49. Voir la mer

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Ma mère et son nouveau compagnon m'attendent devant la gare de Nice. De loin, elle a l'air heureuse. J'en ai la confirmation lorsqu'elle me serre contre elle, réellement enjouée de ma visite. Ces dernières années, je l'ai peu vu. Voire presque pas. L'envie de m'éloigner d'elle après le lycée m'a semblé être la meilleure option à choisir pour m'échapper de sa mélancolie. Je ne le regrette pas. J'ai moi-même broyé du noir pendant longtemps. Nous aurions été trop nombreuses dans la pièce. Elle a l'air d'aller mieux. Son visage parait plus apaisé. Je me doute que l'homme qui se tient à ses côtés y est sûrement pour quelque chose. Alors je lui souris poliment. À lui. On ne se connait pas très bien. Mais Gilles a l'air d'être un chouette type. Et puis tout ce qui m'importe maintenant, c'est qu'elle ait retrouvé le courage de sortir de chez elle, départie du poids de la honte d'être devenue mère célibataire sans le sous d'une adolescente qui fume de l'herbe. Mais ce genre d'évènement laisse des stigmates à vie. Je sais qu'elle peut paraitre heureuse, sans jamais l'être tout à fait.

Nous partons à la plage du Cannet à quelques kilomètres du centre ville. Les galets strient mes pieds, mais le paysage est à couper le souffle. La végétation sauvage qui jonche la plage offre un écrin de nature bien loin de la ferveur de la ville. Les vagues font des allers retours dans une valse parfaitement chorégraphiée. Le bruit m'apaise tant. Ou peut-être est-ce le vent si pur dans mes cheveux. Je respire mieux. Je me détends à mesure que mes narines hument l'odeur d'iode. Le sel recouvre progressivement ma peau d'une nuée de petits grains. Cette sensation est salvatrice. Je me félicite d'avoir enfin pris mon courage à deux mains pour venir passer quelques jours loin de cette ville qui m'engloutie. Paris me semble si loin à l'instant.

Ma mère et Gilles se dirigent vers une petite cabane de pêcheur, restée dans son jus. La cahute est en retrait, implantée au milieu de pins gigantesques. Au bord, une petite terrasse est aménagée afin d'accueillir quelques badauds. Gilles a l'air de bien connaître le propriétaire, ils se donnent l'accolade et celui-ci nous désigne une petite table, pied dans le sable.

Le mois d'octobre a beau avoir pris sa place, l'air est bon. Un pull suffit à trouver la météo clémente. Pas jusqu'à envisager une baignade, mais presque ! Nous nous installons autour de notre tablée de fortune. La vue est époustouflante. on dirait que l'immensité, pour une fois, est à portée de main. L'horizon est plat, absolu, il existe. Pour la première fois depuis longtemps, je ressens une petite bouffée d'espoir. De quoi, je ne sais pas, mais ici je me sens bien. Et ça faisait si longtemps.

Le cabanon de la plage propose quelques poissons frais pêchés le matin-même. Un régal. Gilles commande une bouteille de rosé pour l'occasion et c'est joyeusement que nous nous mettons à déjeuner. J'oublie pourquoi je suis ici. J'écoute ma mère et Gilles me raconter milles anecdotes autour de leur croisière en voilier. J'en apprends plus sur cet engin, aussi impressionnant qu'il m'est inconnu. Ils me parlent de leur Goelette à deux mats, ce bateau si majestueux lorsque ses voiles se hissent pour affronter le vent. Je me surprends à sourire de bon coeur.

Plus tard dans l'après-midi, l'estomac plein et la candeur sur le bout des lèvres, nous partons faire le tour de quelques petits villages médiévaux qui entourent Nice. Une promenade que je ne cesse de photographier. J'envoie plusieurs clichés à Selim, espérant secrètement qu'une pointe de jalousie s'éveille en lui. Sa réponse ne se fait pas attendre et il semble en effet m'en vouloir d'avoir déguerpi sans lui. J'étire un sourire, qui n'échappe pas à ma mère.

Elle se rapproche de moi à pas de souris. Je sens son regard soupçonneux se poser délicatement sur moi. Le rouge me monte aux joues.

- Ça me fait plaisir de te voir sourire Sek. Me glisse t-elle.

Tout en arpentant les ruelles du village, j'acquiesce gênée.

- Tu as toujours ce même air mélancolique. Depuis petite. Mais c'était pire à l'adolescence. Et j'imagine qu'à présent, il fait parti de toi. Déclare t-elle.

Soisek - dix ans plus tard -  | Terminée |Où les histoires vivent. Découvrez maintenant