17. Le bar du coin

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Je suis journaliste. Pour des raisons farfelues. Des raisons qui n'appartiennent qu'à moi. J'ai toujours pensé que c'était une consolation. Une manière de crier au monde « Eh t'as vu, j'ai réussi ! ». Je passe mes nuits à concocter des articles, à chercher la petite bête dans tous les évènements auxquels je participe. Tout ça, dans l'espoir, d'être lue, reconnue. Je finis par croire que je suis devenue journaliste par égo. Juste pour me regarder dans le miroir avec la satisfaction d'être parvenue à être quelqu'un. Je sais que j'ai tord de penser de cette façon. Mais peut-être qu'en dissipant mes doutes, en prenant suffisamment de recul, j'arriverai à faire mon travail avec autant de rigueur que celle que je m'impose. Pourtant là tout de suite, j'ai un doute. Qu'est-ce que je suis entrain faire ? Quelle merde suis-je entrain de remuer ? Quel est l'objectif ?

Cicatriser une blessure vieille de dix ans ? Ou me prouver que je suis capable de faire mon job correctement.

J'ai agité le drapeau rouge. En allant voir Ari, j'ai intentionnellement mis un pied dans la fourmilière. Les conséquences de mon acte, je ne les connais pas encore. Est-ce que ça m'effraye ? Peut-être. Est-ce que j'ai envie d'aller jusqu'au bout ? Sûrement.

La réponse a toutes mes questions, je l'ai devant le nez depuis le début. Si je fonce tête baissée, c'est que la quête prévaut sur ma raison. Ce n'est pas une envie passagère, c'est une nécessité. Ça fait juste dix ans, que j'attends le bon moment.

Et il vient battre la mesure sous mon nez. Je peux difficilement prétendre que je ne l'avais pas vu venir.

Senghar se pointe avec une demi-heure de retard. Sûrement sa manière de me signifier que je ne suis pas sa priorité. On s'est donné rendez-vous dans un petit café perdu dans un quartier inanimé de Paris. C'est lui qui m'a appelé. Selim, lui a donné mon numéro de téléphone après qu'il ait insisté plusieurs fois. Je pourrai en vouloir à mon ami d'avoir sans savoir donner une suite de chiffres qui offre à Senghar, le passe droit pour me contacter quand bon lui semble. Mais je ne vais pas en faire une scène. Après tout, il est à mille lieux de comprendre ce qui se trame. 

Sa démarche est légèrement vacillante. Je pense connaître la raison. Mais je ne me formalise pas. Ce n'est que la résultante de ce que j'ai vu quelques jours plus tôt. En tirant la chaise qui se trouve devant moi, je sens son odeur sucrée remplir mes narines. Je m'autorise à le regarder faire. Caché sous ses lunettes de soleil et son éternelle casquette, son visage encore une fois est strié par le mystère qui l'entoure. Difficile de sonder ses expressions. Il reste de marbre. Pas un sourire, pas une gentillesse, pas un mot de trop. Personne ne s'habitue à autant de nonchalance, surtout pas moi, en fait.

En posant ses mains sur la table, je remarque la finesse de ses doigts. Il les laisse caresser l'étal avec une douceur que je ne lui reconnais pas. Je me demande qui de lui ou de moi est le plus embêté à cet instant.

Je sais que j'ai fait un pas de trop vers lui. J'attends qu'il tempête. J'attends qu'il baisse sa garde pour enfoncer le couteau dans la plaie. Mais il ne dit toujours rien. D'un geste maîtrisé, il dépose ses lunettes sur le bois abimé du plateau. Et je croise enfin son regard crépusculaire. Le jeu des œillades a commencé. Nous sondons un à un les intentions de l'autre. J'ai l'impression de me retrouver dans un interrogatoire, là où la gestuelle a toute son importance.

- Qu'est-ce que tu veux ?

Je fends l'air du son de ma voix assurée. Senghar semble surpris par le ton que j'emploie. Parce qu'il émet un mouvement de recul. Comme si ma question était déjà une agression. Il riposte aussi vite.

- Toi, qu'est-ce que tu veux ?

- La vérité.

- Qu'est-ce que tu en as à foutre de la vérité Mara ?

Soisek - dix ans plus tard -  | Terminée |Où les histoires vivent. Découvrez maintenant