Premiers Mots

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Ana
Il est 18 h 30 ; Christian et Taylor ont été s’entraîner au gymnase – au kickboxing, il me semble. Ils
ne devraient pas tarder à rentrer. Gail fait de la pâtisserie si je dois en juger les délicieuses odeurs qui
montent dans l’escalier, et moi j’essaie de coucher mon petit garçon récalcitrant.
Il crie de plus en plus fort.
— Bébé, voyons, sois sage. À quoi ça sert de pleurer ? Tu sais très bien que tu vas quand même te
coucher, je ne veux pas céder à un caprice.
Manifestement, il me comprend, il devient encore plus virulent. Avec un soupir, j’abandonne ; je le
mets dans son lit, j’allume sa veilleuse et je me dirige vers la porte.
— Mamamamama…
Je me fige, tétanisée. Est-ce que j’ai bien entendu ? Je virevolte, pour regarder Teddy. Ses yeux bleus,
si semblables aux miens, sont braqués sur moi, à travers les barreaux de son petit lit blanc.
— Mamamama !
Oh lala ! Je me précipite sur lui, les bras tendus.
— Mon chéri, mon chéri ! Tu parles ?
Je le prends dans mes bras. Pour rester rationnelle, je sais bien qu’il s’agit simplement des premières
syllabes sans réelle signification que prononcent tous les enfants – mama, papa ou dada – rien de plus,
mais quand même. J’ai envie de croire qu’il a dit « maman ».
Teddy dans les bras, je me précipite dans le couloir, et je hurle :
— Christian !
Il ouvre la porte d’entrée et bondit, comme un diable émergeant de sa boîte. Taylor est sur ses talons,
il surveille d’un œil étréci, à la recherche d’une menace potentielle. Les deux hommes constatent
ensemble que Teddy et moi sommes en parfaite santé.
— Mrs Grey ? Que se passe-t-il ?
— Ana ? Qu’est-ce que tu fous ?
Ils ont parlé en même temps. Je descends les escaliers à la hâte, tout en commençant à me justifier ;
je suis interrompue par mon fils, le front plissé de contrariété, qui grommelle :
— Mamama !
Je m’immobilise entre deux marches pour le fixer, émerveillée. Qu’il est intelligent ! Taylor nous
surveille, la tête penchée, un léger sourire aux lèvres. Christian semble interloqué.
— Il parle ? Il a bien dit maman ?
— Oui ! Toi aussi, tu l’as entendu ?

Je note avec surprise que Christian se tourne vers Taylor et lui lance un regard entendu. Un dialogue
muet s’échange entre les deux hommes. Je ne comprends rien : manifestement, je ne fais pas partie de
leur cercle d’initiés. Christian monte l’escalier et récupère Teddy dans mes bras.
— Mamamama ! Crie le bébé.
Christian se fige. C’est moi que Teddy fixe – d’un regard sévère, à mon avis. Je me rapproche d’un
pas. Le bébé éclate de rire, avant de taper à deux poings sur la poitrine de son géniteur.
***
Christian
Avec Ted collé contre ma poitrine, je regarde un Walt Disney à la télévision : Robin des bois. Le
malin petit renard vole toutes les bagues du méchant roi lion en lui baisant les doigts ; quand il sourit,
chacune de ces dents est cachée derrière une émeraude, un rubis, un diamant. Ted éclate de rire, le doigt
pointé vers l’écran. Je le regarde avec un sourire. Il a les paupières lourdes. Il est temps d’aller au lit.
— Nous regarderons la suite demain, bonhomme.
Je récupère la télécommande pour couper le Blu-ray. Ted n’est pas très content. Il m’adresse un
regard furibond, les sourcils foncés, les joues toutes rouges. Puis il gâche ce bel effet en bâillant de bon
cœur.
Avec lui dans mes bras, je commence à monter l’escalier. Il repose, adorable et confiant, contre mon
torse, sa main sous sa joue est collée à ma poitrine. J’en ai le cœur gonflé d’émotion.
— Mon fils !
Il ouvre les yeux, se redresse un peu et m’embrasse sur le menton. Juste avant de se rendormir, il
marmonne :
— Papapa ?
J’entends un halètement étouffé, je lève les yeux, Anastasia est sur le palier, accrochée à la rampe.
Elle écarquille les yeux, elle paraît ne pas croire ce qu’elle vient d’entendre.
— Christian ? Il a encore parlé ?
— Oui, bien sûr. Mais maintenant, il dort, alors attendons demain pour voir si ce petit bonhomme
est à nouveau décidé à papoter.
— Qu’est-ce que tu regardais avec lui ? Je l’ai entendu rire…
— Robin des bois.
— Un grand classique !
— Je n’ai eu à l’endurer que dix minutes, Ted était déjà mort de fatigue.
— C’est à cause de cette balançoire, il ne peut jamais s’arrêter d’en faire.
— J’étais comme lui étant enfant. J’adorais les balançoires.
Ana m’accompagne jusqu’à la nurserie, je couche Ted dans son lit, lui laissant une veilleuse allumée.
Je suis certain dorénavant que tout ira bien.

Livre 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant