26. Senghar, la nuit

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C'est Rafi qui ouvre la porte du grand appartement dans lequel nous sommes entrain de pénétrer. À la vue du Hall, je sais d'avance que ce n'est pas lui, l'hôte de la soirée. L'immense sas d'entrée jure par un luxe dont je n'ai pas les codes. Ça en dit long, sur la suite de la visite. En faisant quelques pas à l'intérieur, on se retrouve rapidement dans un immense séjour, parfaitement décoré. Un écran plasma et un canapé plus size, viennent réchauffer la pièce. Tout ici est millimétré comme dans un magasine de déco. Les mêmes bouts de papier qui prônent le confort domestique quand la plupart des lecteurs ne sont pas foutus de se payer ne serait-ce qu'un porte manteau. De longues baies vitrées donnant sur une terrasse extérieure ornée de plantes, offre un cadre idyllique à un emplacement en plein milieu de la Capitale. Jamais de ma vie, je n'avais pénétré dans un endroit aussi fastueux.

Un lot de convives s'agglutine autour du bar délimitant la cuisine du reste du salon. Pour certains, je les connais sans même qu'on ait besoin de me les présenter. Plusieurs coéquipiers de Senghar, s'offrent la boisson de la victoire, faisant péter les bouchons de Veuve Clicquot, comme on décapsulerait une bière bon marché. On ne fait pas partie du même monde. J'ai beau côtoyer de près des sportifs de haut niveau, j'ai toujours mis une distance suffisante pour ne jamais être témoin de leur vie extra-sportive. C'est là que je prends conscience que pour eux, rien n'est un frein. Ce qu'ils engrangent sur une saison en club, vaut autant que le PIB de l'Ouganda. Dire que les inégalités n'existent pas, c'est un leurre. Et j'en ai la preuve, sous mes yeux.

Pour Ugo et Sélim, tout ça, ne semble pas si ostentatoire. Combien de soirées ont-ils fait à côté de ces stars du ballon rond trop friquées pour être capable de passer une soirée sans strass et paillettes ? Ils veulent la lune, on l'a leur donne. Ils veulent qu'on les regarde, alors tout le monde les laisse briller.

J'ai l'impression d'être dans ma première intronisation à quelque chose qui m'échappe totalement.

Rafi s'avance lentement vers moi et me tend une coupe du sésame à peine ouvert. Son regard est doux, comme souvent. Il ne semble pas étonner de ma présence ici. Il approche doucement son verre du mien et nous trinquons tièdement à ce je ne sais quoi qui noue lie. Si il est là pour la victoire du SCP, je me questionne sur mes intentions. Qu'est-ce que moi je célèbre au fond ?

Perdue dans cette vaste pièce, pleine de beau monde, mes yeux vagabondent de droite à gauche. En réalité, je cherche l'élu. L'homme du match, celui par qui la victoire s'est imposée comme une normalité. Je finis par le trouver. Dans la pénombre de la terrasse, sa couleur chocolat se fond dans la nuit. Seul son survêtement beige et bleu donne un coup d'éclat au tableau qui se dessine sous mes yeux. Avachi sur le canapé d'extérieur, un pied posé sur la table basse devant lui, ses doigts caressent sa lèvre inférieure, tandis que son autre jambe bat de la cadence. Son éternel casquette est vissé sur ses cheveux désordonnés, cachant son regard profond et abrupt. De là où je me trouve, je ne vois que ses lèvres bouger au rythme de ses paroles. Ses joues se contractent pour laisser place à un sourire taquin. Il est rieur, enjoué, léger. À peu près tous les adjectifs que je ne lui connais pas, d'ailleurs. Ses interlocuteurs sont suspendus à chacun de ses mots. Il mène la danse, s'approprie le discours, refait le match à sa façon. Senghar est en terrain connu. Et si je me réfère à mon pressentiment de départ, je crois bien qu'il est ici chez lui. Ça sonne plutôt comme une évidence. Encore plus quand mes yeux s'accrochent à la photo encadrée sur la commode du salon. Senghar, enfant, entouré de sa mère, son frère et ses deux sœurs. Le souvenir d'un bonheur, lointain.

Lorsque son visage se tourne vers moi, je tressaille. L'impression d'avoir été prise sur le fait. J'attends que l'atmosphère se glace, mais il n'en est rien. Il hoche sa tête dans ma direction – un geste qui sonne comme une salutation. Et reprends sa conversation, là, où il semble l'avoir arrêté quelques secondes plus tôt.

Soisek - dix ans plus tard -  | Terminée |Où les histoires vivent. Découvrez maintenant