- Le papier sera publié d'ici la fin de la semaine.
À l'autre bout du combiné, j'entends le soulagement de Selim. Yuri a accepté mon article comme je me l'étais figurée. Je me sens libérée d'un poids. La première partie du plan semble fonctionner. Nous n'avons plus que quelques jours avant que tout ne sorte dans la presse et que les médias du monde entier ne s'empare de la nouvelle. Cela va secouer l'univers du football. De source sûr, Senghar a mis la totalité de ses avocats sur le coup. Il s'en sortira sans une seule égratignure. Quant à Savage, la nouvelle va lui faire l'effet d'une bombe. C'est une véritable déclaration de guerre. Il ne mettra pas longtemps à se rendre compte de qui est derrière tout cela.
J'emprunte le sentier le long du canal St-Martin pour regagner mon domicile. Pour la première fois depuis des semaines, je prends le temps de parcourir à pied les quelques kilomètres depuis la rédaction de Team +. L'air est particulièrement doux, pour une fin d'année. Le tourbillon dans lequel je navigue depuis quelques mois m'a fait perdre de vue les petites futilités de la vie. Je me sens plus légère. Grâce à ce papier, ma place n'est plus menacée au sein de ma rédaction. Il n'empêche qu'un goût amer me reste sur le bout de la langue. Je me dis tout à coup, qu'il faut quand même beaucoup de sacrifices pour subsister dans ce monde. Et que depuis tout ce temps, je n'avais pas couru derrière un prochain bonheur. Il était peut-être temps de construire une vie, qui n'inclut pas une multitude de nuits blanches et de chasses au scoop.
En rejoignant ma rue, je remarque une camionnette noire multi-place garée devant l'entrée. Je n'ai plus la naïveté des dernières mois et je reconnais instantanément le chauffeur de Senghar. Il est plongé dans un journal, au volant de sa mercedes. Je contourne rapidement le véhicule, de sorte que celui-ci ne me voit pas. Et je frappe à la portière arrière, la vitre étant parfaitement opaque. Celle-ci ne manque pas de s'ouvrir instantanément sur Senghar. Manipulant mes clés dans la plus grande des agilités, je ne le regarde qu'une petite seconde avant de lui proposer de monter à mes côtés. C'est la deuxième fois en quelques mois, qu'il parcourt mes escaliers en me suivant de près. L'idée de le voir dans mon espace me parait étrange. Nous pénétrons en silence dans l'appartement. La pénombre a envahi la pièce principale. J'allume quelques lampes dissimulées parmi les objets qui ornent mon quotidien depuis si longtemps. Son regard s'attarde plus largement sur les bibelots qui trainent un peu partout. Il observe consciencieusement ma bibliothèque et le titre des livres que j'ai pu parcourir en sa si longue absence de dix ans. Il avance doucement, sans gêne. Prenant le temps de s'ouvrir à mon univers et le plus étonnant c'est que je le laisse faire, sans honte. Il s'imprègne du climat qui vit dans ce séjour qui a vu mes nuits défilées. Curieusement, je trouve qu'il se fond parfaitement dans le décor. Il va jusqu'à renifler l'odeur d'une bougie posée sur une étagère murale. Je ris mutique. Sans un mot, je me pose dans mon large canapé. Comme si c'était la chose la plus normale qui soit. Il me regarde faire puis continue son inspection. Je fourre mon nez dans mon portable. Je lui laisse l'espace pour s'enquérir de mon intérieur. Après tout, je n'ai rien à cacher.
Quelques longues minutes plus tard, il finit par s'affaler sur mon sofa, manquant de broyer ma jambe au passage. Mon téléphone m'échappe des mains. Je capitule.
- Je me sens bien ici.
Il ne me regarde pas dans les yeux. Au contraire, il est toujours absorbé par la pièce comme si il s'agissait du plus bel endroit qu'il n'ait jamais vu. Je ne sais pas bien quoi lui répondre. Ici c'est chez moi. C'est petit, mal rangé, bourré de significations par ci par là, et ça me ressemble. Je crois qu'il saisit mon silence au vol parce qu'il ajoute :
- J'aime bien parce que tout est à ton image.
Je suis touchée. Alors j'approche ma main de son épaule et m'en saisit délicatement. Il se laisse faire sans bouger. Comme si ce geste était le plus anodin qui puisse exister. Nous restons ainsi quelques minutes, sans broncher. La lumière diffuse dans le salon offre des reflets particuliers aux murs. Je les détaille un à un. À ma façon, je redécouvre cet endroit. Le bruit de la rue monte doucement à nos oreilles. Seul signe qu'il existe un monde en dehors d'ici. Il pivote sa tête doucement vers moi et laisse ses doigts parcourir d'une main ma joue.
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Soisek - dix ans plus tard - | Terminée |
ChickLitSoisek Mara est journaliste sportive pour un grand quotidien national. Déterminée, calme, mélancolique, elle partage sa vie entre son job et ses quelques amis, une existence normale qui cache souvent des tourments enfuis. Et lorsque le meilleur jou...