51. Monaco

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Point de vue de Nour :


Je suis arrivé ce matin, à Monaco. L'air est plus doux que ce que je croyais. Jouer à l'extérieur, ce n'est pas ce que je préfère. Je suis plus à l'aise dans l'enceinte de mon stade. C'est plus familier. Moins angoissant. En revanche, ça libère une combativité encore plus puissante qu'à l'accoutumé. Je sais que je suis meilleur, quand je ne suis pas chez moi.

Physiquement, je me sens bien. C'est dans la tête que c'est le bordel. Je trie mes émotions, comme on m'a appris à le faire. Mais ce n'est pas aussi simple que ce qu'on m'a expliqué. Le mental, c'est un sacré sacerdoce. Je me sens plus ... vulnérable qu'avant. Moins docile. Plus réceptif à ce qui se trame autour de moi. J'ai le sentiment de devoir redoublé d'efforts pour ne pas être pénétrable. Qu'on ne puisse pas savoir ce qui se trame dans ma tête. Qu'on soit dans l'incapacité de déchiffrer mes sentiments.

J'ai hâte que mes doutes se dissipent une fois sur le terrain. Me laisser planer sur la pelouse, balle au pied, c'est ce qui me rassure ces temps-ci. Ou peut-être que c'est depuis toujours.

Elle aussi est arrivée ce matin. C'est ce que m'a glissé Rafi discrètement au téléphone tout à l'heure. Mon coeur a fait un bond dans ma poitrine. Celle là, je ne m'y attendais pas. Cela n'a pourtant rien d'extraordinaire. Elle vient pour bosser, pas pour me voir moi. J'imagine d'ici son trouble. Sa façon bien à elle de m'observer mi-gênée, mi-songeuse. Je sais que je ne lui fais pas du bien. Je sais aussi que j'ai tout fait pour que ce soit le cas. Je n'en suis pas très fier à dire vrai. Mais comment réparer ce qui s'est brisé des années auparavant ? Je suis pratiquement certain que ce n'est pas possible. J'essaye... à ma manière, j'essaye. Mais elle n'est pas dupe. Ça aussi, je le vois dans ses yeux. Elle ne me laissera jamais la chance de me racheter. Le seul biais par lequel elle peut m'accorder un peu de crédit, c'est si je lui expliquais pourquoi j'avais agi de la sorte dix ans auparavant.

J'ai envisagé cette possibilité mille fois. De lui dire. Et je me suis ravisé, à quoi bon ? C'est fait. Ça ne va rien changer. Lorsqu'elle s'est assoupie dans mon lit après notre nuit passé ensemble, je l'ai regardé longtemps. Me demandant si c'était bien sage, et comprenant qu'en réalité, c'est à elle que la réponse appartient. Je voudrais lui dire. Mais je sais que j'enterrerai à tout jamais la possibilité d'être proche d'elle d'une manière ou d'une autre. Qu'elle me déteste, me rassure. Je la garde près de moi. Si elle s'éloigne, comprenant que je suis nuisible et pas bon pour elle, que me restera t-il ? Rien. Et ça me terrifie. Savoir que j'ai encore le pouvoir de la mettre dans tous ces états... plutôt ça, que l'indifférence.

Et voilà que je triture mon téléphone depuis une bonne demi-heure. Je devrais appeler Selim, mais je crains qu'il ne m'en veuille encore pour la dernière fois. Je me demande bien pourquoi elle lui a craché le morceau maintenant ? Après plus de dix ans de silence, en quoi est-ce nécessaire de repenser à tout ça ? Je me dis que connaissant Selim, il a dû lui tirer les vers du nez. Lui demander pourquoi elle a constamment ce visage nostalgique. Cette forme d'aversion pour le bonheur. Comme moi. Elle est comme moi. Plus noir que blanc. Avec aucune nuance.

À l'entrainement, je reste un moment calfeutré dans le vestiaire. La musique qui emplit mes tympans ne suffit pas à cacher la tension qui envahit mes muscles. Et lorsque je décide d'enfin entrer sur le terrain, je prends soin de ne pas regarder autour de moi et de faire ce pourquoi je suis là. Sans chichi. Sans chercher à me mettre des noeuds dans le cerveau. Mes coéquipiers s'époumonent tandis que je reste silencieux. Aujourd'hui, je n'ai aucune envie d'attirer les regards sur moi. Je sais que de toute façon, il y a peu de chance que j'échappe à l'indiscrétion. Je les sens. Ils ne sont pas loin. Savent que je suis arrivé probablement au meilleur niveau de ma carrière. Certains attendent le déclin, quand d'autres s'extasient encore de mon talent. Tous me regardent. Journalistes, spectateurs, grands patrons, sponsors... tous.

Le soleil de ce mois d'octobre brûle ma peau à travers mon survêtement. L'été est resté figé. Pour moi, cette image c'est ma madeleine de Proust. Chaque début d'automne, je sens la même odeur. Celle des regrets...

Je m'élance sur la pelouse, ensoleillée du stade. Je jongle de mes deux pieds avec précision et acharnement. Je cours à en perdre toute notion de distance, mes jambes ont pris le relai, laissant à ma tête l'entracte nécessaire pour que mon trouble s'envole. Je n'ai jamais été un grand danseur, mais j'imagine que c'est pareil. Le stade, c'est ma scène. Je répète mes pas, avec la précision d'un chirurgien. Un seul loupé et le ballon m'échappe. L'équipe se met en mouvement au gré de mes accélérations. Bientôt, je n'ai d'intérêt que pour la valse des maillots rouge et blanc qui courent autour de moi. L'odeur de l'herbe chatouille mes narines. J'ai chaud. Mais je ne m'en rends pas compte. La vie retient son souffle. Et moi j'exhale de tout mon être.

Pour la première fois depuis longtemps, je souris. Retrouver ses sensations, avoir la certitude d'être là où il faut, c'est une des choses les plus salvatrices que j'ai eu à expérimenter dans ma vie. Alors, la tension que j'ai encaissé depuis quelques semaines finit par disparaitre progressivement dans mes passements de jambes. Jusqu'au coup de sifflet du coach. Celui qui signe la fin de la session d'entrainement.

Dans les gradins, je ne perçois pas encore sa silhouette gracile. Le soleil rase la pelouse, me rendant complètement aveugle. Je plaisante avec mes coéquipiers. Le coach semble satisfait de moi, rien qu'à voir son hochement de tête dans ma direction. Je sais que je fais du bon boulot. Ça vient balayer les longues semaines où j'ai broyé du noir, où rien de bon n'est sorti de moi. Quelques journalistes s'approchent du groupe sur le terrain. Le coach donne ses premières impressions. Les grattes papiers s'en donnent à coeur joie. Je soupire un instant, avant que l'un d'entre eux, ne s'approche de moi. Il tape mon épaule comme si on se connaissait depuis toujours. Je ne m'y ferai jamais, je crois. À cette proximité que les gens pensent pouvoir se permettre avec moi. Comme si je leur appartenais. Comme si mes jambes étaient les leurs. Comme si je leur devais mon talent. Ma gêne est palpable. Il me pose des tas de questions auxquelles je fais semblant de répondre avec entrain. Au fur et à mesure, ce sont plusieurs de ses confrères qui s'agglutinent autour de moi. Laissant mon champ de vision totalement fermé. Je réalise la deuxième partie de mon job, et ça ne me plait pas vraiment. J'entends la voix de mon agent Barys qui raisonne dans ma tête. Ses grandes injonctions à laisser les médias m'ensevelir. Donc, je laisse faire. Et je réponds. Tantôt avec le sourire, parfois de façon plus profonde. Je ne m'étale pas, ce n'est pas mon genre. Mais ça a l'air de leur suffire. Au bout de quelques longues minutes, l'espace autour de moi se fait plus grand. Je prends une profonde inspiration, avant que celle-ci ne se coupe instantanément.

Elle est là. Debout, au bord du terrain. Ses cheveux bruns virevoltent dans le vent. Le soleil strie les traits de son visage et forme un halo de lumière autour d'elle. Elle me fixe de ses iris noirs. Sans aucune expression à y déceler. À ce moment là, peut-être bien que la terre s'arrête de tourner. Parce qu'il n'y a rien que je regarde avec plus d'intensité, c'est tout ce qui m'anime à cet instant. Rien d'autre qu'elle. J'ai oublié ce que je faisais sur ce terrain. Elle est une invitation à tout quitter. Je voudrais lui prendre la main et m'enfuir. Dans un monde où tout ça aurait été possible, je n'aurais pas hésité une seconde. Mais la réalité me rattrape aussitôt. Elle ne prendra pas ma main, ne partira jamais avec moi. Nous sommes comme deux comètes, on gravite l'un près de l'autre, sans jamais fusionner.


Note de l'auteur :

(Alerte lova lova 🚒)

Coucou les enfants,
Est-ce que j'ai déjà dit que je l'aimais d'amour Nour ?
Bon, c'est pas encore gagné entre eux... et qui sait ce qu'on va découvrir ensuite.
Vous êtes prêtes ????
Dites-moi tout en commentaire.
La bise,

Em.

Soisek - dix ans plus tard -  | Terminée |Où les histoires vivent. Découvrez maintenant