55. Besoin de comprendre

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Je me réveille à l'aube. Le ciel est encore noir et la lumière des réverbères filtrent au travers de volets. J'ai mal dormi. Quelque chose me dérange et j'ai du mal à mettre le doigt dessus. Les draps froissés recouvrent mon corps nue et je frissonne légèrement. Je respire profondément et j'entreprends de me lever sans un bruit.

Suis-je entrain de fuir ? Je crois.

Debout dans la pièce, je me retourne calmement vers le lit. Son corps contraste avec la blancheur de sa couette. Il est paisible. Pareil à un enfant qui dort profondément. Sa respiration est lente et gracieuse. Il ne bouge pas d'un millimètre.

Je récupère mes habits étalés au sol, avec un air de déjà vu qui ne trompe pas. Lorsque je suis totalement habillée, je quitte la chambre soigneusement. J'emprunte le long couloir qui débouche sur le séjour. Quelques pas me séparent de la porte d'entrée. Je bifurque la tête vers l'imposant salon et mes yeux tombent nez à nez avec la fameuse photo que j'avais déjà vu quelques semaines plus tôt. Un souvenir de son enfance posé sur une tablette en verre. Le seul signal de sa vie d'avant. Et c'est là que je comprends où réside mon malaise. Je ne sais pas à quelle période j'appartiens. Mais je comprends qu'un futur est inenvisageable.

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Depuis notre retour de Monaco, on se cherche. Ce moment suspendu dans le temps que nous avons partagé a lié quelque chose entre nous. Comme si nous avions besoin de la présence l'un de l'autre pour respirer dans ce monde. C'est con.

J'observe tout cela comme un mirage. Je profite de l'instant, mais je sais au fond de moi à quel point il est éphémère.

Il m'emmène au restaurant discrètement. Choisis une table bien loin des regards. M'offre un instant hors du temps. J'ai presque l'impression qu'il est quelqu'un de normal. Au travers de ces moments, je n'aperçois pas le footballeur d'envergure qu'il est. Je vois l'homme. Qui tente par tous les moyens de faire des efforts. Il s'intéresse à moi, me pose des milliers de questions, rattrape le temps perdu. Je donne le change. Mais au fond, je ne suis pas là. Je suis dans l'après. J'attends la chute. Comment peut-il en être autrement ?

Nous faisons l'amour. Beaucoup. Sa chair contre la mienne, ce sentiment d'être à lui et qu'il m'appartienne, sont autant de facteurs qui décuplent le plaisir. Je me fonds en lui. Il profite de chaque parcelle de mon corps qui s'offre à son désir. Sa bouche parcourt des kilomètres de ma peau. J'en veux toujours plus, il m'en donne toujours plus. Les rugissements de jouissance qu'il me dévoue sans cesse me rendent insatiable. Peut-être parce que je sais que tout cela a une fin ?

Lorsque l'on s'endort l'un contre l'autre, vidés de nos exploits, il enroule sa jambe autour de moi et laisse parcourir sa main dans mes boucles. Je le laisse faire silencieuse à chaque fois. Au petit matin, je prends mes affaires et disparait. Il me le reproche tous les jours. Je continue pourtant à trouver les réveils étranges et douloureux.

Je me complets dans une normalité de couple qui ne nous appartient pas. Comme deux marionnettes pourtant, nous nous laissons appréhender par le goût de la conformité. Il a l'air de croire que c'est possible, alors je le laisse faire. Parce que c'est ce dont j'ai envie sur l'instant. Et que cela me semble si vain au petit matin.

Main dans la main, lorsque le soleil s'éteint, nous parcourons quelques kilomètres autour de chez lui. Le froid claque contre nos joues empourprées. Dans l'anonymat le plus complet, au sortir d'un entrainement ou d'une longue journée à la rédaction, nous rejouons notre adolescence. Loin de Colombes, loin de la vie que l'on s'était promis. Il m'enlace, d'une tendresse qui fait battre mon coeur. Je pourrais retomber mille fois amoureuse de lui, si je m'en donnais le droit. Et c'est peut-être ce qui me fait souffrir le plus, de lutter.

Soisek - dix ans plus tard -  | Terminée |Où les histoires vivent. Découvrez maintenant