48. S'avoir demander

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Un bol d'air. Voilà ce dont j'avais le plus besoin. Un shoot d'air marin, une descente impromptue sur la côte. Voir ma mère. Après ce marasme parisien, il m'est apparu comme nécessaire de mettre les voiles - et sans jeu de mot - là où le mistral me guète. Aussi parce que cela faisait des jours que je tournais en rond dans mon studio, pas certaine d'assumer totalement de m'être glissée dans le lit du Diable avec consentement et nécessité.

Dans le train qui m'amène vers l'extrême sud du pays, je me refais le film de ces dernières semaines. Le mois d'octobre a pris ses quartiers partout sur le territoire, et les arbres autrefois si denses et si verts, sont parsemés de milles couleurs toutes plus éclatantes. Le paysage est assez spectaculaire pour que je me laisse aller à l'observer. Mon esprit divague au grès des kilomètres.

Je me sens presque... apaisée. Du moins c'est ce que je crois. Au fond de moi j'ai conscience qu'il y a quelque chose qui cloche. La tête posée contre le rebord de la fenêtre, mes yeux se ferment lentement. Et je comprends que je vais avoir du mal à échapper à mes visions. Je déplie la pellicule et je passe en boucle les évènements, méticuleusement, sans avoir pour but d'y comprendre quoi que ce soit. Je me revois debout, enlevant délicatement mes chaussures à talons pour me glisser pieds nus dans ce hall d'entrée. Je perçois ses yeux, songeur, intrigué. Ses mains noires sur mon corps blanc. Je repense à l'extase de chaque caresse sur ma peau. Le feu me monte aux joues. J'aimerai éteindre les braises, qu'elles s'étouffent à mesure que le train parcours les kilomètres, mais il n'en est rien. Je ne cesse de me demander pourquoi est-ce que je le ressens de façon si physique. Il n'y a évidemment rien de rationnel là-dedans. On ne peut décemment détester quelqu'un et le désirer tout autant avec une force contraire.

Ma tête s'échappe libérant ainsi les souvenirs. Maintes fois, cette image s'affiche en boucle. Je ne lui porte peu d'importance, parce que je sais ce qu'elle me fait comme effet - mal. Mais mon cerveau persiste. Je suis scotchée sur cette fameuse photo. Dans la salle des trophées de Senghar, je revois distinctement son sourire au travers du papier glacé. Ses mains brandissant fièrement ce maillot rouge et blanc. Septembre 2006. Je m'arrête un instant. Je rembobine. Septembre 2006. Premier maillot avec une équipe professionnelle. Qu'est-ce qui me chiffonne autant ?

Cette photo a été prise le lendemain de la soirée catastrophique d'Ugo. Il venait d'embrasser une autre fille sous mes yeux. Moins de 24h ne sépare son regard noir et plein de mépris pour moi, avec ce sourire d'une blancheur éclatante. Que s'était-il passé cette nuit-là ? Qu'est-ce qui m'a échappé au point de ne pas deviner qu'il finirait pas signer dans un club à l'autre bout de la France ? Qu'est-ce que j'avais fait pour qu'il me repousse si violemment ?

Je n'y avais jamais prêté d'importance. Pour la simple et bonne raison que j'ai été tellement meurtrie parce que j'avais vu ce soir-là, que sa signature à Toulouse n'avait été que le point d'achèvement de cette histoire. Ce chagrin est indescriptible. J'ai refermé la porte instantanément. Je n'en ai jamais reparlé. Je n'ai jamais voulu savoir pourquoi.

Il m'apparait clair à présent que j'ai loupé un élément.

Je décide de procéder à petit pas. La journaliste que je suis, sait par où commencer. J'entreprends de parcourir des anciens articles de presse datant du mois de septembre 2006. Très vite, il apparait que la signature de Senghar à Toulouse a étonné plus d'un professionnel dans le secteur. Je m'en doutais déjà. Ce qu'en revanche, je n'avais pas perçu à l'époque, c'est qu'aucune fuite n'avait été décelée avant ledit signature. Tous, et cela de manière assez catégorique, s'interrogeaient plutôt sur le montant du chèque qu'allait promettre Paris au jeune prodige. Comment se fait-il que la profession toute entière soit passée à côté des intentions de l'Olympique Club de Toulouse ? Quand on connait la puissance des réseaux d'informations, on est en droit de se demander comment un telle chose est encore possible ? On était en 2006, me semble être la meilleure des réponses. Oui mais non.

Soisek - dix ans plus tard -  | Terminée |Où les histoires vivent. Découvrez maintenant