À mesure que le temps passait elle avait de moins en moins d'avance dans ses commandes et avec certains clients elle avançait déjà complètement à l'aveugle en se basant sur leurs demandes et ce qu'ils avaient l'habitude de lire. Pour le moment elle n'avait eu aucun retour négatif de la part de ses clients le plus fidèles, heureusement sinon elle se serait sans doute écroulée depuis un long moment. Le principal était que son problème de don n'impacte pas sur les finances de la librairie et qu'elle puisse maintenir son affaire le plus longtemps possible. Pour cela elle n'avait pas à s'en faire, les chiffres étaient tellement bons qu'elle avait même de quoi engager un nouveau libraire et refaire la boutique, voire l'agrandir si elle le souhaitait. Mais elle s'inquiétait surtout pour sa réputation qui la définissait comme une magicienne et qui faisait en sorte que des personnes des villes voisines faisaient le déplacement spécialement pour venir la voir et obtenir ses conseils. Sans ça elle avait peur qu'il y ait une baisse de la fréquentation de la librairie mais surtout elle craignait que ses clients perdent la confiance qu'ils avaient placés en elle.
Cette angoisse devint réalité quelques jours plus tard, lorsque l'adorable grand-mère qu'elle avait conseillé trois jours auparavant revint pour lui donner son avis sur sa lecture. C'était devenue une habitude entre les deux femmes, environ une fois par semaine elle venait à la boutique après l'ouverture de l'après-midi et elles discutaient. La jeune libraire préparait deux tasses de thés et elles s'installaient ensuite dans les fauteuils récemment acquis par Clem pour échanger autour du livre de la semaine. Mais cette fois-ci c'était particulier, c'était la première fois qu'elle revenait après que la jeune femme lui ait vendu un livre choisi sans l'aide de son don. La jeune libraire sortit de la réserve avec deux tasses de thé fumantes dans les mains et un paquet de petits gâteaux sous le bras tandis que l'adorable mamie traversait la boutique pour la rejoindre.
-Bonjour madame Gasséli, comment allez-vous aujourd'hui ? Faites attention la tasse est encore brûlante. J'ai aussi pensé à votre dessert, en prenant des petits biscuits pour aller avec le thé.
-Oh ma petite Clémentine vous êtes adorable ! Figurez vous que j'ai moi aussi rapporté de quoi grignoter. Les deux femmes échangèrent un petit rire complice. Et je vous en prie appelez moi Nicole, je ne supporte plus d'être appelée par mon nom de famille.
La jeune libraire acquiesça et promis qu'elle essayerai de s'en rappeler pour les fois à venir. Elle avait toujours eu du mal à appeler ses clients par leurs prénoms même quand ils le lui demandaient expressément à chaque fois qu'ils venaient. Mais pour madame Gasséli, pardon, Nicole, elle pouvait bien essayer d'aller contre ses habitudes.
Les deux jeunes femmes s'installèrent dans les deux nouveaux fauteuils que Clémentine avaient acheté quelques semaines auparavant pour les installer près du coin où trônaient les énormes bibliothèques pleines de livres en format poche. Elle trouvait que cela donnait un côté encore plus chaleureux à la boutique et les moments qu'elle y passait pour discuter avec quelques uns de ces clients favoris quand il n'y avait personne dans la librairie renforçaient ce sentiment. Bien qu'elle soit toujours totalement dépassée par la disparition de son don, la jeune femme tentait constamment de faire bonne figure. Sa prétendue maîtrise de la situation n'était pourtant qu'une simple façade qui ne tenait qu'à un fil et qui s'apprêtait à être brisée.
-Alors, Nicole, dites moi tout. Qu'est ce que vous avez pensé de ce nouveau livre ?
-J'ai bien aimé le personnage principale, une petite jeune fille très attachante je dois dire mais j'ai bien peur que ce soit la seule chose qui m'aie plus dans ce livre.
Clémentine prit sa remarque, pourtant inoffensive quand on ne savait pas ce qu'elle traversait, comme un coup de poignard en plein cœur. Elle ravala ses larmes et écouta la suite.
