10. Malmener l'ennemi

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Les joueurs commencent la séance par quelques tours de stade en trottinant. Les muscles s'échauffent en douceur pour leur permettre de donner le maximum d'énergie pendant les deux prochaines heures. Senghar court en tête de gondole, parfaitement à l'aise dans l'exercice.

Là dedans, mon rôle ne sert pas à grand chose, je l'admets. J'observe les membres du SCP se donner sur la pelouse en préparation aux prochains matchs de championnat. Je décèle qui est en forme physique et qui ne l'est pas. J'émets des réserves sur quelques joueurs, je m'impressionne de certains beaucoup plus discrets. Pendant ce temps là, je quitte Nour des yeux pour me focaliser sur ma mission principale. Le temps semble filer à une vitesse vertigineuse.

La séance touche à sa fin. Pour parachever l'entrainement et être prêt pour le match que le SCP disputera demain soir, le coach ordonne une série de tirs au but. Les buteurs sont donc alignés les uns derrière les autres, afin de réaliser quelques frappes dans le filet. L'objectif ? Mettre un maximum de ballons à l'intérieur de la cage, en détournant l'attention du gardien. C'est le moment que Senghar préfère. Adolescent déjà, il passait des heures à leurrer le goal dans l'espoir de réussir à battre ses records personnels.

Mon regard se reporte automatiquement sur lui. Je connais son appétence pour la mission. Instantanément, mes yeux se figent sur les mouvements de son corps . Sa démarche est assurée presque féline. Je le sens jauger la situation d'un œil expert. Ses jambes se mettent en activité, il trépigne sur place. Toute la difficulté de cet exercice est de savoir comment surprendre le portier. Si Senghar est un spécialiste en la matière, c'est surtout parce que son degré de polyvalence rend ses frappes impossibles à deviner. 1% de la population mondiale ne bénéficie d'aucune latéralisation et il en fait partie. En d'autres termes, on ne peut prévoir à l'avance qui de son pied droit ou gauche va se mettre en action pour tirer. L'avantage d'être capable d'utiliser ses deux axes sans ressentir l'once d'un malaise, c'est que le gardien en face de lui, est dépourvu de toute anticipation. Si il sait que Senghar préfère tirer de l'intérieur du pied, il n'est pas à l'abri de se faire surprendre.

Alors l'attaquant du SCP en joue plus que de raisons, lors des matchs, mais aussi à l'entrainement. Et quand il s'élance enfin, c'est bien son pied droit qui vient percuter le ballon. La force de son geste projette la balle en haut à gauche de la cage. Le gardien, lui, plonge à l'opposé. 

Senghar s'élance vers les tribunes vides, l'air victorieux. Il a marqué. Ce qui semble n'être qu'un simple jeu entre coéquipiers, veut dire tellement plus pour lui. Asseoir son statut d'invincible. Voilà, ce pourquoi il se lève le matin.

L'entrainement est officiellement terminé. Et je suis forcée de constater que Senghar, encore une fois, a démontré tout son talent et son brio. Deux petites heures qui m'ont parues n'être qu'un festival en son honneur. Je ne peux pas l'expliquer, mais j'ai la rage au bord des lèvres et c'est profondément pathétique. 

En attendant que le monde se disperse ici et là et retourne vaquer à ses occupations, je décide de rester campée sur mon siège. J'en profite pour jeter un coup d'œil à mes confrères, qui se sont empressés d'approcher les joueurs pour récolter deux, trois informations sur le match de demain. Quant à moi, je fais profil bas. J'observe Nour s'avancer et répondre aux questions des journalistes avec enthousiasme. La seule chose que je souhaite à ce moment-là, c'est qu'il disparaisse vite de mon champ de vision en rejoignant les vestiaires. C'est ce qu'il fait, empruntant alors le chemin vers la sortie du stade. Je pousse un profond soupir de soulagement.  

Au bout de quelques dizaines de minutes, la pelouse est complètement vide. Je m'assure que la foule ait disparu pour descendre l'estrade. Soulagée de constater que Martin ne m'attends pas pour commérer. Je n'ai qu'une envie, rentrer chez moi, me mettre sous la couette et attendre que demain vienne bénir Senghar le roi du football, lui si susceptible de provoquer la victoire de son équipe. 

Soisek - dix ans plus tard -  | Terminée |Où les histoires vivent. Découvrez maintenant