chose que je sais d'elle, mais j'ai une certitude, elle mérite mieux comme avenir que de rester coincer dans ce trou à rat, rongée par la drogue.
Je saisis sa main à la volée, le geste est brutal. J'ai envie de la retenir contre moi. Au lieu de ça, je la gifle de mes mots peu rassurants. J'agis comme un sale type, mais c'est mieux ainsi. Elle me regarde une dernière fois, dédaigneuse et s'en va.
Ça c'est la nature de nos rapports depuis toujours. Jamais je ne me serai attendu à la voir débarquer sur le terrain d'entrainement à la tombée de la nuit quelques jours plus tard. C'est elle qui s'approche à grand pas de moi. De ce moment-là, je saisis ce geste comme une invitation. Une invitation à la revoir autant de fois qu'elle le désire.
C'est ce qu'elle m'offre. Chaque soir. Par tous les temps. Peu importe ce qui se passe autour de nous. Sans aucune considération pour les autres. Il n'y a que nous deux. On dribble, on apprend à s'apprendre, on rit et ils nous arrivent parfois de nous observer dans un silence qui nous ressemble. Je bois chacune de ses paroles, j'examine chacun de ses gestes, j'analyse ses non-dits avec beaucoup d'intérêt. J'aimerai arrêter le temps. J'ai peur de passer à côté de quelque chose. D'elle. De nous. Je crois que c'est moi qui tombe amoureux en premier. Évidemment que je ne lui avoue rien. J'ai peur de franchir une limite. Peur qu'elle me regarde différemment. Elle m'apaise. Ses iris verts plantés dans les miens sont une source sans fin de consolation. Elle manquait à ma vie, sans que je ne le sache. Parfois, mon coeur bat si fort que j'ai peur qu'elle ne le remarque. Je sens qu'elle étudie elle aussi mes gestes, mon physique, ma bouche. Et j'aimerai qu'elle pose la sienne sur la mienne. Mais nos distances sont encore bien marquées. Je ne connais pas la nature de ses sentiments pour moi, la seule question que je me pose sans cesse c'est : est-ce qu'elle aussi elle ressent ce que moi je ressens ?
Parfois, je m'en veux d'apprécier autant sa présence. J'ai l'impression d'être assailli par le manque alors qu'elle est là, à mes côtés. Étrange. Comme si déjà, elle était partie loin de moi. Je m'étais pourtant juré de ne pas tomber dans le panneau. J'ai foutu les deux pieds dedans. Ça ne m'empêche pas de réaliser d'excellentes performances chaque week-end. Peut-être que chaque victoire, c'est la notre au final. Tsst... qu'est-ce que je raconte ?
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Soisek - dix ans plus tard - | Terminée |
ChickLitSoisek Mara est journaliste sportive pour un grand quotidien national. Déterminée, calme, mélancolique, elle partage sa vie entre son job et ses quelques amis, une existence normale qui cache souvent des tourments enfuis. Et lorsque le meilleur jou...