-Je veux dire par là que l'histoire était un peu clichée enfin pour quelqu'un comme moi qui lit beaucoup de romans d'aventures et d'évasion c'était du réchauffé vous comprenez ? Enfin, ça ne m'a pas empêché d'aller au bout de ma lecture, mais comme je devinais les actions avant qu'elles ne se produisent je n'ai pas prit autant de plaisir à lire cette œuvre contrairement à celles que vous m'aviez conseillez les fois précédentes.
-Oh. Comme il s'agit d'une nouveauté je pensais sincèrement qu'il apporterait un vent de fraîcheur à vos lectures mais c'est tout le contraire, je suis désolée.
-Mais enfin ma petite, ce n'est pas la peine de vous excusez ! Ce n'est pas parce que je ne l'ai pas apprécié que les autres clients ne l'aimeront pas non plus. Je pense que je suis juste de la vieille école voilà tout. Et puis, vous savez, même les plus grandes magiciennes peuvent se tromper. Personne n'est infaillible, les erreurs arrivent à tout le monde et surtout aux meilleurs.
Clémentine sourit à ces mots mais cela ne l'empêchait pas de se sentir honteuse vis à vis de cette adorable grand-mère qu'elle avait déçue. Elles continuèrent de discuter autour de leurs tasses de thé jusqu'à ce que d'autres clients fassent leur entrée dans la boutique.
-Je ne vais pas prendre de nouveau livre cette semaine, je dois me rendre chez ma sœur et je sais déjà que je n'aurais pas une seconde à moi pour prendre le temps de savourer un nouveau roman. Je reviendrais en chercher deux à mon retour pour rattraper mon retard. Reposez-vous mon petit, vous semblez en avoir grandement besoin. Il faut savoir lâcher prise parfois même quand ça vous semble inconcevable.
Elle lui pressa la main avant de quitter la boutique, non sans un dernier sourire chaleureux dont elle avait le secret et qui lui mit un peu de baume au cœur. La jeune femme passa malgré tout le reste de la journée à essayer de contenir sa crise d'angoisse. Nicole n'avait pas prononcé les mots fatidiques mais elle avait bien senti qu'elle était déçue que ce livre n'ait pas été à la hauteur des précédents. Clémentine avait une furieuse envie de pleurer, qu'elle arriva à réprimer tant bien que mal jusqu'à la fermeture de la boutique.
La journée n'avait pas été très riche en clients et elle avait pu en profiter pour rester dans son coin près de Jack et sa présence réconfortante tandis qu'elle faisait ses retours. Lors de la fermeture elle ne prit pas la peine d'allumer la musique et d'effectuer son petit rituel. A la place elle se dépêcha de quitter cet endroit empli des ondes négatives qu'elle avait dégagé toute l'après midi. Après avoir prit soin de bien fermer la porte de l'arrière boutique et celle de la devanture à double tour elle se dirigea, accompagnée par Jack, vers la place principale de la ville située à quelques rues car elle devait faire quelques courses. Clémentine en profita pour se prendre un burger au food truck qui s'installait sur la place du marché tous les jeudis soirs. En rentrant à son appartement, elle fit un détour pour rallonger la promenade de son adorable compagnon canin. C'est ainsi qu'elle se retrouva entre le croisement de la rue de l'Eglise et de la rue du Maréchal où se situait le Quartier General, leur bar de prédilection à elle et aux filles.
C'est là qu'elle les aperçues, toutes les trois à leur table favorite, près de la fenêtre. La jeune femme sentie le rouge lui monter aux joues tandis que le rythme de son cœur grimpait en flèche. L'incompréhension était totale. Pourquoi étaient-elles là toutes les trois, sans elle ? Pourquoi n'avait-elle pas été prévenue de cette petite réunion ? Clémentine prit son téléphone dans la poche arrière de son jean et composa le numéro de Justine. Elle vit alors sa meilleure amie saisir son téléphone pour regarder qui pouvait bien l'appeler, avant de le tourner vers Emma et Clotilde qui lui firent signe de ne pas décrocher.
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Sixième Sens
Ficción General"La jeune libraire avait toujours un coup d'avance sur ses clients et devinait si précisément leurs besoins, à chaque fois, que les plus fidèles d'entre eux la surnommait « la magicienne ». "