Noël à Aspen

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Ana
Décidément, je n’ai pas de chance avec le ski. J’en rêve depuis le premier jour où j’ai appris que
Christian possédait un chalet dans le Colorado, dans cette station prestigieuse qu’est Aspen. Il m’a déjà
offert tout l’équipement, une paire de skis colorés à large spatule, des bâtons, une combinaison
douillette, des chaussures qui me paraissent futuristes… Mais je n’ai eu le droit de les essayer que dans
ma chambre. Christian trouve toujours un prétexte pour m’interdire d’affronter les pentes enneigées.
D’accord, parfois, il a de bonnes raisons : nous sommes souvent venus à Aspen au printemps, en été, à
l’automne, c’est-à-dire en dehors de la saison de ski.
Le premier hiver après notre mariage, j’étais enceinte de Teddy, je ne pouvais pas skier. Et Christian
m’en voulait encore d’avoir pris des risques avec Jake Hyde, il me surveillait comme du lait sur le feu.
L’an passé, nous sommes restés à Broadview, c’était le premier Noël de notre fils ; la neige, je l’ai
découverte sur la terrasse, dans le jardin, au bord du Puget Sound.
Je m’étais bien promis que cette année… Malheureusement, j’ai eu cette hémorragie en septembre,
Christian a eu tellement peur en me découvrant dans une mare de sang ! J’ai fait très attention ces trois
derniers mois de ne plus lui causer de frayeur. Quand j’ai réclamé un séjour à Aspen entre Noël et le
jour de l’an, il a accepté, je me suis dit : cette fois, c’est la bonne…
J’ai eu des nausées le lendemain de Noël. Aurais-je abusé de plats roboratifs au cours des fêtes ? Je
ne crois pas, je ne prends plus de traitement contraceptif depuis mon passage à l’hôpital, alors peut-
être… Un nouveau bébé serait pour moi le plus merveilleux des cadeaux. Je n’ose encore y croire.
Nous allons dans le Colorado en jet, avec Elliot et Kate. Mia et Ethan, invités aussi, n’ont pu se
libérer. Quant à mes beaux-parents, ils gardent Teddy. J’ai le cœur un peu gros de ne pas voir mon fils
pendant près d’une semaine.
— Tu es verte, Steele qu’est-ce que tu as encore ? Toujours peur en avion ?
Je regarde autour de moi, Christian et Elliot ont disparu, je crois qu’ils sont allés dans le garage
chercher du bois. Un grand feu flambe déjà dans la cheminée, mais c’est une tradition, je pense, que les
hommes de la famille s’occupent de cette tâche. Je suis seule avec Kate. Elle est enceinte de six mois et
porte avec aisance son excès de poids. Il est vrai qu’elle est grande et bien bâtie, elle ne souffre pas du
même déséquilibre que j’ai connu avec Teddy. Christian parlait parfois de moi comme d’un culbuto, et
malheureusement, c’est aussi comme ça que je me voyais.
— J’ai dormi pendant tout le trajet, Kate, je n’ai pas eu le temps d’avoir peur. Non, tu vois… Je
crois que j’attends un autre enfant.
— Comment ça, tu crois ? Fais un test de grossesse, tu auras ta réponse.
— J’ai peur d’être déçue si le test est négatif.
Elle lève les yeux au ciel. Bien sûr, elle ne réagirait pas comme ça, pour Kate Kavanagh Grey, tout
est en noir et blanc, tranché, incisif. Moi, je préfère les nuances de gris… Je souris, en évoquant les
cinquante nuances de folie que Christian affirme posséder.
— En tout cas, si tu es enceinte, c’est une bonne idée, Ana. Nos enfants auront le même âge.
— J’aimerais que nous ayons toutes les deux une fille. Pourquoi ne veux-tu pas annoncer le sexe
de ton bébé ?
— Parce que, ricane-t-elle, ça emmerde tout le monde. Et puis, tu es gonflée de me le reprocher. Si
je me souviens bien, tu ne voulais pas non plus savoir pour Ted, tu t’es fait manipuler par Mr Pété-de-
Thunes. Une fois de plus !
— C’était pour moi sans importance, je savais que j’aurais plusieurs enfants, et Christian tenait
beaucoup à le savoir. Tu connais John Flynn ?
— Oui, c’est le psy de ton mari. Pourquoi ?
— Eh bien, il affirme que le mariage exige des compromis. Si chacun reste braqué dans sa position,
il n’y a aucune communication possible.
— C’est pour moi que tu dis ça ?
Houlà ! Qu’est-ce qui m’a pris d’aborder le sujet, Kate paraît en colère. Ce n’était pas du tout mon
intention…
— Non, bien sûr que non, je voulais seulement…
— Parce que tu fais tous les compromis, Ana. Ton maniaque du contrôle ne t’en accorde aucun.
Ô combien elle se trompe ! Je n’ai pas le temps de défendre Christian, les hommes reviennent déjà.
Elliot prend sa femme par la taille et l’embrasse goulûment, il paraît si heureux d’être père. Que dira
Christian en apprenant… Non, je ne peux pas lui en parler avant d’être certaine. Dès que je rentrerai à
Seattle, je prendrai un rendez-vous avec le Dr Greene.
***
Christian
Je ne comprends pas l’attitude de mon frère vis-à-vis de sa femme. Elle est enceinte, bon Dieu, et
elle envisage de skier ? Elliot tente de le lui interdire, elle l’envoie bouler. Je dois me mordre la langue
pour ne pas intervenir, Ana m’a supplié hier soir de laisser Elliot et Kate gérer seuls leurs problèmes de
couple. Mais il s’agit également de ma nièce ou de mon neveu, non ? J’ai demandé à Taylor de garder
sous le coude les numéros d’un urgentiste, d’un gynécologue, et l’hôpital le plus proche est accessible
par hélicoptère en moins d’un quart d’heure… J’espère que ces précautions suffiront. Bien entendu, je
n’en ai rien dit à ma femme ou à la Walkyrie.
Ana a encore été malade ce matin. La dernière fois qu’elle a eue des nausées au réveil, elle était
enceinte de Ted. Elle veut un autre enfant, je le sais. Est-ce que je suis prêt ? Étrangement, c’est le ventre
gonflé de ma belle-sœur qui me convainc. Oui, une nouvelle grossesse ne me fait pas peur. J’en ai parlé
à John Flynn, après l’hémorragie d’Ana. Il affirme que mon évolution est tout à fait remarquable. Ted
m’a prouvé que j’étais capable d’être père. C’est un soulagement incommensurable.
Si Ana en est au premier mois d’une nouvelle grossesse, pas question qu’elle monte sur des skis. Elle
n’est pas très coordonnée sur le plan psychomoteur, j’ai des suées froides en l’imaginant sur une piste,
au milieu d’autres débutants qui seraient pour elle des dangers publics. Je la vois déjà dans le plâtre, ou
un fauteuil roulant, ou prise sous une avalanche… Que sais-je encore ?
Elle est à Aspen pour prendre l’air, nous avons tout ce qu’il nous faut sur la terrasse du chalet. Je
l’accompagnerai également dans les boutiques du centre-ville, si elle le souhaite, mais sur les pistes ?
Pas question.
J’avais prévu quelques sorties pour moi-même, avec mon frère, mais il ne veut pas quitter sa femme.
Sur ce plan-là au moins, je le comprends. J’ai skié avec Taylor une heure ou deux, en laissant ma femme
sur une chaise longue, apprendre le soleil en bas des pistes, son agent de sécurité veillant sur elle.
Cet après-midi, Ana et moi sommes au chalet, installés devant la cheminée. Kate et Elliot ne sont pas
encore rentrés. Ce matin, les voir sur les pistes m’a prodigieusement énervé, je préfère ne pas réitérer
cette expérience de sitôt.
Même Ana est horrifiée de l’inconscience de la future mère !
— Et si elle tombe ? Et si un autre skieur lui rentre dedans ?
— Tiens, Mrs Grey, tu es d’accord avec moi : Kate est une inconsciente ?
Ana me foudroie du regard :
— Christian, ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit. Non, elle n’est pas inconsciente, c’est juste
euh… Kate est une remarquable skieuse, elle ne prendra aucun risque inutile. Elle a confiance en elle,
peut-être un peu trop.
— C’est une égoïste, mon frère se fait un sang d’encre pour elle. Et Miss Pénible s’en contrefout.
À sa place, je ne le supporterais pas.
Ana soupire et secoue la tête.
— Vous ne vous ressemblez pas physiquement, Elliot et toi. Vous n’avez pas non plus le même
caractère.
— Ça arrive même chez deux frères qui partagent les mêmes parents et les mêmes gènes. Si tu veux
mon avis, le pire défaut d’Elliot, c’est sa nonchalance, il accentue parfois à l’extrême son côté « j’m’en
foutiste ». Il laisse sa femme gérer leur couple, parce qu’il ne veut pas d’emmerdes
— Alors, ce que tu veux dire, c’est qu’Elliot n’est pas un dominant ?
— Certainement pas au sens BDSM, mais baby, ce n’est pas davantage un soumis. C’est juste un
vrai gentil, qui n’aime pas les conflits. C’est pourquoi je suis en colère, Kate et ses colères le malmènent
véritablement.
— Tu crois ? S’il est comme tu dis, est-ce que ça le touche vraiment ? Est-ce que ça ne glisse pas
sur lui ? À mon avis, quand Kate est en colère et hausse la voix, Elliot se renferme sur lui-même et
attend que l’orage passe.
Elle est trop drôle, j’éclate de rire.
— C’est aussi ce que tu faisais avec ta colocataire à l’université ?
— Oh… oui, je crois.
— Elliot n’est pas comme toi, baby. Tu étais une petite fille innocente tandis que lui, c’est un
homme, un vrai. Dans le bâtiment, les mecs ne sont pas des tendres ; Elliot est dans le métier depuis des
années, il ne faut quand même pas trop le chercher.
J’espère ne pas trahir mon frère, j’hésite avant de poursuivre :
— Il y a autre chose, Ana. Elliot a une grande expérience sexuelle et depuis le premier jour, il
domine la Walkyrie sur ce plan-là.
Ana semble éberluée.
— Comment peux-tu le savoir ? Il t’a fait des confidences ?
— Absolument pas ! (Et c’est la vérité.) Mais mon initiation dans le monde BDSM a été très
poussée, surtout quand j’ai voulu devenir un dominant. Je suis capable de lire le langage corporel de
deux partenaires. Le sexe, c’est l’arme cachée d’Elliot pour mater sa femme quand elle déraille trop.
— Je ne te crois pas ! proteste Ana. Elle le rembarre dès qu’il tente de lui donner un conseil.
— Elle a une grande gueule, je te l’accorde, mais les messages d’Elliot passent quand même. Il a
compris qu’il ne devait pas la prendre de front, parce qu’elle se braque, par principe. Ses réactions
doivent venir de son éducation sous la poigne de Keith Kavanagh. Mais si tu regardes bien, Ana, Elliot
finit toujours par mener Kate là où il veut. Par exemple, elle ne voulait pas d’enfant, pas vrai ? Et regarde,
elle va pondre …
— Christian !
Ana semble outrée, mais elle éclate de rire, ce qui enlève beaucoup de poids à ses protestations.
Je reprends avec ironie :
— En fait, mon frère réussit à supporter sa femme parce qu’il ne la voit pas tant que ça ; il fait ce
qu’il veut sur ses chantiers douze à quatorze heures par jour – et davantage quand elle est en déplacement
pour son boulot. La planque, quoi !
Ana rit encore. Je l’embrasse, doucement d’abord, puis avec passion. Je décide de profiter de notre
solitude pour une petite sieste érotique. Ma délicieuse épouse accepte, des étoiles plein les yeux.

Livre 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant