Soisek - dix ans plus tard - | Terminée |

34. Diner caritatif

Point de vue de Nour :

Les flash des photographes crépitent en face de moi. Je suis blasé de répondre à des questions de merde qui ont rien à voir avec le football. Je ne comprends pas pourquoi les gens s'intéressent autant à qui je baise ! Une chanteuse, une actrice, une michto ou un putain de mannequin, quelle importance ? Je l'ai déjà dit non ? Aucune ne trouve grâce à mes yeux. Pas la peine de polémiquer plus longtemps.

Invité à une soirée caritative, je me sens comme un caillou coincé sous des crampons. Pleins de culs serrés sont venus faire des donations pour des associations dont ils ne connaissent même pas l'existence mais qui du fait de cette même existence, leur permettent de déduire une somme non négligeable de leur impôt sur la fortune. On appelle ça faire du zèle. Ça m'donne envie de gerber.

Je scrute Barys du coin de l'œil. J'ai l'envie furieuse de lui coller mon point dans la figure à ce connard. Ces plans foireux commencent à m'rendre nerveux. Je subviens déjà à des asso qui m'tiennent à cœur. Pas besoin de pavaner parmi ces hypocrites pour me sentir utile. Ces riches à la con me foutent les nerfs à vif. Qu'est ce que fous au milieu de tout ça, à faire semblant d'être du même bord qu'eux ?

Je viens du quartier. Le vrai. Celui où on compte les sous à la fin du mois avant de faire les courses pour nourrir la famille. Celui où le soir, les jeunes traînent en bas des blocs dans l'espoir de trouver une place quelque part dans cette vie de chien. Ou les petits rêvent tous de courir sur les terrains des plus gros stades du monde à défaut de finir livreur. Ou l'école t'abandonne sur le banc sous couvert que t'es en échec scolaire. Alors que l'échec en vrai... c'est ce que l'école n'a jamais créé autant d'inégalités. Ou ta daronne fait le ménage dans les bureaux des environs, debout à 5h, couchée à 23. Qui élève une tribu de gosses pendant que papa est au bled, à l'usine ou tout simplement inexistant. Je viens de ce quartier là. Pas des immeubles haussmaniens en plein cœur du XVI arrondissement. Pas de ce monde où verser 10000 balles par décennie pour une cause dont on ne connaît pas les tenants ou aboutissants, nous fait dormir confortablement sur nos deux oreilles, pendant que le monde part en vrille. Je suis un gosse de cité. J'ai la peau sombre. Y'a rien que j'ai eu gratuitement. J'ai rien à faire là.

La salle de réception est pleine à craquer. Je sers des pinces à tout va. Ils me regardent tous comme si j'étais la providence. Quelle bande de tarés ! Il a suffit que je devienne le meilleur footballeur du pays pour qu'ils me prêtent de l'importance. J'en rigolerai si je trouvais pas ça tellement triste.

Ma table se trouve au milieu des autres. Bien en évidence, pour profiter de cette soirée sans en perdre une seule miette. Quelques uns de mes coéquipiers se trouvent dans la pièce, de quoi apporter de la couleur à cette soirée de blancs. Mais la raison de notre venue est encore une fois stipulée dans un contrat - porter les valeurs du football français. Autrement dit, faire en sorte qu'ils nous aiment malgré notre mauvaise réputation. Je rappelle qu'on gagne de l'argent en tapant dans un ballon... forcément ça rend un peu jaloux. C'est pour cette raison qu'on nous trouve tous les petits maux du monde. Et que sortir d'un restaurant New-Yorkais avec un mannequin collé au basque, ça fait réagir la terre entière.

- Souris un peu.

Barys me glisse sa remontrance dans le coin de l'oreille et ça a le don de me crisper de la tête au pied.

- Je t'emmerde.

Je me rapproche du bar, avec l'envie de me servir une noisette de whisky avant de casser la tête à quelqu'un. La petite serveuse a les joues qui s'empourprent quand je lui demande de rajouter des glaçons. Y'a des jours où j'aurais pu attendre la fin de son service pour l'emmener chez moi finir la soirée. Mais aujourd'hui, même son sourire me laisse de marbre. C'est trop facile. Trop prévisible. En fait, c'est lassant. Comme l'autre bulgare en lingerie fine... ça ne m'excite plus depuis longtemps.