Chapitre 3

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Je m'étire douloureusement. 


Mes articulations me font mal. 


Ces lits nous supportent à peine et nos corps en payent les conséquences difficilement. 


Je me redresse et une fois debout, je prends une grande inspiration. J'étire mes mains vers le ciel aussi haut que je le peux et les laisse retomber lentement, exactement comme mes parents me le faisaient faire autrefois. 


Je me retourne face à ce lit de fortune, un lit en métal aussi froid que le reste de l'atmosphère de cet orphelinat. Je tire ma vieille couverture en laine qui s'effiloche de plus en plus au fur et à mesure que les années passent. Les couleurs ne se différencient même plus et son toucher n'est plus aussi doux et réconfortant qu'il eut été. Je la secoue vivement puis vient la replacer correctement sur mon maigre matelas. Habilement, je viens coincer chaque bout pour que rien ne dépasse. Puis, je prends mon oreiller et vient le poser en haut de mon lit. 


Satisfaite, je tire la lourde valise que j'ai rangée dessous et qui me sert de commode dans cette humble demeure. Je m'assoie et l'ouvre en grand avant de choisir ce que j'ai envie de porter aujourd'hui. Et dans le cas où vous vous poseriez la question, non, je n'ai pas l'embarras du choix. L'avantage de vivre ici pratiquement toute sa vie est que vous n'avez pas besoin de passer trop de temps à chercher votre tenue car votre garde robe se résume à des tee-shirt gris et des pantalons noirs.


Et donc, contre toute attente, je prends un tee-shirt gris et un pantalon noir et je referme ma valise. Je la replace correctement sous mon lit pour qu'elle ne dépasse pas puis m'en vais vers l'espace de bain pour pouvoir me changer. Je fais attention à ne pas marcher sur les parties du sol trop bruyantes pour ne pas réveiller le reste de mes camarades. Car oui, nous partageons nos chambres, et dans la mienne, nous sommes 6. 

Une fois la porte de la salle de bain atteinte, je m'enfonce lentement en refermant délicatement la porte derrière moi. Une fois sûre que je suis seule, je retire ma chemise de nuit et enfile mes vêtements du jour. Je m'avance ensuite vers le lavabo, attrape mon dentifrice et me brosse les dents. Puis j'essaye tant bien que mal d'ordonner ma chevelure blonde, du moins autant qu'on puisse le faire sans miroirs à porter de main.


Mme Ashcroft, la directrice, pense que nous n'en avons pas besoin alors nous n'en avons pas, c'est aussi simple que cela.


C'est une femme effrayante, toujours de noir vêtue et souriante seulement pour les couples qui se présentent à nous.


Nous, elle nous considère peu, elle affectionne les plus jolies de mes camarades qui, sans suspens, ne restent pas longtemps dans cet établissement. 

Cependant, la vie à l'orphelinat n'est pas si terrifiante. Morose, ennuyante, certainement. Mais terrifiante? Non, je ne pense pas. Toutes les filles ici ont perdu leurs parents, et je ne vois pas plus terrifiant que de vivre un tel drame.


Ma vie se résume à une série d'actions que je répète inlassablement depuis mes 8 ans. Me lever un peu plus tôt que les autres pour profiter de la lumière du matin, me poser et lire un peu. Puis descendre le long du grand escalier en colimaçon vers la salle du petit déjeuner. Attendre que tout le monde soit assis puis avaler ce qui nous est servi. Laver nos mains, prendre nos sacs d'école et partir en direction du lycée. Passer une journée plus ou moins longue à écouter des professeurs plus ou moins intéressants et revenir à l'orphelinat dès que la sonnerie retentit. S'ensuit le défilé pour les douches avant de redescendre dans la grande salle à manger et travailler jusqu'à ce que la directrice nous fasse grâce de sa présence pour nous dire d'aller au lit. Et voilà. Comme je le disais, morose, ennuyeux mais pas vraiment terrifiant.


Ainsi, comme tous les matins, je repose ma brosse à dents, me rince la bouche et ressort de la salle de bain. Je regarde un moment notre chambre plongée dans l'obscurité. Seuls quelques rayons du soleil passent à travers nos rideaux, me laissant entrevoir la pièce juste assez pour ne pas trébucher.


Notre chambre n'est pas très grande, nous avons chacune un lit avec chacune nos affaires rangées en dessous. Il y a une vieille armoire que certaines de mes camarades se battent pour y  ranger leurs surplus de vêtements. Nos 6 lits sont installés les uns en face des autres, 3 sur la droite quand nous entrons et 3 sur la gauche. Le mien est le plus éloigné de tous. Etant l'une des dernières à être arrivée je n'avais pas vraiment le choix, j'avais ainsi écopé de celui sous la fenêtre soit l'endroit le plus frais de la pièce. Mais ça ne me dérangeait pas. Je me sentais plus en sécurité proche de l'extérieur, proche de l'arbre que je voyais à travers cette ouverture, comme s' il me revitalisait, comme s'il m'aidait à tenir dans ce cauchemar qu'était devenu ma vie.


Rangeant ma chemise de nuit sous mon oreiller, je fais ensuite quelques pas vers la porte d'entrée en veillant à ne réveiller personne. Une fois sur le palier, je m'engage dans l'escalier en pierre tout en me dirigeant vers la bibliothèque. 

Enfin pas vraiment une bibliothèque, plutôt une petite salle réconfortante avec quelques livres et qui, à part moi, n'attire personne. 

Je pousse la lourde porte en bois usée et entre dans cet endroit apaisant. Elle est telle que je l'ai laissé en partant hier matin. Les murs sont d'un vert profond, le silence règne dans la pièce, l'odeur des livres m'emplit le nez et je me perds dans cette atmosphère réconfortante. Je referme la porte derrière moi et m'avance jusqu'à la petite table installée contre la grande baie vitrée. Je laisse mes doigts parcourir les reliures des anciens livres qui sont entreposés dans les étagères juste à côté. Je tire la chaise devant moi et m'assois confortablement. Je lève les yeux sur le livre qui m'attend: Merveilles des Mondes Enchantées

Ce n'est pas mon livre favoris mais il me rappelle celui que me lisait mon père étant plus jeune. Et même si ce n'est pas les mêmes histoires, il me permet tout de même de m'échapper quelque temps de cette réalité désolante.


Tournant la première page pour ce qui semble être la quatorzième fois, je m'y plonge corps et âme comme si c'était la première fois. 

Les Royaumes OubliésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant