Samedi 17 juin 2017
Ana
— Maman, maman, mamaaaan !
Je me réveille en sursaut en entendant mon fils hurler dans le couloir. Teddy ne fait jamais la grasse
matinée, même un samedi. J’ouvre les yeux, Christian n’est pas dans le lit avec moi. Il s’est levé tôt, ce
matin. Il avait une réunion urgente, mais il devrait rentrer pour déjeuner. Pauvre Teddy ! Je me doute
bien de ce qu’il veut, il va être déçu.
Avec un soupir, je repousse ma couette et quitte mon lit douillet pour aller à sa rencontre.
— Qu’est-ce qu’il y a, mon chéri ?
Pour ses cinq ans, le mois dernier, Teddy a eu droit à un « grand lit », ou plus exactement à un « lit
de grands ». Il est très fier de son nouveau statut. En ce moment, il n’est qu’un petit garçon qui tient à
la main le cadeau confectionné à l’école pour son père, pour la fête des Pères. Demain, dimanche, nous
irons déjeuner pour cette occasion chez Grace et Carrick. Et je téléphonerai à Ray. Je regrette de le
savoir tout seul ce jour-là, mais il a refusé mon invitation à se joindre à nous. « Je ne veux pas vous
déranger, Annie. »
Oh papa ! Comme si c’était le cas !
J’ai récemment appris que la première célébration de la fête des Pères avait eu lieu à Spokane157
,
Washington le 19 juin 1910, à l’initiative de Sonora Smart Dodd. Fille d’un vétéran de la guerre civile158
,
elle tenait à honorer son père qui l’avait élevée seul. Ce que Ray a fait avec moi, d’une certaine façon.
Cette année, la fête des Pères tombe en même temps – coïncidence amusante – que l’anniversaire de
Christian. Il aura 34 ans…
— Où est papa ? réclame Teddy. Je veux lui donner mon cadeau !
— Mon petit cœur, la fête des Pères, c’est demain.
Je vois son petit visage se décomposer. Hier soir, Christian est rentré tard d’un déplacement
professionnel, Teddy était déjà endormi, sinon il aurait organisé une célébration anticipée de la Fête des
Pères, il n’a parlé que de cela toute la semaine. L’anniversaire de son père l’intéresse nettement moins.
Teddy s’accroche à ma chemise de nuit et tire dessus de toutes ses forces.
— Maman, il faut que papa ait son cadeau. Maintenant. Tout de suite.
Physiquement, il ressemble beaucoup à son père, et il a aussi hérité de son impatience. Comme je
m’y attendais, il est déçu. Je ne supporte pas de voir son regard bleu noyé de larmes. Sur une impulsion,
je prends ma décision :
— Tu sais ce que nous allons faire ? Rejoindre papa et déjeuner avec lui en ville. Ça sera une
surprise ! Qu’est-ce que tu en dis ?
Teddy hésite un moment, puis il hoche la tête avec un grand sourire.
— D’accord.
— Très bien, alors attends-moi ici le temps que je prenne une douche. Je reviens très vite.
Dix minutes plus tard, en sortant de la salle de bain, je trouve Teddy occupé à sauter sur mon lit à
pieds joints. Il en a sans doute besoin pour expurger son énergie. Comment Christian et moi avons-nous
réussi à produire un enfant aussi turbulent ? Je me le demande souvent. Et Phoebe n’aura rien à lui
envier, j’en suis persuadée.
— Ne saute pas, chéri, tu risques de tomber.
Je passe dans ma penderie pour m’habiller discrètement. Je continue à parler :
— Nous allons vérifier si ta sœur est réveillée, puis nous descendrons prendre tous les trois le petit
déjeuner. Je vais vous préparer des gaufres. Je suis sûre que Gail a laissé tout ce qu’il faut dans le frigo.
Oh zut ! Taylor et Gail sont partis tous les deux ce matin de bonne heure, Christian leur ayant accordé
une semaine de vacances bien méritées. Dans l’urgence de ses préparatifs, Gail aura-t-elle pensé à me
préparer (comme d’habitude) de la pâte à gaufres ou à pancakes ? Et puis ce matin, Christian m’a
annoncé qu’il prendrait sa R8 pour aller travailler. Je dormais, l’information s’est à peine gravée dans
mon cerveau, mais cela vient juste de me revenir. Ettore Cusco, l’agent de sécurité de Teddy, sera
d’astreinte ce week-end pour remplacer Taylor. Il a dû suivre Christian dans une autre voiture… je sais
que mon maniaque de mari ne cède jamais le volant de son Audi préférée. Mais Cusco est à GEH, ça
fait un agent de moins à la maison… Christian sera-t-il fâché si je sors avec les enfants sans l’avoir
prévenu ? J’ai Luke Sawyer, bien sûr, mais je connais le protocole de sécurité établi par Taylor : je ne
peux pas sortir de la propriété avec les enfants et un seul agent. D’ailleurs, Sawyer refuserait de nous
emmener dans ces conditions. J’ai une idée : je vais téléphoner à Roger Garcia, l’agent de Phoebe, pour
lui annoncer le changement de nos plans pour ce samedi. Je lui demanderai de venir avec nous et s’il
n’est pas libre, Welch me trouvera un remplaçant.
Dois-je m’occuper personnellement de ces préparatifs ou bien laisser Sawyer s’en charger ?
Anastasia, tu as pris l’habitude de te décharger sur ton personnel, je ne te reconnais plus.
Je reviens dans la chambre. Teddy saute toujours sur mon lit. Il ne m’a pas écoutée ! Pourquoi faut-
il que je hurle souvent pour me faire entendre alors Christian n’a jamais besoin d’élever la voix avec
son fils ? C’est injuste !
— Teddy ! Arrête de sauter ! Si tu n’obéis pas, nous n’irons pas trouver papa.
La menace est efficace, il s’interrompt et m’examine, la tête penchée.
— Je veux m’habiller tout seul, tranche-t-il. Je veux mettre mon jean neuf et ma chemise blanche,
comme papa.
Il négocie avant de suivre mes instructions ? Oh Seigneur ! Il est impayable… Et puis « comme
papa », c’est une formule que mon fils utilise souvent. Son père est son idole, son modèle. Je hoche la
tête avec un sourire ému.
— C’est d’accord.
Il ne me reste plus qu’à démêler ma tignasse pour être prête, j’ai oublié de le faire dans la salle de
bain en sortant de la douche.
J’accompagne ensuite mon fils jusque dans sa chambre, je lui sors les vêtements qu’il a réclamés,
puis je le laisse se débrouiller. S’il se trompe dans ses boutons, j’aurai toujours la possibilité de rectifier
tout à l’heure. Et s’il se salit en déjeunant ? Oh, nous verrons bien…
Je vais jusqu’à la nurserie, désormais exclusivement consacrée à Phoebe, Teddy ayant sa chambre
« de grand » à l’étage supérieur, et j’entrouvre la porte sans faire de bruit. Mes précautions sont inutiles,
ma fille est réveillée. Assise dans son lit blanc à barreaux, elle tient contre sa joue une petite couverture
au crochet son doudou, et me regarde de ses grands yeux gris. Grande pour ses deux ans et demi, elle
est vive et très dégourdie. Elle a marché à dix mois. Christian est très fier que sa fille soit aussi précoce.
Mon cœur s’emballe quand Phoebe m’adresse un grand sourire édenté. Elle est si adorable dans son
berceau de princesse, avec un baldaquin en tulle blanc surmonté d’un gros nœud rose pâle – un cadeau
de Mia, sa marraine. La grenouillère noir et blanc AC-DC que porte Phoebe détonne un peu dans le
décor. C’est Kate qui la lui a offerte ; Christian a grincé les dents, je ne sais pas pourquoi.
— Tu es réveillée, ma chérie, parfait. Tu viens avec maman ?
Je lui tends les bras, elle se redresse en se tenant aux barreaux de son petit lit blanc et met à trépigner.
Elle aussi saute sur les lits ? Oh lala !
J’ai à peine fini de la changer et de l’habiller quand Teddy fait irruption dans la pièce, toujours aussi
excité.
— Fibi ! hurle-t-il. Nous allons voir papa ! C’est la fête des Pères ! J’ai un cadeau. Pas toi, tu es
trop petite, mais c’est pas grave : moi, j’ai un cadeau ! C’est moi qui l’ai fait, tout seul ! À l’école !
— Da-da-da, répond Phoebe qui bave d’admiration devant un tel accomplissement.
***
En me retrouvant avec les enfants dans la cuisine déserte, je me demande si mon idée « géniale »
n’est pas une erreur, mais je ne peux revenir sur ce que j’ai promis à Teddy. Il me faut continuer.
J’ouvre le frigidaire, j’y trouve un Tupperware rempli de pâte. J’ai un grand sourire reconnaissant.
Que le ciel bénisse Gail et sa prévoyance !
— Nous aurons des pancakes, les enfants, ça vous va ?
Teddy grimpe sur son tabouret, devant le comptoir.
— Je veux aussi du bacon et du sirop d’érable, déclare-t-il, péremptoire.
— On dit « je voudrais », chéri, pas « je veux ». Et tu dois ajouter : « s’il te plaît, maman ».
Teddy lève un sourcil sceptique. Il me rappelle tellement son père que c’en est comique.
Évidemment, Christian ne s’exprime qu’en disant « je veux ». Il donne un très mauvais exemple aux
enfants.
— S’il te plaît, maman, concède mon fils, avec un sourire.
Je lui fais un clin d’œil. J’installe Phoebe sur sa chaise haute avant de lui faire chauffer un biberon.
Je vérifie la température du mélange, en faisant tomber quelques gouttes sur le dos de ma main, avant
de le lui donner. Elle s’empare de son butin avec enthousiasme et se colle la tétine dans la bouche.
Teddy regarde sa sœur en plissant le front.
— Tu vas aussi lui donner des pancakes, maman ?
— Oui, mais elle est encore petite. Il vaut mieux qu’elle prenne d’abord son biberon, mon chéri.
Ne t’inquiète pas, elle sera bien nourrie.
Je dépose devant mon fils une assiette garnie – pancakes, et bacon, et sirop d’érable – avant de
retourner devant ma poêle m’occuper de ma portion.
— Où allons-nous manger à midi ? demande Teddy la bouche pleine.
— Finis de manger avant de parler, chéri. Et attache ta serviette autour de ton cou, si tu fais des
tâches sur ta chemise blanche, ce serait dommage.
— Oui maman.
Oh, il doit vraiment tenir à faire bonne impression aujourd’hui, il est rare qu’il soit aussi conciliant.
— Où allons-nous manger à midi ? répète-t-il, cinq secondes après.
— Nous verrons… Une fois en ville, nous aurons l’embarras du choix.
— Ça veut dire quoi ?
— Que nous choisirons sur place, Teddy.
Je me tourne vers ma fille.
— Tu as déjà fini, Phoebe ? Parfait. Tiens, goûte… Non, chérie, pas avec les mains, sinon, je vais
devoir te changer…
Une fois le petit déjeuner terminé, j’installe Phoebe avec des jouets au salon, et je demande à Teddy
de jouer un moment avec d’elle, parce que j’ai des coups de téléphone à passer.
Mon fils a l’habitude de voir son père en permanence avec un BlackBerry à l’oreille. Il accorde donc
un grand respect au mot « téléphone ». C’est important chez les Grands.
— D’accord.
Je m’attarde une minute sur le seuil du salon pour les regarder tous les deux, Phoebe dans sa petite
robe jaune d’or à volants, Teddy vêtu comme un adolescent – il a même pris son petit veston sombre.
Mes enfants sont superbes ! Christian et moi les avons bien réussis. Je regrette presque qu’il refuse que
nous en ayons davantage… Je secoue la tête, ce n’est pas le moment de lanterner sur le sujet. Je baisse
les yeux pour examiner ma tenue ; pressée par le temps ce matin, j’ai enfilé ce qui me tombait sous la
main : un pantalon de couleur prune – Christian aime particulièrement cette couleur sur moi – assorti
d’un chemisier rose pâle.
Je convoque Sawyer pour lui expliquer la situation. Mon agent de sécurité d’une placidité à toute
épreuve, nous nous entendons bien, lui et moi.
— Mr Grey est-il au courant, madame ?
Je lève les yeux au ciel. J’ai dû rater une étape de mon raisonnement. Sawyer n’a rien compris !
— Non, Luke, absolument pas. Les enfants et moi voulons lui faire une surprise, vous ne devez
prévenir ni Christian ni Cusco.
Il fronce les sourcils, ce qui ne m’étonne pas. Aucun agent de sécurité n’apprécie le mot « surprise ».
Taylor en particulier le déteste, Christian aussi. Mais Sawyer n’ose rien me refuser. Il se contente de
faire remarquer :
— Nous ne pouvons pas sortir tous les quatre, Mrs Grey. Le protocole le précise bien.
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Livre 4
RandomQui domine les autres est fort. Qui se domine est puissant. * Être aimé donne de la force Aimer donne du courage Lao Tzeu FAMILLE Par FIFTY SHADES de GREY **** LIVRE IV