Jour 2 - Plan B

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Une épouse parfaite
Ana
Je me réveille avant que le réveil sonne, avec un bon quart d’heure d’avance. Je sens la respiration de
Christian sur ma nuque, sa poitrine remue derrière moi à un rythme régulier. Je recule contre lui de
quelques centimètres, laissant sa chaleur et son parfum me recouvrir d’un cocon. Très vite, quelque
chose de dur pointe au creux de mes reins. Je souris béatement en réalisant de quoi il s’agit. Ah, je ne
suis pas la seule à me réveiller tôt, l’érection matinale de mon mari fait pareil, même si son propriétaire
est encore endormi.
Et là, j’ai une idée. Voilà ce qu’il me faut : mon plan B. Hier, je n’ai pas réussi à obtenir ce que je
voulais en suppliant, insistant, gémissant, alors, je vais utiliser le sexe. Après l’amour. Christian est
tendre et détendu, prêt à tout à  m’accorder – pourquoi ne pas en profiter ? De plus, je vais être parfaite
aujourd’hui, me comporter en brave petite épouse idéale. Le fait étant rare, il en sera tellement ébloui
qu’il tiendra à me récompenser et paf ! J’aurai gagné. Franchement, je ne suis pas très fière de moi en
évoquant ma prestation d’hier : qu’est-ce qui m’a pris de chouiner de cette façon ? Je savais dès le départ
que ça ne fonctionnerait jamais, surtout avec Christian à ce point opposé à mon départ.
Je me redresse à genoux, glisse plus bas dans le lit, et me penche vers Christian. D’une main, je
m’équilibre sur le matelas, de l’autre, j’empoigne son sexe en ouvrant la bouche. Je me mets à l’ouvrage
de bon cœur, léchant, suçant, savourant… Quelques secondes après, j’entends déjà les grondements
rauques qui lui émanent de la gorge.
— Ana… baby… oh merde !
Il décolle les hanches du matelas, son sexe devient encore plus dur et je m’active avec une ardeur
renouvelée. Pour tenter de maîtriser ses soubresauts, je m’accroche à ses hanches. Je passe mon autre
main entre ses jambes pour lui caresser amoureusement les bourses. En réponse à mes caresses, Christian
devient de plus en plus vulgaire.
— Ana, je vais bientôt…
Il n’a même pas le temps de terminer son avertissement, je sens monter son orgasme. Des jets de
sperme salé heurtent le fond de ma gorge, il hurle mon nom en jouissant. Avec un sourire satisfait, je
déglutis la moindre goutte avant de le nettoyer d’un coup de langue. Très contente de moi, je dépose sur
le gland renflé un dernier petit baiser.
Christian me prend sous les bras et me redresse. Me plaquant contre son corps musclé, il m’enveloppe
dans ses bras, ses cuisses, son être tout entier. Il me renverse la tête et m’embrasse, sa langue me pénètre,
j’en perds le souffle. Au même moment, l’alarme se déclenche.
Zut !
— Christian, il faut que je me lève pour aller prendre une douche, je ne veux pas être en retard au
bureau.
— Je m’en fous. Reste au lit avec moi. Je veux faire l’amour à ma femme.
Il m’est difficile de résister à ses attaques, à son regard brûlant, à ses lèvres savantes, mais j’ai des
rendez-vous ce matin, il faut que je me prépare.
— Je ne peux pas. Je dois être au bureau à 8 h 30 pour rencontrer un de mes nouveaux auteurs. Et
j’ai une journée extrêmement occupée.
Il relève la tête pour m’examiner ; sa moue déçue me fait presque changer d’avis, mais lui aussi a du
travail, j’en suis certaine. Je chuchote :
— Nous aurons le temps de nous rattraper ce soir. C’est vendredi.
Tous les vendredis, nous laissons Teddy chez ses grands-parents pour profiter d’une soirée en tête-
à-tête. Christian hoche la tête en me libérant – à contrecœur.
Je quitte le lit pour filer dans la salle de bain, ravie de la façon dont mes nouveaux projets ont pris
forme.
***
Je sirote le thé que m’a préparé Gail quand j’entends claquer la porte de la chambre, à l’étage.
Christian apparaît quelques secondes plus tard, dans un costume bleu marine très foncé, une chemise
blanche et une cravate gris pâle. Le soleil qui inonde la pièce met une auréole dorée autour de sa haute
stature, de ses cheveux cuivrés, de ses traits parfaits. Il est beau comme un Dieu grec, un Adonis84. Tous
les matins, j’ai quasiment un choc en le voyant apparaître. Qu’ai-je fait pour mériter un homme pareil ?
— Tu apprécies la vue, Mrs Grey ?
La voix de Christian m’arrache à ma contemplation de groupie ; il s’approche de moi et m’embrasse
sur les lèvres. J’ai le cœur qui tape et de la difficulté à formuler une phrase cohérente.
— Mmm…
— Bonjour, Mr Grey, déclare Gail Taylor de sa voix chaleureuse. Que voulez-vous comme petit
déjeuner aujourd’hui ? Une omelette comme d’habitude ? Ou bien des œufs brouillés et du bacon ?
Tout en parlant, elle lui verse une tasse de café.
— Ce que vous avez sous la main sera parfait, Mrs Taylor, je vous remercie.
J’adresse à Christian un sourire et un clin d’œil. Depuis que je lui ai signalé que le personnel
appréciait, comme tout un chacun, entendre « merci » ou bien « s’il vous plaît », il fait des progrès
réguliers. Je trouve ça adorable de sa part.
Gail nous sert également des muffins fraîchement sortis du four. J’en déguste un en même temps que
mon yaourt parsemé de muesli. Humm, délicieux, un véritable péché de gourmandise. Christian a
raison : le petit déjeuner est un repas important qui met de bonne humeur pour tout le reste de la journée.
Tout en grignotant, je joue avec mon BlackBerry.
— Anastasia, pose ce téléphone, ordonne Christian.
Je me tourne vers lui en fronçant les sourcils. Qu’est-ce qui lui prend ? Qu’est-ce que ça peut lui faire
puisque je dévore mon repas. Je n’ai pas le temps de rétorquer, il continue déjà :
— Mange voyons, tu auras bien le temps de regarder ton téléphone dans la voiture tout à l’heure.
Seigneur ! Il ne peut vraiment pas s’en empêcher : il lui faut contrôler le moindre de mes gestes.
J’hésite à lui envoyer une réplique bien sentie, mais ça ne correspondrait pas à mon plan du jour. Aussi je bas des cils avec un sourire soumis, je range mon téléphone dans mon sac, et je continue mon petit
déjeuner. À mes côtés, Christian mange avec application, aussi concentré que s’il avait à résoudre les
mystères de l’univers.
Quand il a terminé, il s’essuie les lèvres et regarde sa montre.
— J’ai un horaire assez souple ce matin, mon premier rendez-vous n’est qu’à 11 heures. Nous
allons partir ensemble. Je dirai à Taylor de te déposer la première, Sawyer nous suivra avec ta voiture.
Je hoche la tête, ravie. J’aime passer une demi-heure avec lui le matin à l’arrière de la voiture. Même
si parfois, nous restons silencieux, nous sommes la main dans la main. C’est un plaisir en soi.
Christian remarque j’ai entièrement vidé mon assiette, il m’en félicite.
— J’aime te voir un si bel appétit, Ana.
— Je sais. Mon but dans la vie, c’est de te plaire, Mr Grey.
Gail étouffe une petite toux discrète. À mon avis, c’est surtout pour cacher son fou rire. Christian,
quant à lui, paraît étonné que je lui renvoie ses paroles habituelles. Il m’examine avec attention, mais ne
dit rien.
***
À SIP
Vers midi, j’attends un SMS de Christian, comme tous les jours. C’est souvent pour me rappeler que
je ne dois pas oublier de déjeuner, mais il m’écrit aussi pour le plaisir, simplement pour un petit coucou,
ou pour me titiller en me promettant bientôt une session torride.
Aujourd’hui, je ne reçois rien. Je fronce les sourcils, perplexe. Puis je me souviens de ce qu’il m’a
dit ce matin : il avait rendez-vous à 11 heures. Il n’est sans doute pas encore sorti de réunion, voilà tout.
J’ai envoyé Sawyer me chercher un sandwich au pastrami85 – une idée qui m’est venue par hasard,
après avoir vu ce matin sur un arrêt de bus une publicité pour un nouveau « sub86 ». Je me place devant
mon ordinateur portable et d’une main, je tiens à mon sandwich devant ma bouche grande ouverte, de
l’autre, je tape sur mon clavier pour prendre une photo. Heureusement que je suis toute seule dans mon
bureau ! Je n’ose imaginer ce que penserait mon personnel en me voyant faire le clown de cette façon
devant mon écran.
J’envoie à Christian le snapshot87 que je viens de réaliser avec un petit mot d’accompagnement :
***
De : Anastasia Grey
Objet : Epouse parfaite
Date : 30 août 2013, 13:15
À : Christian Grey
 Photo jointe
Je déjeune dans mon bureau, et toi, que fais-tu ?
Je t’aime.
Anastasia Grey
Directrice des acquisitions affamée, SIP
***
Comme toujours, je n’ai pas à attendre longtemps la réponse. Ainsi, il n’est pas en réunion…
Pourquoi ne m’a-t-il pas écrit le premier dans ce cas-là ?
***
De : Christian Grey
Objet : Pas de provocation…
Date : 30 août 2013, 13:18
À : Anastasia Grey
… tu risques d’en subir les conséquences.
Je suis heureux de voir que tu as pensé à manger, ma chère et parfaite épouse
Je t’aime davantage.
Christian Grey
P-DG satisfait Grey Entreprises Holdings, Inc.
***
Je lis avec un grand sourire d’anticipation. J’ai aujourd’hui droit à un échange qui me promet une
session érotique pour ce soir. Ça tombe bien, c’est exactement ce qu’il me fallait pour réussir mon plan
B et forcer Christian à m’accorder d’aller à New York.
***
De : Anastasia Grey
Objet : Mon but est de te plaire
Date : 30 août 2013, 13:21
À : Christian Grey
Je suis toujours avide de ton attention, monsieur.
Tu viens me chercher ce soir au bureau ?
S’il te plaît…
Xoxo
Anastasia Grey
Directrice des acquisitions qui a envie de son mari, SIP
***
J’espère que mon plan va fonctionner, en tout cas, c’est bien parti.
***
De : Christian Grey
Objet : Moi aussi, mon but est de te satisfaire
Date : 30 août 2013, 13:26
À : Anastasia Grey
J’ai très envie d’être déjà à ce soir, les minutes vont me paraître des heures.
Je passerai te chercher à 17h30, nous irons d’abord dîner.
Comme mes parents gardent Ted, nous passerons la nuit à l’Escala.
À 19h30, je te veux en position dans la salle de jeu.
J’ai de grands projets pour toi ce soir, Mrs Grey.
Christian Grey
P-DG impatient, Grey Entreprises Holdings, Inc.
***
Il a de grands projets ? En imaginant ce qui m’attend, un courant électrique me traverse le corps, de
la tête aux pieds, avant de s’arrêter au tréfonds de mon ventre, entre mes jambes, où je sens déjà palpiter
chaleur et humidité. Je serre les cuisses pour contenir cette excitation presque douloureuse. Houlà, à moi
aussi, les minutes vont paraître des heures durant tout l’après-midi.
***
Dans la salle de jeu
— Bravo, baby, tu t’es merveilleusement comportée.
Collé à moi, Christian détache les menottes qui me retiennent les bras au-dessus de la tête. Je suis
tellement fatiguée par le contrecoup de mon orgasme que je n’ai pas la force de lui répondre.
— Mmm…
— Viens, je t’emmène au lit.
Il me serre d’abord contre lui ; mes mains pendent mollement de chaque côté, le sang bat encore au
bout de mes doigts, mon front est appuyé contre sa poitrine nue et humide. Lui et moi avons du mal à
retrouver notre souffle, des frémissements nous parcourent encore la peau.
La session a été absolument divine !
Le monde semble pivoter autour de moi, mes pieds quittent le sol et Christian m’emporte hors de la
salle de jeu, dans le couloir ; il descend l’escalier et peu après, il pénètre dans notre chambre. Quand il
me dépose sur le lit, je sais qu’il n’en a pas fini avec moi, il conclut souvent une session de « baise
tordue » par du « sexe vanille », c’est sa façon de me dire qu’avec moi, il apprécie toutes les formes
d’union physique. Je dois lutter contre les vagues de sommeil qui m’alourdissent les paupières, je me
souviens de mon plan B et je n’ai pas encore obtenu la capitulation de mon très cher époux.
— Christian…
Oh lala ! Que ma voix est rauque ! Je ne m’attendais pas à parler de cette façon. Je me racle la gorge
avant de recommencer :
— Christian, est-ce que tu me considères comme une épouse parfaite ?
Il éclate de rire.
— Je n’irai pas jusque-là, baby, mais je dois avouer qu’aujourd’hui, tu t’es parfaitement comportée.
Je suis plutôt vexée de voir que lui parle d’une voix claire et audible, il paraît en grande forme. Ce
n’est pas mon cas. Je suis une épave. Il s’étend à mes côtés, m’embrasse les cheveux et me serre contre
lui comme s’il avait peur que je m’échappe.
— J’aime te voir comme ça, Mrs Grey.
— Comment ?
— Repue, satisfaite, docile… (À nouveau, il rit doucement.) Pour moi, l’épouse parfaite est une
épouse soumise, baby.
Il est fou ou quoi ? Grrr. Je retiens la remarque acide qui me vient aux lèvres, ce n’est pas le moment
de le remettre dans le droit chemin. Je le sens se détendre, prêt à dormir. Il n’y aura pas de dernier round,
à ce qu’il paraît. Il a dû réaliser que je n’en avais pas la force…
Au moment où il tire la couette pour nous en recouvrir, je prends sa main dans la mienne et lui adresse
mon regard le plus langoureux.
— Christian…
— Oui, baby ?
Il est si tendre, si aimant, son regard sur moi est doux et attentif. Enhardie par sa bonne humeur, je
me lance :
— J’ai vraiment vraiment très envie de quelque chose…
Dieu que c’est difficile ! Je sens le sang me monter au visage. Par association d’idées, j’évoque une
scène de mon enfance : c’était avec Ray, lorsque j’avais dix ans, je voulais absolument des Heelys88
noirs pour mon anniversaire. Je ne cessais de faire des efforts pour les mériter, mais il me répétait, encore
et encore, qu’un tel prix ne se justifiait pas pour des chaussures qui ne seraient à ma taille que quelques
mois. Si je me souviens bien, j’ai eu des sneakers à la place…
Christian me surveille avec une sorte d’étonnement, comme s’il découvrait une facette de ma
personnalité à laquelle il ne s’attendait pas. Nous sommes mariés depuis deux ans, d’accord, mais pense-
t-il tout connaître de moi ?
Il serre les dents et durcit sa prise autour de mes doigts.
— Ana, si tu comptes encore me demander…
Je l’interromps très vite :
— Oui. Exactement. C’est ça : je veux aller à New York.
Il réagit physiquement avant de parler. Je vois ses pommettes s’empourprer, ses veines gonfler sur
ses temples, ses mâchoires se verrouiller. Je pense même que ses narines ont palpité, comme celles d’un
bison en colère. Je me rassois dans le lit, le dos appuyé contre le mur, et je baisse les yeux. Je n’ose plus
le regarder, ses yeux incandescents me font presque peur.
— Anastasia, je croyais que la discussion était close.
— Pas du tout, tu considères juste que j’ai accepté ce refus. Ce n’est pas le cas. Je veux que tu dises
oui.
Après cet aveu, je m’attends au pire. Je sens que mon plan B ne va pas marcher. En fait, la discussion
ne dure même pas deux minutes.
— Tu veux que je dise oui ? C’est une plaisanterie ? Je ne vois pas ce qui peut te donner à penser
que j’allais changer d’avis. Ce projet de voyage à New York est une aberration. Ça l’était hier, ça l’est
encore aujourd’hui. As-tu prévenu Kate que tu n’irais pas ?
Christian parle plus fort à présent et je sens des vagues de rage émaner de lui. Je garde prudemment
les yeux baissés en me tortillant les doigts. Il y a un bail que je ne l’ai pas mis aussi en colère.
— Non.
J’ai marmonné mon aveu à contrecœur.
— Eh bien, fais-le et vite ! tonne Christian. Anastasia, est-ce que c’est clair ? Réponds !
Quand il m’appelle Anastasia, c’est en général qu’il n’est pas content de moi. Et quand il prend sa
voix de dominant, j’ai franchement intérêt à ne pas discuter.
— Oui.
Encore un marmonnement. Encore une réponse aussi brève que possible. Je suis une poule mouillée,
c’est consternant.
Christian pousse un profond soupir. Puis il quitte le lit. Houlà… je me raidis, je ne sais trop ce qu’il
compte faire – ou me faire.
Il s’agenouille sur le plancher, à côté du lit, pour prendre mes mains dans les siennes.
— Baby, regarde-moi.
Il n’est plus en colère, il est bouleversé. Je relève la tête, mes yeux au niveau des siens. Il a de grandes
prunelles grises, inquiètes, aimantes. Je me noie dans leur profondeur.
— Ana, essaie de me comprendre, s’il te plaît. Je ne veux pas que tu prennes de risques et ce
déplacement pour une fashion week qui ne t’intéresse pas du tout n’est qu’un caprice. Si tu veux aller à
New York, dis-le-moi à l’avance, je t’emmènerai quand tu veux, nous irons ensemble. Si je suis avec
toi, je m’assurerai au moins que tu ne risques rien.
— D’accord.
Je hoche la tête. Je ne vois pas ce que je peux dire d’autre. J’aimerais insister, mais si je le fais, il va
se remettre en colère. Et je suis trop fatiguée, je ne veux pas que nous nous couchions sur une dispute.
Je réfléchirai demain à un autre moyen de le faire céder. S’il existe !
Christian soupire et m’embrasse le front.
— Très bien, baby, merci. Maintenant, recouche-toi.
J’obéis passivement. Il se relève, remonte les couvertures autour de moi et chuchote à mon oreille :
— Dors maintenant. J’ai du travail, je serai dans mon bureau. Bonne nuit.
— Merci, toi aussi.
Je ne suis pas certaine qu’il ait du travail. À mon avis, il a besoin d’être seul pour se calmer et
retrouver son self-control. Un jour, il m’a dit que j’étais la seule capable de l’en dépouiller. Et il n’aime
pas ça. Pauvre Fifty ! Après une session aussi passionnée dans la salle de jeu, il était prêt à s’endormir
bien tranquillement. C’est à cause de moi qu’il est à nouveau stressé. Le cœur serré, je le regarde
traverser la chambre et s’éloigner vers la porte. Je n’ai pas envie qu’il s’en aille, pas comme ça – pas
après ce qui vient de se passer.
Quand la porte se referme, je sens les larmes brûlantes couler de chaque côté de ma tête et se perdre
dans mes cheveux. Je ne l’ai pas fait exprès, mais j’ai attendu d’être seule pour pleurer. Je ne voulais
pas que Christian me voie.
Je ne voulais pas ajouter à son fardeau.
***
Vendredi
Christian
Le lendemain, Ana fait mentir mes pronostics sur sa nuit trop courte : elle se réveille avant moi – et
avant que le réveil sonne. Le fait est rarissime. Je la tiens toujours dans mes bras, c’est pour moi la seule
façon de bien dormir, sans cauchemars. J’ai une jambe sur les siennes, comme si, même inconscient, je
m’accrochais au miracle de sa présence à mes côtés. Je la sens se tortiller et plaquer son cul à mon bas-
ventre ! Oh putain ! Mon érection matinale passe, d’un battement de cœur à l’autre, de l’éveil paresseux
à la vitesse du son. Comme formule, c’est bidon – et scientifiquement douteux – mais peu importe, je
me comprends. D’ailleurs, comment réfléchir de façon cohérente ? Tout mon sang a filé plein sud,
laissant mon cerveau tourner pédaler dans la choucroute. Elliot me racontait l’autre jour une blague
vaseuse : « Dieu a donné aux hommes un cerveau et un pénis mais pas assez de sang pour faire
fonctionner les deux en même temps ! » Je comprends mieux ce qu’il insinuait, même si je garde des
doutes sur la nécessité de son hilarité excessive.
Pendant que je rêvasse, Ana se met à genoux et sa bouche goulue se referme sur mon sexe. Merde !
Je ne m’y attendais pas. Sous le choc de cette délicieuse agression, je lévite presque du matelas. Elle est
hyper douée dans ce domaine. Depuis la première fois, vierge fraîchement initiée au sexe, sa façon de
bouffer de la bite m’a bluffé.
Bravo Grey ! Un pur romantique.
Ouais, et alors ? Y a-t-il d’autres termes « politiquement corrects » ? Par exemple, fellation, pipe,
plume, turlute, sucette – ou plus alambiqué : bonheur buccal, délice onctueux – ou elliotesque : kinder
bueno89, astiquage de gourdin, dégorgement de poireau, pompe-le-dard. Dingue, non ? Je cite ce que j’ai
entendu mon frère énoncer au cours des années. Il parlait aussi de « repose-oreilles » parce que, selon
lui : « même une bavarde la boucle si elle a la bouche pleine ! » Je pouvais difficilement lui détailler les
avantages d’un bâillon BDSM et de quelques coups de trique judicieusement attribués… Je l’ai bouclée
aussi.
Lequel des frères Grey gagne la palme du romantisme ?
Ana s’active toujours, j’en oublie mes idées absurdes. D’ailleurs, Elliot n’a rien à foutre dans mon
lit de bon matin, surtout quand ma femme est d’humeur joueuse. Mmm… Que c’est bon ! J’ai été un
bon prof, mais elle avait du potentiel aussi. Meeerde ! Je risque de jouir dans sa bouche sans prendre le
temps de la baiser. Est-ce qu’elle cherche ? Je tente de la prévenir que je suis déjà sur orbite :
— Ana… baby… oh merde !
Grey, tes explications ne sont pas très claires…
Je me cabre comme un étalon qui découvre le mors pour la première fois. Ana s’agrippe à mes
hanches, sa paume me brûle la peau, je me sens comme marqué au fer rouge. Foudroyé, je retombe de
tout mon poids sur le lit, jambes ouvertes. Je suis à elle, qu’elle fasse de moi ce que bon lui semble. Elle
m’attrape par les cou*lles. Un long frisson me traverse, aussi violent qu’une décharge électrique.
C’est l’adrénaline, Grey. Normal, mec. Tu t’inquiètes pour tes coucougnettes.
— Bordel de merde ! Ana, je vais bientôt…
L’orgasme monte, monte, l’éruption est désormais inévitable. Des éclairs blancs flashent derrière
mes paupières crispées, un long rugissement sauvage émane de ma gorge et me vrille les tympans, mon
corps convulse par saccades, tout le temps que je mets à me déverser dans la bouche d’Anastasia… Elle
déglutit et je sens la force préhensible des muscles de sa gorge sur le gland ultrasensible de mon sexe.
La sensation est indescriptible. Je hurle :
— Ana !
S’agit-il d’un aveu de défaite ou d’un cri de victoire ? Comment savoir… Elle m’a mis à genoux. Je
suis lessivé, vidé. Je flotte dans un univers alternatif…
Je renais de mes cendres dans un difficile effort de volonté.
Ana me regarde avec l’air satisfait d’une chatte ayant vidé une jatte de crème, elle se lèche les lèvres,
je qui provoque en moi une image très précise. J’en frémis. Un vague regret me vient : je n’aurais pas
dû fermer les yeux, je me suis privé d’un sacré spectacle.
Elle est trop adorable ! Je me plie en deux en contactant mes abdos pour l’empoigner sous les aisselles
et la remonter jusqu’à moi. Je l’embrasse avec une passion frénétique. Je trouve mon goût dans sa
bouche. Ça ne me gêne pas, mais je préfère son miel à elle, plus salé que musqué, délicieusement
parfumé aux épices féminines. Je plante ma langue dans sa bouche, en de longs va-et-vient érotiques
pour mimer l’acte de possession que j’envisage de pratiquer très bientôt – le temps de récupérer.
Je retombe brutalement sur terre quand l’alarme du réveil se déclenche. Je pousse un grondement
frustré. Bordel ! Jamais la paix !
Ana se débat pour se libérer. Elle parle de se lever et de prendre une douche pour être à l’heure au
bureau. Elle est folle ou quoi ? Rien à branler de ses horaires à la con : je veux la baiser. Je cherche à
me justifier noblement : je lui dois un orgasme, c’est la moindre des choses.
— Reste au lit avec moi. Je veux faire l’amour à ma femme.
Je la serre contre moi pour mieux l’embrasser et la caresser, elle cède quelques secondes. Au moment
où je sens la victoire à ma portée, elle m’échappe et s’écarte jusqu’au bord du lit.
— Je ne peux pas, dit-elle, à regret. Je dois être au bureau à 8 h 30 pour rencontrer un nouvel auteur.
Et j’ai une journée extrêmement occupée.
Elle a le visage empourpré, les seins qui pointent et le souffle court. Moi, je bande et je déteste rester
sur une frustration sexuelle. Mais, alors que je m’apprête à la rattraper, je me souviens que jamais je ne
suis en retard au bureau, jamais je n’annule un rendez-vous. Ou presque jamais. C’est une question de
principe. Elena tenait beaucoup à la ponctualité, elle me l’a enseignée à coups de fouet. Elle a raison :
la paresse ne paye pas dans le monde du travail.
Ana mérite que je respecte son boulot et son engagement professionnel.
— Nous aurons le temps de nous rattraper ce soir, chuchote-t-elle avec un clin d’œil aguicheur.
Ah, bien sûr : c’est vendredi ! Notre soirée à nous… Quand j’ai appris la grossesse d’Ana, une de
mes pires craintes (bien égoïste, je le reconnais) était que ses devoirs maternels prennent le pas sur son
rôle d’épouse et d’amante. Nous avons alors décidé, d’un commun accord, de garder un soir de la
semaine rien que pour nous. Depuis, nous avons déménagé à Broadview, mais j’ai conservé mon
appartement de l’Escala – et la salle de jeu. C’est souvent là que nous nous retrouvons pour de folles
sessions où tout est permis. Mes parents sont trop heureux d’avoir avec eux leur premier petit-fils ! Et
quand ils sont occupés ailleurs, nous laissons Teddy à Gail Taylor ou, plus rarement, Kate ou à Mia. Ce
n’est arrivé qu’une fois ou deux. Je ne suis pas très rassuré de savoir mon fils avec elles, même sous la
protection de plusieurs agents à qui je donne – en cachette d’Ana – un épais dossier d’instructions
détaillées !
Ana s’est déjà enfermée dans la salle de bain. Tu me le paieras ce soir, baby. Tu ne perds rien pour
attendre. Je m’étire langoureusement. Quelle merveilleuse façon de commencer la journée !
Dès qu’elle a fini, je la laisse se préparer et je vais prendre une douche. J’en ai pour cinq minutes
chrono. Et je ne mets guère plus de temps à m’habiller. C’est pratique d’avoir un « uniforme » de travail :
chemise de lin blanc et costume gris, noir ou bleu marine. Même mes cravates sont toutes plus ou moins
dans les mêmes teintes.
Tu deviens routinier, Grey. Un vrai petit vieux avant l’âge. Tu mériterais peut-être un relooking.
Le soleil brille sur le détroit de Puget Sound quand je dévale l’escalier, je trouve Ana dans la cuisine.
Gail Taylor s’active discrètement au fourneau, une bonne odeur de café fraîchement passé flotte dans la
pièce, mêlée à celle d’une pâtisserie qui cuit dans le four.
Ana me fixe d’un air enamouré. Elle a les yeux vitreux, ce qui me fait rire. Je ne résiste pas à mon
envie de la taquiner, elle s’empourpre délicieusement. Merde, je recommence à bander. Ce n’est pas le
moment.
Heureusement, Mrs Taylor interrompt mes fantasmes par un bonjour aimable et une question bien
terre-à-terre concernant ce que je souhaite prendre en guise de petit déjeuner.
Comme je peux difficilement lui dire la vérité : ma femme – je crois que Taylor prendrait très mal
que je choque cette brave dame – je lui donne une réponse évasive.
— Ce que vous avez sous la main sera parfait, Mrs Taylor, je vous remercie.
Je suis conscient d’avoir obsession concernant la nourriture : je déteste le gaspillage, mais je me fiche
un peu de ce que je mange. Je tiens à ce soit sain et bien préparé, certes, mais j’ai des goûts éclectique.
J’ai mangé du foie gras à Paris, de la panse de brebis farcie en Ecosse, des scampis en Italie, des rouleaux
de printemps en Asie. Je peux tout avaler. C’est par facilité que je conserve mes habitudes : par exemple,
une omelette aux blancs d’œufs au petit déjeuner, des protéines sans calories. Encore un problème de
routine ? Cette idée me perturbe.
Ana me sourit et me fait un clin d’œil. Elle est d’excellente humeur depuis son réveil, j’en suis
enchanté. Je sirote mon café avec béatitude. Tout va bien dans mon petit monde. Teddy dort encore. Il
est trop tôt pour lui. Dimanche, quel que soit le travail que j’aurai emporté, je veillerai à passer du temps
avec lui. Il grandit trop vite. Chaque moment est précieux.
Mrs Taylor sort un plat métallique du four et je découvre enfin la provenance de cette odeur
délicieuse : des muffins. Ils sont fourrés aux myrtilles, ce que je préfère. Je vois avec un sourire satisfait
Ana en dévorer un sans cacher son plaisir. Elle lèche même les miettes sur ses doigts. Une vraie enfant !
Le contraste est frappant entre son attitude décontractée et sa tenue sophistiquée. Elle porte
aujourd’hui une jupe blanche immaculée et un chemisier en voile gris sombre, avec des escarpins noirs.
Je contemple ma femme-enfant, le cœur gonflé d’amour.
Elle joue avec son téléphone tout en déjeunant. Quoi ? Je fronce les sourcils.
— Anastasia, pose ce téléphone.
Il y a des moments pour tout. À mon avis, manger mérite qu’on y consacre toute son attention, qu’on
le fasse calmement, c’est bien meilleur pour la digestion. Ana sursaute et m’adresse un regard courroucé.
Elle regarde ensuite Mrs Taylor d’un air gêné. Pourquoi ? Je ne comprends pas. Puis… illumination :
elle est vexée que je l’aie reprise devant le personnel. Peuh ! Nous sommes rarement seuls. Si je devais
attendre une totale intimité pour faire des remarques à ma femme, ce ne serait possible que la nuit. Et je
préfère agir sur l’impulsion du moment. D’ailleurs, ce n’est pas la première fois que je conseille à Ana
de manger sans tripoter un livre ou un téléphone. Elle n’écoute jamais mes instructions ! Je tente de
rattraper ma réflexion en disant gentiment :
— Mange voyons, tu auras bien le temps de regarder ton téléphone dans la voiture tout à l’heure.
Elle sourit, apaisée. Voilà qui est mieux. Ce n’est pas si difficile de doser un échange verbal d’un
zeste de diplomatie. Je comprends de mieux en mieux ce que voulait dire Flynn en parlant de
« compromis ». Mais quand même, c’est du temps perdu non ? Si je devais faire ça avec tous mes
employés, mes journées de vingt-quatre heures n’y suffiraient pas. Je fronce les sourcils, perplexe. Je
me demande comment font les autres hommes pour gérer leurs femmes. Elliot, par exemple, qui a épousé
la Mégère Non apprivoisée ? D’accord, en semaine, elle est souvent barrée à travers le pays, mais quand
même, le mec est courageux. Et ce pauvre Ethan qui s’apprête à supporter Mia… J’adore ma sœur, mais
je connais ses défauts mieux que personne : elle est soûlante !
J’ai fini de déjeuner, je regarde sa montre. J’ai libéré ma matinée pour étudier le dossier Appli Net
avec Ros, Barney et Roberts. Je n’ai rien avant 11 heures, je décide de prendre Ana avec moi dans
l’Audi, ce qui nous accordera une petite demi-heure supplémentaire à passer ensemble. J’espère qu’elle
ne la passera pas à lire ses mails sur son BlackBerry. Je m’intéresse davantage à notre programme de la
soirée. Devons-nous en décider ensemble ou bien préférerait-elle une surprise ? Dilemme, dilemme…
— Nous allons partir ensemble, baby. Je dirai à Taylor de te déposer la première, Sawyer nous
suivra avec ta voiture.
Elle hoche la tête et son enthousiasme me ravit. Je la regarde sauter de son tabouret avec grâce. Je
vérifie son assiette restée sur le comptoir de marbre : elle a tout mangé. Ce n’est pas toujours le cas. Je
prends le temps de l’en féliciter.
Elle lève un nez insolent pour rétorquer :
— Je sais. Mon but dans la vie, c’est de te plaire, Mr Grey.
Elle se fout de toi, Grey. Je reconnais mes propres paroles, bien entendu, mais je sens autre chose en
arrière-fond, une sorte de… défi. Je ne sais pas ce qu’elle a encore en tête. J’hésite à l’interroger, puis
j’y renonce. J’imagine que je le découvrirai bien assez tôt. D’ailleurs, il est l’heure.
J’entraîne Ana jusqu’à la voiture où Taylor nous attends.je préviens Sawyer du changement de
programme, il nous suivra avec la voiture d’Ana. Je ne sais pas encore à quelle heure je finirai ce soir.
Je n’ai pas décidé non plus si nous irons à l’Escala ou pas.
Tant de possibilités…
***
Les grilles de la propriété se referment. Taylor, toujours soucieux de la sécurité de sa femme, attend
leur clôture complète sur la Saab de Sawyer avant de démarrer.
Je prends la main d’Ana.
— Que veux-tu faire ce soir, baby ?
— Je ne sais pas encore…
Elle semble évasive, comme je venais de l’arracher à ses pensées.
— Nous pourrions aller manger un morceau en ville, puis passer la nuit à l’Escala. À moins que tu
préfères diner à l’appartement ?
— Je peux te donner ma réponse plus tard dans la journée ?
— Oui, bien entendu.
Je lui embrasse les doigts, puis je garde sa main dans la mienne. Ana appuie la tête contre le cuir de
son siège et contemple rêveusement le paysage qui défile derrière la fenêtre. Je crains qu’elle n’ait pas
assez dormi finalement ! Je la laisse se reposer tranquillement. Du coup, je reviens au dossier Appli Net.
Il faut que Ros et moi revoyions en détails nos points forts. Qu’est-ce qui peut nous donner un avantage
sur les deux formidables adversaires que nous allons devoir affronter ? Je pense que…
***
La matinée passe à toute vitesse, sans rien apporter de vraiment décisif. À 11 heures, je reçois deux
hommes de mon département gestion, Alejandro Sampras et Joe White, je les ai chargés d’étudier le
dossier SIP et ses prévisions bilancielles à cinq ans. Je vais bientôt transférer à Ana la direction de cette
boîte, comme ça a toujours été mon but. J’ai observé ma femme ces derniers mois. C’est une excellente
éditrice, elle a le don de découvrir de nouveaux auteurs talentueux, mais également celui – bien plus
intéressant, financièrement parlant – de prévoir ce qui sera bien reçu par le public, et donc rentable. Ce
n’est pas le cas de tous ses collègues. Certains sont enfermés dans leur petite bulle sans s’occuper du
montant de leurs ventes. Je ne comprends pas que Roach les ai laissés faire. Je crois qu’il tenait
simplement à ce que sa maison d’édition présente le panel le plus ouvert qui soit. Ouais, lui aussi oublie
parfois la dure réalité. Il faut que ça change, surtout dans la conjoncture actuelle. Une société qui
n’évolue pas est condamnée. Je veux qu’Ana soit libre de choisir elle-même son équipe. Il me faudra
simplement lui donner quelques cours accélérés de comptabilité et je ne suis pas certain qu’elle apprécie
les chiffres… Bien sûr, elle sera bien encadrée par mes gestionnaires de GEH, mais un P-DG responsable
doit être capable de lire un bilan, même si ce n’est pas son domaine de prédilection.
Je regarde ma montre : 12 h 30 heures. Je n’ai pas vu passer le temps ! Il est temps de déjeuner.
J’envoie Taylor me chercher un bagel au poulet et une gatorade90 nature. Il ramène la même chose pour
lui. Quand nous avons terminé de manger, je me sens nerveux et irritable. Mon euphorie matinale n’aura
pas duré – l’après-midi risque d’être long. Il faut que je fasse baisser ma pression. La meilleure solution,
c’est le gymnase GEH.
— Je descends courir une demi-heure en bas, dis-je à Taylor.
— Je vous suis, Mr Grey.
Je ne risque ni de me perdre ni de me faire enlever entre mon bureau, au vingtième étage de ma tour,
et le sous-sol, mais Taylor met un point d’honneur à toujours s’exercer avec moi. Pour un homme qui a
une décennie de plus que moi, il tient une forme du tonnerre. Plus lourd et plus musclé, il a un avantage
sur le ring. Je suis plus grand, plus souple, ce qui compense au corps-à-corps.
En remontant après un bref et énergique interlude, je prends une douche dans la salle de bain attenante
à mon bureau. Depuis une triste expérience il y a quelques mois, j’évite les vestiaires du gymnase,
surtout à l’heure du déjeuner. Je reviens à peine dans mon bureau quand mon ordinateur fait « ping ».
C’est un mail d’Ana. Elle s’est prise en photo devant son PC, la bouche grande ouverte devant un
long sandwich de forme phallique. Bien évidemment, la façon font elle m’a réveillé ce matin me revient
en mémoire. Je me remets à bander. J’ai l’air fin !
Tu aurais peut-être dû éviter une boisson énergétique, Grey !
***
De : Anastasia Grey
Objet : Épouse parfaite
Date : 30 août 2013, 13:15
À : Christian Grey
Photo jointe
Je déjeune dans mon bureau, et toi, que fais-tu ?
Je t’aime.
Anastasia Grey
Directrice des acquisitions affamée, SIP
***
Épouse parfaite ? Baby, vraiment, tu ne doutes de rien… Ana est toujours drôle et inattendue. J’aime
ça. Je lui réponds un sourire aux lèvres.
***
De : Christian Grey
Objet : Pas de provocation…
Date : 30 août 2013, 13:18
À : Anastasia Grey
… tu risques d’en subir les conséquences.
Je suis heureux de voir que tu as pensé à manger, ma chère et parfaite épouse
Je t’aime davantage.
Christian Grey
P-DG satisfait Grey Entreprises Holdings, Inc.
***
Pour dire la vérité, à mes yeux, elle est parfaite. Parfaite pour moi. Et après la matinée que je viens
de subir, un petit échange mailique réussira bien mieux à me calmer que des heures à courir comme un
dératé sur le treadmill.
***
De : Anastasia Grey
Objet : Mon but est de te plaire
Date : 30 août 2013, 13:21
À : Christian Grey
Je suis toujours avide de ton attention, monsieur.
Tu viens me chercher ce soir au bureau ?
S’il te plaît…
Xoxo
Anastasia Grey
Directrice des acquisitions qui a envie de son mari, SIP,
***
Bon, c’est sans doute sa réponse à ma question de ce matin. Ce sera donc l’Escala. Le « monsieur »
est très clair, elle veut se soumettre dans la salle de jeu. J’ai des tas d’idées pour pimenter nos ébats.
***
De : Christian Grey
Objet : Moi aussi, mon but est de te satisfaire
Date : 30 août 2013, 13:26
À : Anastasia Grey
J’ai très envie d’être déjà à ce soir, les minutes vont me paraître des heures.
Je passerai te chercher à 17h30, nous irons d’abord dîner.
Comme mes parents gardent Ted, nous passerons la nuit à l’Escala.
À 19h30, je te veux en position dans la salle de jeu.
J’ai de grands projets pour toi ce soir, Mrs Grey.
Christian Grey
P-DG impatient, Grey Entreprises Holdings, Inc.
***
À 17 h 15, je quitte mon bureau, à la grande surprise de Ros et d’Andrea qui s’attendaient à me voir
passer des heures sur notre dossier en cours. Non, mesdames, ma femme m’attend et elle a la priorité à
mes yeux. Un quart d’heure plus tard, Taylor et moi sommes devant l’immeuble SIP. Ana sort avec une
ponctualité qui me fait plaisir, Sawyer sur les talons.
— Bonsoir, Taylor, dit-elle pendant qu’il lui tient la portière.
— Mrs Grey.
Ana glisse jusqu’à moi sur la banquette, elle m’embrasse au coin des lèvres.
— Bonsoir, Mr Grey. Où allons-nous diner ?
— J’ai pensé à un Italien qui vient d’ouvrir à Pike Market. Ça te va ?
— Oh oui ! Excellente idée. C’est The Pasta, non ? Mia m’en a déjà parlé.
Je me renfrogne intérieurement. Mia y a certainement été avec Ethan qui habite à proximité. J’aurais
préféré que ce restaurant soit une surprise pour Ana. J’ai bien conscience que mon attitude est puérile et
ma contrariété sans fondement, aussi je ne dis rien.
Nous sommes peu après installés dans une petite alcôve discrète, l’ambiance est intime et feutrée. Je
tends la carte du menu à Ana. Elle éclate de rire.
— Tu n’as pas tout commandé à l’avance cette fois ?
— Non, baby. Je ne veux pas être trop… prévisible. De quoi as-tu envie ?
Elle étudie un moment les différentes propositions avant de se décider.
— Je vais prendre des pâtes. Ce sont les spécialités après tout. Personne ne peut réussir une sauce
a la putana aussi bien que Gail. Je vais tenter leurs cannellonis fourrés au fromage de chèvre frais et
pesto d’épinard. Et un tiramisu pour le dessert ! Et toi ?
— Des farfalles carbonara aux cinq légumes et une panna cotta aux fruits rouges avec des biscotti.
Pour accompagner notre menu, je choisi un Trebbiano d’Abruzzo, un cépage qui provient d’Italie
centrale. J’ai toujours eu un faible pour le vin blanc.
***
Tout le repas n’a été qu’un long préliminaire. Ana et moi sommes aussi excités l’un que l’autre en
prenant l’ascenseur à l’Escala. Je me retiens de la toucher, je ne veux pas gâcher notre session par une
trop grande précipitation. Nous émergeons dans l’appartement silencieux. Avec un sourire lascif, Ana
file tout droit vers l’escalier qui monte à l’étage. Moi, je prends la direction de notre chambre pour me
changer. Je compte me déshabiller et mettre mon jean fétiche, qui se trouve dans le tiroir de la commode.
À 19 h 30 précise, je suis devant la porte de la salle de jeu, la main sur la poignée, plein d’anticipation.
Je pousse la porte. Ana est là, dans la posture d’une soumise : à genoux, tête baissée, cuisses ouvertes.
Elle est quasiment nue, elle ne porte qu’une culotte en soie bleu nuit, largement échancrée sur les côtés.
Seul un petit bouton retient le tissu aérien très haut sur ses hanches.
Je n’y peux rien, mon cerveau reconnait le scénario : cette pièce, cette femme, cette ambiance. Un
brouillard rouge me passe devant les yeux. Je suis depuis trop longtemps un dominant pour pouvoir
changer en quelques mois de bonheur conjugal. Mon corps a des années d’expérience, il sait exactement
ce qui va se passer. Il réagit, prêt à prendre les commandes. Je ne suis plus que testostérone et passion.
— Anastasia, que tu es belle ! Relève-toi.
Elle obéit, les yeux baissés. Elle suit le protocole, j’en suis ravi.
— Je vais t’attacher. Donne-moi ta main droite.
Elle me la tend, avec confiance. Je la conduis sous mon treillis. J’opte pour un jeu de menottes en
cuir. Elle suit avec attention chacun de mes gestes, mais discrètement, entre ses cils. Je fais semblant de
ne pas le remarquer. Je compte lui masquer les yeux, elle ne verra pas longtemps ce qui se passe.
— Lève les bras au-dessus de la tête.
Elle obéit. Son corps pulpeux s’étire. Quand je lui attache les poignets aux bracelets des menottes, je
vois ses yeux s’écarquiller, ses iris bleus ont foncés sous l’afflux du désir, ses pommettes se sont
empourprées. Je recule d’un pas pour l’admirer. Puis je tourne autour d’elle, comme un prédateur
salivant sur sa délectable proie. Malgré sa grossesse et son allaitement de notre fils, elle a toujours des
seins très fermes. Leurs pointes roses, déjà érigées, me paraissent avoir un peu foncé. Quant au cul
d’Ana, il est rebondi et superbe. Il est à moi. Je décide d’y goûter à nouveau ce soir – un plaisir que je
me permets rarement… Ana est encore novice de ce côté-là.
Elle est à ma merci. Je peux faire d’elle tout ce que je veux. Et ça m’excite. Je me mets à genoux
pour la débarrasser de sa culotte. Je n’ai pas à la faire glisser le long de ses jambes, les deux petits
boutons cèdent et je jette négligemment derrière moi le sous-vêtement humide de ses sucs intimes.
Je retourne à ma commode chercher un masque. Il ne s’agit pas d’un simple foulard en soie, c’est un
vrai modèle BDSM : un loup en cuir avec deux anneaux sur les côtés et un devant – je n’aurais pas
l’usage, mais j’aime bien l’effet esthétique. Il n’est pas trop serré, il lui permettra de cligner les yeux. il
ne couvre ni le nez ni la bouche, Ana n’aime pas.
Je positionne avec soin ce masque sur le visage de ma femme, avant de lui chuchoter à l’oreille.
— Nous allons jouer ce soir à un nouveau jeu, baby. Tu vas devoir reconnaître ce que j’utilise sur
toi. Si tu réussis, tu seras récompensée ;si tu perds, tu auras un gage. Compris ?
— Oui, monsieur, souffle-t-elle.
Je souris en entendant sa voix haletante. Elle aime ce challenge, je le sens. Le parfum de son sexe
monte entre nous, humide et épicé. Ce qui m’enivre comme le plus riche des nectars. L’idée de boire
tout à l’heure à la source de sa passion même me fait frissonner.
J’aligne mes divers accessoires. Ana m’a demandé jadis de jeter les plus hardcore, les triques, cannes
et fouets. Je comprends pourquoi : elle n’est pas masochiste, elle n’aime pas la douleur pour la douleur.
Par contre, elle apprécie la « baise tordue » que nous pratiquons ensemble. Durant sa grossesse, je n’ai
utilisé que la cravache en cuir tressé (qu’elle a choisie elle-même), le martinet en daim et quelques sex-
toys… De plus, vu que nous baisons le plus souvent en dehors de la salle de jeu, il m’a fallu faire preuve
d’imagination quand je désirais lui administrer une petite correction ou pimenter nos ébats. Je me rappelle d’une règle de bureau, d’une spatule de cuisine, d’un magazine, plié en deux, et même, un soir
dans mon bureau, d’un fil d’ordinateur ! Bref, en cherchant avec l’esprit ouvert, on trouve toujours.
Ce soir, je voudrais qu’Ana comprenne que tous de mes anciens accessoires ne sont pas forcément
douloureux ou traumatisants. Et ce sera bien plus facile de l’en persuader si elle ne les voit pas !
Je lui cingle les reins avec le martinet de daim. Elle sursaute et pousse un piaillement. Elle ne m’avait
pas entendu revenir derrière elle.
— De quoi s’agit-il, Ana ?
— Du martinet !
— Bravo.
Je pose délicatement deux petites pinces à seins sur ses pointes dressées. Elle se tortille en gémissant.
— C’est bon ?
— Oui.
Merde ! Elle oublie déjà le protocole ? J’abats avec force le martinet sur ses fesses rondes. Ce n’est
pas très douloureux, mais elle grimace. J’insiste :
— Oui, qui ?
— Oui, monsieur, répond-elle, d’une petite voix soumise.
Parfait. Continuons l’expérience. Elle reconnait sans peine la cravache, la règle de plexiglas (que j’ai
remontée de mon bureau), les plumes, la baguette vibrante. À chaque bonne réponse, je tire sur la
chaînette qui relie les pinces. Ana a les seins très sensibles. Je peux la faire jouir rien qu’en lui caressant
la poitrine, mais ce n’est pas ce qui m’intéresse ce soir.
Je souris en regardant le reste de mon matériel. Elle aura du mal à reconnaître ces divers objets : elle
ne les a jamais subis ! Il y a une cravache en style cuir noir, terminée par une petite main ; un autre
modèle de martinet, une sorte de mini-fouet à lanière ; un chat à neuf queues en cuir d’un rouge agressif ;
un flagellateur ; deux palette, une roue de Wartenberg…
J’essaie chacun d’eux sur Ana. Elle se cabre, elle cherche – elle se trompe – elle geint de façon
érotique quand je l’en punis. Quelques petits coups légers du mini-fouet, entre ses jambes, l’excitent
sans lui faire mal. Ensuite, elle reconnait les piquants acérés de la roue que je fais glisser sur son ventre.
Normal, je lui ai montrée cet accessoire une fois, quand elle fouillait les tiroirs de ma salle de jeu. Pour
la féliciter, je décide de lui donner le choix du bouquet final.
Je lui demande ce qu’elle a préféré des différents accessoires.
— Le dernier, souffle-t-elle.
La palette ? J’en ai utilisé deux, la première était cloutée, elle m’a semblé trop rigide, Ana n’en a
reçu qu’un seul coup sur les fesses ; la seconde, plus longue, est bien flexible, avec un manche en bois
– qui peut servir d’olisbos91 – et une partie rectangulaire en cuir souple. Je souris. Ce sera donc avec
cette palette noire que clôturerai la session. Je range tout le reste avant de revenir auprès de ma femme.
Je lui caresse les seins de la bande de cuir. Je détache ensuite les pinces et le sang revient dans les
pointes engorgées. Sous l’effet du plaisir-douleur, Ana renverse la tête en arrière. Je passe la main entre
ses jambes, elle est trempée et ses cuisses tremblent. Merde, je dois aller vite. Je vibre déjà des pieds à
la tête du désir de la prendre, mais je suis dans mon monde – aux commandes de son corps, de son
plaisir. Et attendre rendra plus intense ma jouissance de tout à l’heure. C’est un plaisir en soi de voir
Ana me répondre avec tant d’enthousiasme ! Je relève ma palette, je la frappe en travers de l’estomac,
plusieurs fois, à petits coups qui la sensibilisent sans lui faire mal. Les claquements sont très
satisfaisants. Je passe ensuite à ses flancs, au bombé de son mont de Vénus, entre ses jambes. Elle crie
et me supplie :
— S’il te plaît ! Je veux…
— Silence !
Je lui cingle les fesses, plus fort, en savourant la vibration qui me remonte dans le bras. Puis je
reprends mes caresses. Je glisse le bout arrondi du manche en bois entre les lèvres de son sexe. Ana
tressaute. Elle est prête, moi aussi. Je la pénètre, elle hurle.
— Vas-y, baby, jouis pour moi.
Comme pour répondre à ma demande, elle se renverse en arrière, secouée par son orgasme… je jette
ma palette pour soulever ma femme et l’empaler. Merde, je ne peux plus attendre. Je la martèle avec
frénésie. J’explose quelques minutes après. Les jambes coupées, je manque m’écrouler avec elle dans
mes bras. Heureusement, il y a un rail métallique sur le treillis et je fais coulisser Ana jusqu’au mur.
Maintenant que j’ai un appui, je pense réussir à la détacher.
— Bravo, baby, tu t’es merveilleusement comportée.
Elle dodeline de la tête, épuisée. Merde, je voulais la sodomiser… Depuis son initiation, en juin
dernier, je l’ai plusieurs fois reprise de cette façon. Une fois ici, dans la salle de jeu, avec un bondage
compliqué. J’aime aussi le faire au réveil, quand Ana est parfaitement détendue, parce que sa position,
allongée sur le côté, me donne un angle d’accès idéal. Mais là, ce n’est pas possible, elle n’a pas assez
dormi. Je l’embrasse sur le sommet du crâne.
— Viens, je t’emmène au lit.
Ana ne répond pas, elle pend mollement contre moi, dûment satisfaite. Je l’emporte dans mes bras
et quitte la salle de jeu, refermant soigneusement la porte derrière moi. Quelques minutes plus tard, je
la couche sur notre lit, dans notre chambre. J’hésite à recommencer à la caresser mais ses yeux
papillonnent, elle n’en peut plus. Je souris, elle manque parfois d’endurance, ma petite fée.
— Christian… chuchote-t-elle d’une voix éraillée par la fatigue – et ses cris de passion, tout à
l’heure dans la salle de jeu.
— Oui, baby ?
Aurait-elle besoin d’un verre d’eau ? Ou encore d’un massage ? J’ai peut-être un peu abusé, elle a
sans doute des crampes après être restée si longtemps les bras en l’air.
— Christian, est-ce que tu me considères comme une épouse parfaite ?
Quoi ? Je ne m’attendais pas à une telle demande. J’éclate de rire en me souvenant de l’intitulé de
son mail à l’heure du déjeuner. Parfaite ? Non, je n’irai pas jusque-là, baby. À mes yeux, une épouse
parfaite serait prête pour le round 2 – sinon le 3. Je me sens en forme, je pourrais la baiser toute la nuit,
même ici, dans notre chambre, sans accessoires. Je pourrais faire tout le travail, elle n’aurait qu’à jouir
en criant mon nom. Hmm… C’est tentant.
Je note qu’elle a ouvert les yeux, ses grandes prunelles bleues sont implorantes. Je ne veux pas gâcher
l’ambiance délicieusement décontractée par une critique latente.
Je réponds à mi-voix :
— Je dois avouer qu’aujourd’hui, tu t’es parfaitement comportée.
Elle parait déçue ? Désolé de lui avoir fait de la peine sans le vouloir, je me couche auprès d’elle
pour la serrer – très fort – dans mes bras. Elle m’est si chère. J’ai tout le bonheur du monde, là, contre
moi.
— J’aime te voir comme ça, Mrs Grey.
— Comment ?
Je ris de son insistance juvénile.
— Repue, satisfaite, docile… Pour moi, l’épouse parfaite est une épouse soumise, baby.
J’ai dit ça en riant, en guise de plaisanterie. L’humour n’est pourtant pas mon fort, mais parfois, avec
Ana, je m’y essaie. Elle éveille en moi des impulsions que je n’ai jamais connu : je veux être jeune et
insouciant pour mieux la chérir. C’est difficile. Ce n’est pas vraiment dans ma nature.
Je décide de rester un moment avec elle, le temps qu’elle s’endorme. J’irai ensuite travailler dans
mon bureau. J’ai emmené mes dossiers, je peux aussi bien me concentrer dessus ici qu’à GEH. J’ai peur
qu’Ana ait froid. J’hésite à lui faire enfiler un pyjama, mais elle me semble déjà presque endormie.
Merde, j’aurais dû y veiller plus tôt. Je suis très mécontent de mon inattention. Je tire la couette pour
emmitoufler ma femme dedans.
— Christian…
— Oui, baby ?
— J’ai vraiment vraiment très envie de quelque chose…
Je la vois rougir. Je frémis, très attentif. Va-t-elle me demander d’autres détails sur ces accessoires
que je lui ai fait découvrir ce soir ? Allons-nous franchir une autre étape de « baise tordue » ? J’ai encore
tant à apprendre à Ana, dans ce domaine. Toute une vie de joies et de plaisirs partagés s’étale devant
mes yeux éblouis. Elle semble plus éveillée à présent, elle a récupéré plis vite que je l’aurais cru… Une
fois encore, elle réussit à me surprendre.
Je comprends mal l’éclat de culpabilité qui brille dans son regard fixé sur moi. Elle sait bien qu’elle
peut tout me dire, m’avouer ses désirs les plus secrets. Je le vois alors ce tordre les doigts, le même geste
qu’elle a eu tous ces derniers jours pour évoquer ce foutu voyage à New York. Je retombe de mon
fantasme érotique à la vitesse grand V. l’atterrissage est brutal. Je suis en rogne. Je serre les dents pour
tenter de contrôler ma colère. Je préfère aussi m’assurer que mes soupçons sont fondés avant de
m’emporter pour de bon.
Je prends sa main dans la mienne, ses doigts tremblent. Je n’aime pas ça.
— Ana, si tu comptes encore me demander…
Elle me coupe la parole, une insolence qui n’arrange en rien mon humeur.
— Je veux aller à New York.
Crac – boum. Le crash est si brusque que tout mon être en frémit. Ana n’a-t-elle pensé qu’à cette
putain de fashion week pendant que nous étions ensemble là-haut ? Qu’est-ce qui lui prend ? Pourquoi
cette obsession ? Aurait-elle envie de rejoindre quelqu’un – un homme ? Non, je n’arrive pas à y croire.
Ce doit plutôt être un salon du livre. Je vais demander à Welch de vérifier quelles manifestations se
déroulent actuellement ayant un rapport quelconque avec l’édition. Je me souviens de l’insistance
indécente qu’a manifestée Ana, alors qu’elle venait juste d’entrer à SIP, pour assister à un colloque avec
son patron d’alors, ce misérable Hyde. Elle envisageait la bouche en cœur de passer une nuit à l’hôtel
avec lui. Plus tard, quand j’ai appris la vraie nature de ce fumier et son habitude de violer ses jeunes
assistances avant de les filmer, j’en ai eu des cauchemars récurrents plusieurs mois durant.
Ma femme n’a rien de « parfait ». Elle est inconsciente !
Je cherche à contenir la rage qui bouillonne en moi parce que toutes ces nuits sans dormir quand mes
agents ne réussissaient pas à mettre la main sur Hyde me reviennent à l’esprit. Comment protéger Ana
si elle ne réalise pas les dangers ? Si un caprice pour elle passe avant sa sécurité ?? J’aurais cru qu’en
devenant mère, elle acquiert un nouveau sens des responsabilités, c’est un échec.
Elle se rassied dans le lit et recule, collée à la tête de lit. Elle baisse les yeux, mais j’ai eu le temps
de voir les larmes dans ses yeux. Ce n’est pas du remords, non, je connais ma femme. Merde ! Elle a
peur ? Elle a PEUR DE MOI ! C’est le pompon ! Elle aurait aussi bien pu me planter un couteau dans
les côtes, ça aurait été moins douloureux. Je baisse les yeux sur mon torse nu. Je ne saigne pas. Étrange,
je sens pourtant une blessure béante qui vient de s’ouvrir.
— Anastasia, je croyais que la discussion était close.
Je ne reconnais pas ma voix. Elle est atone. Lointaine et détachée. Je me souviens d’une phrase : On
souffre toujours par ceux qu’on aime. Qui me l’a dite ? Je cherche, vaguement. Oh oui, c’est Grace, à
l’hôpital, au chevet d’Ana inconsciente. On souffre toujours par ceux qu’on aime. C’est vrai. Ce sont
les êtres les plus chéris qui ont le pouvoir de vous blesser. Je n’en veux pas à Ana, je pense qu’il y a des
éléments qui me manquent dans le schéma, mais je n’ai pas envie d’en parler ce soir. Je suis… sous le
choc, je crois.
— Pas du tout ! Jette-t-elle en colère. Tu considères juste que j’ai accepté ce refus. Ce n’est pas le
cas. Je veux que tu dises oui.
Ah, nous sommes dans une impasse alors. Je ne dirais jamais oui. Je ne mettrai plus jamais sa vie en
danger. Teddy a besoin de sa mère. Et j’ai besoin de ma femme, même quand elle se comporte en
adolescente attardée – ou en gourde immature, au choix. Génial…
Je lui parle plus durement que je n’en avais l’intention :
— Tu veux que je dise oui ? C’est une plaisanterie ? Je ne vois pas ce qui peut te donner à penser
que j’allais changer d’avis. Ce projet de voyage à New York est une aberration. Ça l’était hier, ça l’est
encore aujourd’hui.
Je me demande toujours si cette insistance sans fondement ne provient pas de l’influence de Kate.
Ana lui a-t-elle téléphoné aujourd’hui ? Je crains de poser la question d’emblée, je prends un moyen
détourné :
— As-tu prévenu Kate que tu n’irais pas ?
— Non.
Bon Dieu ! Qu’elle est pénible. Une partie de ma frustration vient du fait que je ne peux charger Kate
d’un nouveau délit. Tout est dû à Anastasia !
— Eh bien, fais-le et vite !
Elle ne répond pas. À la voir comme ça, butée, enfermée dans son caprice, je perds la tête et me mets
à hurler :
— Anastasia, est-ce que c’est clair ? Réponds !
— Oui.
Ce n’est pas très convaincant. Je vais la faire surveiller. Je prends note mentalement de convoquer
Taylor et Sawyer demain à la première heure. Je ne veux pas qu’Ana reste cinq minutes seule tant qu’elle
est dans cet état d’esprit. Je soupire. La vie est un éternel recommencement. Même quand nous n’avons
pas d’ennemis à nos trousses, nous sommes rattrapés par nos propres démons. Jamais la paix !
Je ne supporte pas de voir Ana recroquevillée contre le mur, ça me rappelle ma petite enfance. À
quatre ans, je m’attendais toujours à recevoir des coups. Je me cachais sous la table, mais sans espoir.
La brute n’avait aucun mal à me sortir de ma cachette : l’appartement était minuscule et pauvrement
meublé… Je repousse ces sinistres réminiscences – j’ai la sensation de plonger dans un de mes
cauchemars. C’est insoutenable.
Je me redresse pour m’agenouiller près du lit. Je prends les mains glacées d’Ana dans les miennes,
je la regarde droit dans les yeux.
— Baby, regarde-moi. Essaie de me comprendre, s’il te plaît.
Je lui répète mes arguments, toujours les mêmes. Pourquoi ne veut-elle pas comprendre ? Je refuse
qu’elle prenne des risques. Ce déplacement est un caprice – une vraie connerie, oui ! Je SAIS bordel que
la fashion week ne l’intéresse pas.
Il faut que je sache la vérité. Il faut que je fasse une concession. Je resserre mon emprise sur les mains
d’Ana en insistant :
— Si tu veux aller à New York, dis-le-moi, nous irons ensemble.
Si je suis avec elle, je m’assurerai au moins qu’elle ne risque rien.
Baby, par pitié, réponds. Souris-moi ? Dis-moi que tu n’as pas peur de moi. Je t’aime plus que ma
vie.
— D’accord.
D’accord ? C’est tout ? Pas de nouveaux projets, d’autres négociations ? je surveille Ana, elle retient
ses bâillements. Ce n’est pas moi qui l’ai convaincue, c’est la fatigue qui l’a mise au tapis. Je ne regrette
plus autant son manque de résistance parce que moi, je suis à plat, émotionnellement parlant. Bordel, je
fonctionnais bien mieux quad je n’avais pas de cœur ! Bien sûr, je ne regrette pas d’avoir trouvé l’amour
mais la « communication » parfois, c’est bien chiant pour pas grand-chose.
J’embrasse ana sur le front en lui ordonnant de se coucher. Elle obtempère. J’hésite à marquer cet
exploit d’une pierre blanche – nous ne sommes pas dans la salle de jeu, c’est en général le seul endroit
où j’obtiens de cette tête de mule un simulacre de soumission.
Je la borde avec affection. Dors bien mon amour. Je t’aime même quand tu es épouvantable. Je lui
chuchote à l’oreille :
— J’ai du travail, je serai dans mon bureau. Bonne nuit.
Je sors de la chambre presque en courant. Je grince des dents, furieux. Je me sens remonté à boc.
Parfait, c’est sous pression que je travaille le mieux. Je sens que je vais trouver cette nuit une solution
pour ce foutu deal avec Appli Net.
Quant à Google et Facebook ? Foutaises ! Après avoir affronté Ana, les géants d’Internet sont de la
gnognotte.
***
Il est 2 heures quand je vais me coucher. Je trouve Ana blottie de mon côté du lit, les deux bras serrés
sur son oreiller. Elle a pleuré. Je ne supporte pas de la voir triste, mais si je cède à son caprice, est-ce
que ça ne va pas la pousser à recommencer à la première occasion. ?
Bon, ce soir, j’ai mis au point un nouveau plan d’action – c’est risqué mais ça peut marcher. Je vais
pouvoir emmener Ana à New York du coup, j’en profiterais pour rencontrer un financier et arranger
avec lui un montage afin de court-circuiter les contre-offres sur Appli Net.
Ana sera contente. Nous partirons à New York vendredi soir. Samedi matin, je serai occupé, mais
nous aurons l’après-midi et le dimanche. Je vais aussi contacter Kate – ou envoyer Taylor espionner le
Seattle Time – afin de connaître son programme... Je suis sûr qu’Ana tiendra à passer un moment seule
avec notre chère belle-sœur. Le lundi sera pour moi rempli de rendez-vous, merde, je vais tenter de
libérer mon mardi matin, mais ensuite…
Ça va être serré, Grey, tu as prévu de dormir quand ?
Je m’endors sur cette question – ce qui est assez ironique en soi.

Livre 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant