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Christian
Nous arrivons pour dîner à Bellevue, j'aide Ana à descendre de la voiture. - Tu es prête à affronter mes grands-parents ?
- Bien sûr, Christian. Désormais, toute la famille est au courant de ma grossesse. Ta grand-mère ne cessait de nous réclamer un enfant depuis notre mariage, elle va être comblée.
Ana semble bien prendre les choses. Pas moi. J'ai repoussé le plus longtemps possible cette réunion, mais d'après ma mère, il me faut y passer : mes grands-parents sont âgés.
Grace nous accueille sur le seuil, nous embrasse avec affection.
- Nous sommes trop nombreux pour la table de la salle à manger, alors j'ai organisé un buffet. Il y aura la possibilité de s'asseoir, bien entendu, mes parents y tiennent beaucoup. Ils considèrent que manger debout est une idée moderne tout à fait néfaste à une bonne digestion.
Ana glousse gentiment. Je lève les yeux au ciel.
- Est-ce que je peux faire quelque chose pour vous aider, Grace ?
- Non, ma chérie, tout est prêt, ne t'inquiète pas. Mia est venue dans l'après-midi aider Nora à la cuisine.
- Excusez-moi, qui est Nora ?
- C'est Mrs Smithson, tu te souviens d'elle ? La nièce de notre ancienne domestique, Rosemary Smithson, qui a pris sa retraite.
- Oh, oui ... marmonne Ana sans conviction. J'avais oublié. Je me souviens d'une Allemande, une fille au pair...
Elle me jette un coup d'œil furieux. Qu'est-ce que j'ai à voir avec la fille au pair ?
- Gretchen Hauser, répond ma mère en débarrassant Ana de son manteau. Elle était fille au pair et cherchait à perfectionner son anglais. Elle n'était pas Allemande, mais Autrichienne. Une gentille fille agréable et travailleuse, elle se maquillait beaucoup trop. Elle nous a quittés il y a déjà un moment.
Ana sourit, l'air enchanté. Je ne cherche même pas à comprendre.
Apparemment, le buffet est essentiellement composé de fruits de mer et de poissons. C'est une spécialité de Seattle. J'aperçois des pattes de King Crabs - certaines véritablement géantes -, des homards, des cakes au fromage et au crabe, un saumon entier avec une étiquette : « Pure Food Fish Market, fumé au bois d'aulne ». Sur un réchaud, mijote une clam-chowder, délicieuse soupe au jus de palourdes avec bacon, pommes de terre et oignons ; et un peu à part, les desserts : muffins, cheesecakes et carrot-cakes. Il y a du vin italien, rouge et blanc, des sodas et de la bière locale à la canneberge, tant appréciée dans tout l'État de Washington. Qui peut bien boire une horreur pareille chez nous ?
- C'est très appétissant, maman.
- Merci, mon chéri.
Ethan nous serre la main, mais en vitesse. Il doit aller aider Mia, explique-t-il, qui a besoin de lui pour déplacer une desserte. Il esquisse un petit sourire d'excuse avant de disparaître je ne sais où. Tout le monde est déjà arrivé, à ce qu'il paraît ; l'ambiance est animée, plusieurs convives ont déjà une assiette remplie d'amuse-gueule et un verre à la main. Embrassades et échanges d'accolades s'ensuivent, bien entendu. Lily Perret, l'amie de Mia, est là ce soir, ce qui me consterne.
- Anastasia !
Le cri de ma grand-mère, assise au bout de la table comme une impératrice sur son trône, est difficile à manquer. Ana s'approche d'elle avec un sourire. Grand-mère Trevelyan la serre dans ses bras avec force.
- Ma chère petite, tu es superbe ! J'ai appris la nouvelle ! Que je suis contente ! Enfin, tu vas me donner un arrière-petit-enfant.
Elle pose la main sur le ventre d'Anastasia, qui devient ponceau d'embarras d'être au centre de l'attention générale. Par discrétion, les autres invités font semblant de ne pas écouter la conversation. Mon grand-père intervient :
- Pour l'amour du ciel, Jacky, enlève ta main, voyons ! Laisse cette pauvre enfant respirer. Tu ne vois pas que tu la gênes ? Elle est toute rouge.
- Peuh, Theo, occupe-toi de ton homard et fiche-moi la paix. Ana est heureuse d'être bientôt mère, c'est bien normal. Et elle n'est pas rouge, elle a simplement bonne mine. Tu es trop maigrelette, petite, goûte un peu à ce cake, tu m'en diras des nouvelles. Tu aimes le King Crab, j'espère ?
- Oui, madame, répond Ana, médusée. Grand-mère se tourne vers moi :
- Quant à toi, Christian, tu as mis du temps à te décider, mais ensuite tu as largement rattrapé le temps perdu. J'aurais pourtant juré qu'Elliot serait le premier... Ah ! Comme quoi, on peut se tromper. Mes félicitations. Tu es un bon garçon.
Grand-mère disait la même chose autrefois, quand elle regardait mes cahiers de classe et que j'avais obtenu un A : tu es un bon garçon. Voilà qui ne me rajeunit pas...
- Jacky, maintenant, c'est ce pauvre Christian que tu désespères. Ne l'écoute pas, fils, elle est gâteuse.
- Alors, Theo, je n'ai plus le droit de parler, c'est ça ? D'ailleurs, c'est toi qui es un vieux râleur. Les enfants ne se plaignent pas.
- Parce qu'ils sont bien élevés.
Grand-père se lève et à son tour, il embrasse Ana, les larmes aux yeux.
- Je suis heureux de cette bonne nouvelle, ma chère enfant. Je vous adresse, à toi et à Christian, tous mes meilleurs vœux de bonheur et de prospérité.
Ana
***
Je remercie les grands-parents de Christian, bien sûr, mais je retiens à grand-peine un fou rire nerveux. Mrs Trevelyan - que je n'arrive pas à appeler « grand-mère », comme elle me le demande
souvent - me rappelle tellement ma mère. Comme Carla, elle ne réfléchit pas avant de parler : elle dit tout ce qui lui passe par la tête.
Je sursaute quand Mia fait irruption entre nous.
- Vous parlez du bébé ? s'exclame-t-elle en battant des mains. Youpi ! Je vais être taaante ! Ana, j'aimerais bien savoir quel nom toi et Christian allez lui donner ! Vous y avez réfléchi ?
Oh Seigneur ! Elle aussi parle trop ! Heureusement, je connais un moyen de dévier son attention :
- Mia tu as préparé un buffet absolument superbe, je ne sais quel plat choisir pour commencer, tout paraît délicieux.
Ma diversion fonctionne, Mia m'adresse un sourire enthousiaste.
- Goûte à ma clam-chowder. J'ai épaissi le bouillon à la farine, c'est plutôt réussi. Je crois...
Je ne l'écoute plus. À dire vrai, je n'ai pas très faim. Nous avons déjeuné en ville avec Ros et Gwen O'Reilly, dans un petit restaurant italien très sympathique. J'ai un peu abusé du tiramisu. Ce n'était pas la première fois que Ros nous invitait, je ne comprends pas pourquoi Christian trouvait toujours un prétexte pour refuser. Je sais qu'il apprécie beaucoup Ros Bailey, l'une des rares personnes à qui il confie les rênes de sa bien-aimée société - je considère vaguement Grey House comme ma rivale dans le cœur de mon mari - quand il doit s'absenter. Bref, il fait confiance à Ros, professionnellement. Gwen m'a donc contacté directement pour convenir d'une date. C'est une fille charmante qui n'a pas la langue dans sa poche. J'ai opté pour un déjeuner en ville, ce qui était une sorte de compromis. Christian n'était pas trop content de mon initiative, mais il a fini par accepter.
Gwen O'Reilly est directeur artistique dans une agence publicitaire. Elle est mince, avec un visage triangulaire et des yeux de chat. Une rousse exubérante, très féminine, sa vivacité me rappelle un peu Mia. Ros est brune, longiligne, et toujours vêtue à la pointe de la mode - en noir, le plus souvent. Elle a le verbe haut, sec, acéré même. Ces deux femmes forment un couple des plus étranges ! Quand on dit que les opposés s'attirent, ce doit être la vérité.
Nous avons parlé de tout, essentiellement de littérature, théâtre, et voyages... Je ne suis sortie qu'une fois des États-Unis, pour notre voyage de noces en Europe, mais Ros et Gwen s'organisent deux fois par an un petit voyage en couple, afin de découvrir un nouveau pays, une nouvelle destination. Elles choisissent à tour de rôle. Elles reviennent justement d'un séjour au Gabon, en Afrique, un pays forestier où la faune et la flore sont encore protégées dans plusieurs parcs nationaux, dont l'un est inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO ; elles ont descendu le fleuve Ogooué jusqu'à Lambaréné, où se trouve l'hôpital Albert Schweitzer, créé en 1913 par le célèbre docteur qui remporta un Prix Nobel de la paix au siècle dernier. Elles ont visité son musée retraçant une partie de l'histoire de la médecine. Elles ont exploré Libreville, la capitale, bien entendu, avant de s'aventurer dans la forêt équatoriale qui recouvre une bonne partie du territoire : les ressources forestières sont l'une des grandes richesses du pays, avec le pétrole. Leur exposé était très intéressant !
Christian a écouté avec de grands yeux écarquillés. Apparemment, il ne connaissait rien de cette partie de leur vie. Je suis très heureuse de revoir très bientôt Ros et Gwen : elles sont toutes les deux invitées au mariage de Taylor et Gail, le 12 novembre prochain. Ros m'a indiqué qu'il y aurait aussi Barney et Andrea. Taylor s'est fait des amis à Grey House au fil des années.
- Alors, Steele, il paraît que tu vas au Canada le week-end prochain ? C'est Kate. Arrachée à mes réminiscences, je me tourne, très étonnée.
- Pardon ?
- Grrr.
Oh lala ! Christian réussit à produire un grondement incroyablement féroce. Un vrai fauve en colère ! Et Kate réagit de la même façon : elle est la lionne qui défend son territoire.
- Quoi encore, Grey ?
- Ana n'était pas au courant, bon Dieu !
- Et comment je pouvais me douter que tu ne l'avais pas prévenue ? Je cherche à les calmer, tous les deux.
- Ce n'est pas grave...
Ni l'un ni l'autre ne m'accorde un regard. Christian rugit :
- Comment es-tu au courant, Kate ?
Elle ricane avec une joie mauvaise. Où est Elliot ? Il pourrait peut-être intervenir avec plus d'efficacité que moi ? Je le cherche du regard, il parle avec Ethan, sans regarder de notre côté. Zut ! Heureusement, personne ne semble prêter attention à notre trio. Nous sommes un peu éloignés du buffet devant lequel tous les autres convives se sont agglutinés.
- Je suis journaliste, je te signale, Grey ! lance Kate avec suffisance. Je sais que tu es invité à Montréal pour le Gala Reconnaissance - et même que c'est toi qui donneras le discours inaugural ! J'ai regardé la liste des invités et tu sais quoi ? J'ai vu "Mr et Mrs Christian Grey". Ce n'était pas sorcier.
En les fixant, j'hésite entre l'hilarité et la contrariété. Ils sont drôles, ces deux-là, dressés l'un contre l'autre, mais ils sont aussi pénibles. Je note que Grace fronce déjà les sourcils. Ça ferait très mauvais effet une querelle en pleine réunion de famille.
Je m'accroche au bras de Fifty et demande avec un sourire :
- Christian, c'est vrai ? Nous allons ensemble au Canada ?
Il hésite, puis se détend. Ignorant délibérément Kate qui vide sa coupe cul sec, d'un geste que je trouve de pure provocation, il déclare :
- Oui, baby. J'ai tout organisé avec Roach, ton emploi du temps a été libéré. Nous partirons jeudi matin pour Montréal, le jour du gala, et nous y resterons jusqu'à dimanche. Tu ne connais pas le Canada, n'est-ce pas ?
- Non, pas du tout. Quelle bonne surprise ! Mais c'est loin, Montréal, non ? C'est à quelle distance ?
- Trois mille cinq cents kilomètres à vue de nez. Sept heures de vol.
- Et trois heures de décalage horaire, annonce Kate. Pareil qu'à New York. Christian fait comme si elle n'existait pas. Je tente une autre diversion :
- À quoi correspond au juste ce gala ?
- Le Gala Reconnaissance regroupe à Montréal dix congrès majeurs concernant les actions entreprises en collaboration entre les professionnels et les universités de toute l'Amérique du Nord ; cela porte sur la recherche expérimentale, les nouvelles technologies, le développement durable. Ça aura lieu au Palais des congrès, à Ville-Marie, un quartier qui occupe la partie centrale de la ville, non loin du Saint-Laurent. Nous logerons au Ritz-Carlton, au pied du Mont Royal.
Je regarde Christian avec des yeux éblouis. Tous ces noms inconnus me paraissent si étrangers, exotiques, lourds de promesses. Ce n'est pas le Gabon, mais c'est quand même une découverte.
La voix ironique de Kate plombe un peu mon euphorie :
- Tu n'auras que deux jours, si je compte bien : vendredi et samedi sur place. Ce sera un marathon touristique.
Christian se crispe. Je serre son bras et lui souris.
- Nous trouverons de quoi nous occuper, j'en suis sûre. Montréal est une ville historique, il y a beaucoup à visiter.
- Baby, la ville est devenue cosmopolite, mais l'automne est la plus belle saison. Je t'emmènerai dans le Veux-Montréal.
- C'est un quartier français, non ?
Kate sourit devant mon enthousiasme. Elle s'adoucit et m'explique :
- Plus ou moins. Le Vieux-Montréal longe le Saint-Laurent, il y a plein d'endroits romantiques, des ruelles pittoresques. C'est fantastique ! Il y en a pour tous les goûts, moderne et historique. Et si tu veux du français, Ana, la place Jacques Cartier est sans doute une des plus belles de la ville.
- Kate !
Elle se retourne, Mia lui fait de grands signes. Kate hésite, puis s'éloigne.
Christian pousse un soupir assorti d'un commentaire marmonné que je préfère ne pas décrypter. Il se penche à mon oreille :
- Je t'emmènerai aussi au jardin botanique, baby, et sur le Mont Royal...
- C'est quoi ?
- Le plus merveilleux des parcs de Montréal. Depuis le Belvédère, tu auras un point de vue somptueux sur le centre-ville. J'y suis allé enfant avec les parents, Elliot et Mia. Il est situé sur la montagne du même nom et couvre plus de deux cents hectares. Son architecte est très connu, tu sais, c'est Frederick Law Olmsted20, celui qui a aussi créé Central Park à New York.
- Kate me dit que vous allez bientôt à Montréal ? Je te recommande vivement le jardin botanique, Ana ! Ils ont la plus merveilleuse collection d'orchidées et de fleurs tropicales.
C'est Grace. Décidément, Christian et moi sommes très demandés ce soir. Je me tourne vers ma belle-mère avec un sourire de circonstance.

Livre 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant