Coupable Inattendu

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Christian
C’est Welch. Saisissant mon téléphone, je quitte la chambre pour rejoindre mon bureau. — Grey.
— Monsieur, j’ai découvert d’où venait la fuite concernant les journaux.
Ah, parfait ! Le coupable va me le payer cher. Je referme la porte derrière moi et traverse la pièce. Je réalise alors que Welch paraît hésitant. Qu’est-ce qui lui prend ? Impatiemment, j’insiste :
— Et alors ? Parlez !
— Eh bien, c’est un peu gênant… La fuite provient de Mrs Grey. Je me fige, tétanisé et incrédule. — Pardon ?
Welch doit sentir la menace qui plane derrière ce simple mot parce qu’il s’empresse de s’expliquer, d’une voix haletante :
— Elle ne l’a pas fait exprès, bien entendu, mais la fuite provient d’une conversation où Mrs Grey évoquait de sa grossesse.
— Quand ? Et à qui ?
— C’était la semaine passée, au cours d’un entretien avec Miss Kavanagh concernant la date de son mariage avec Mr Elliot Grey. Mrs Grey étant témoin, il y avait une question d’essayage… concernant, hum, le tour de taille de Mrs Grey, en quelque sorte.
J’ai laissé Welch parler parce que je cherche à contenir ma rage. Kate a discuté de la grossesse d’Ana en public, devant d’éventuels curieux, à portée d’oreilles avides et indiscrètes ?
Je grince des dents en me laissant tomber dans mon siège.
— Vous ne m’avez toujours pas dit le nom de celui qui a prévenu les journaux, Welch. J’imagine qu’il a dû toucher le pactole pour cette information.
— Je n’ai pas découvert qui était cet informateur, monsieur. Aucun des paparazzis à qui je me suis adressé n’est au courant, du moins c’est ce qu’ils ont prétendu. Il est possible qu’ils espèrent obtenir d’autres tuyaux d’une source aussi bien informée. J’ai établi une liste des personnes présentes ce jour- là. Il s’agit de Toya Mitchell et ses assistants. Bien évidemment, tous ont signé un contrat de confidentialité. Nous pourrons déjà les coincer sur ça.
Je n’en suis pas aussi certain. Kate prend de haut mes précautions – elle parle de « mon obsession » – concernant la discrétion, sinon le secret. En vraie journaliste, elle prétend ne rien avoir à cacher. Elle aime beaucoup Ana, aussi, je ne pense pas qu’elle l’ait délibérément trahie. Non, c’est juste son inconscience et sa grande gueule qui se sont mis en travers de mes plans pour protéger ma femme. Une fois de plus !
Une fois de trop, Grey.
Je tape du bout des doigts sur le plateau ciré de mon bureau.
— Pensez-vous que cette fuite soit accidentelle ?
— Eh bien, oui et non. L’entretien d’ordre privé entre Mrs Grey et Miss Kavanagh a pu être surpris par accident, mais la personne l’ayant retransmis a bel et bien été payée. Les paparazzis sont toujours à l’affût du moindre ragot concernant votre famille.
— Vous ne savez rien de plus ?
— J’ai déjà payé très cher pour apprendre d’où provenait la fuite, Mr Grey. Je tiens à interroger en personne Ms Mitchell. Je l’ai déjà tenté aujourd’hui, mais elle n’était pas à son bureau.
Toya Mitchell… Ana l’apprécie beaucoup. Ma mère utilise ses services depuis des années pour les galas de Unissons-Nous. C’est une Afro-américaine grande et belle, efficace et travailleuse, qui s’est chargé d’organiser notre mariage en juillet dernier. Welch et Taylor ont déjà un très épais dossier sur elle. Je ne pense pas qu’elle ait couru le risque de vendre des renseignements. Ce n’est pas son style.
Concernant Kavanagh, je vais prévenir Elliot : il faudrait qu’il mette une muselière à sa fiancée. J’aimerais que cet accessoire soit permanent, mais s’il tient jusqu’en mai, ça fera l’affaire, j’imagine. Malheureusement, la dernière fois que je suis intervenu entre Elliot et Kate, j’ai failli provoquer leur séparation. Et j’ai beau détester la Walkyrie, je reconnais qu’elle a beaucoup apporté à mon frère. Elliot est heureux avec elle. Je ne m’étais jamais trop posé de questions concernant mon frère aîné, il me paraissait être le type même de l’homme qui réussit en tout, femmes, affaires, famille… mais maintenant, je réalise la différence : le rire d’Elliot est plus naturel, son regard et son expression ont changé. Comment ai-je pu passer tant de temps sans comprendre que lui aussi possédait des secrets ?
Ana aime beaucoup Elliot ; elle adore Kate et ne supporte sur elle aucune critique –même justifiée. Je ne peux risquer une énième querelle avec Kate Kavanagh. Merde ! Quelle marge de manœuvre me reste-t-il ? Dois-je m’adresser directement à Kate et lui expliquer le tort que ses bavardages causent à Ana ? Non, je ne tiens pas à présenter Ana comme étant vulnérable.
J’ai le sentiment que, tout en protégeant Ana comme une tigresse, Kate ne lui accorde pas la considération qu’elle mérite. Elle considère sa « meilleure amie » comme puérile, influençable, naïve. Peuh ! Elle-même riche et gâtée, agressive et bruyante, Kate est incapable de comprendre un courage diffèrent du sien. Ballotée au gré des divers mariages de sa mère, Ana a appris à se débrouiller seule, à protéger son cœur et ses émotions pour ne pas les voir piétiner. Elle aime sans condition, sans rien exiger des autres, surtout pas qu’ils changent pour s’adapter à sa vision de l’existence. Elle possède une sagesse excédant de beaucoup le nombre de ses années. Et la blonde Miss-Je-Sais-Tout ferait bien d’en prendre de la graine !
— Mr Grey ?
La voix de Welch me ramène au présent. — Oui ?
— Ms Mitchell travaille avec une clientèle riche et célèbre, elle tient tout particulièrement à sa réputation de discrétion. En utilisant ce levier, j’espère pouvoir obtenir sa coopération pour mon enquête. Elle doit bien se douter que le moindre soupçon provoquerait un naufrage professionnel.
— C’est exact, mais je ne vois pas comment un employé indélicat aurait eu les contacts journalistiques dont vous m’avez parlé. Si cette opération a été soigneusement menée, il doit y avoir un cerveau impliqué… un ennemi, quelqu’un qui a les moyens d’exercer sa vengeance.
Plusieurs noms me viennent à l’esprit, en particulier celui de Dick Lincoln qui a quasiment disparu depuis que j’ai anéanti sa société. Voilà qui ne lui ressemble pas. Linc n’a plus rien à perdre, c’est là qu’un homme est le plus dangereux.
Et Elena, Grey ? Qu’en est-il de ton ancienne dominatrix ?
Les salons de l’Esclava ferment les uns après les autres. Ma mère a été sans pitié. Elena tient Ana coupable de son déclin, mais une vengeance publique ? Non d’abord, elle déteste viscéralement les journalistes. Ensuite, elle ne prendrait jamais le risque de m’affronter. Connaissant la violence de mes réactions, elle sait que je serais sans pitié. Même envers elle. Surtout envers elle.
— … je ne veux pas sauter aux conclusions sans preuves solides, Mr Grey. Je tiens à éliminer un par un tous les noms de ma liste de suspects, c’est-à-dire les employés qui travaillaient ce jour-là. Je tiens aussi à m’assurer qu’il n’y avait pas sur place un livreur, un réparateur, bref un étranger dont le nom n’apparaît pas. Ensuite, le cercle intime de Miss Kavanagh – en particulier sa mère, qui va créer les robes de cérémonie – peut avoir eu vent de l’état de Mrs Grey. Comme vous le savez, les Kavanagh n’ont pas d’agents de sécurité.
Oh, ça j’en suis conscient ! Durant l’affaire Hyde, j’ai eu toutes les peines du monde à obtenir que Kate se plie à un protocole inévitable. Je l’entends encore hurler d’une voix de mégère : Je ne veux pas de baby-sitter, Grey ! Je ne suis pas Ana ! Je ne t’obéirai pas ! Je ne veux ni collier ni laisse ! Si tu me colles un agent aux basques, je porterai plainte pour harcèlement !
Ni collier ni laisse, hein ? Charmante nature !
Je ricane parce que Kate a fini par céder. Depuis plusieurs mois, Muňerez, un homme de Welch, accompagne régulièrement mon frère et sa fiancée.
— Vu votre protocole de sécurité, personne ne peut vous approcher, la seule solution est de passer via vos proches. Pour qui cherche des renseignements sur Mrs Grey, Miss Kavanagh est un maillon faible.
Kate, un maillon faible ? Je devrais augmenter Welch parce que j’adore sa formule. J’imagine la tête que tirerait ma future belle-sœur en s’entendant attribuer une telle appellation !
Mais Kate n’est pas seule en cause, ma mère aussi a tenté d’échapper à un protocole de sécurité. Quant à Mia, elle s’est montrée inconsciente et stupide. En repensant à son enlèvement et aux risques encourus par Ana, je fronce les sourcils. Depuis, Mia se sent coupable et se plie à mes exigences sans piper mot. À dire vrai, ça m’inquiète : je ne la reconnais plus. Ma petite sœur semble avoir perdu son énergie, sa vivacité. Mais est-ce dû aux séquelles de cette épreuve ou bien au fait que Ethan ne soit pas le toutou en laisse dont Mia a l’habitude avec ses amoureux ?
En laisse ? Encore ? Cette formule te poursuit, Grey…
Une question fondamentale me vient à l’esprit : une relation, qu’elle soit amoureuse, familiale ou bien professionnelle, est-elle obligatoirement une relation de force ?
Et Kate a-t-elle raison ? Est-ce que je tiens vraiment Ana en laisse ? Tu l’empêches de revoir José Rodriguez, Grey…
Je me pince l’arête du nez parce que je sens une migraine arriver. Sans doute due à la colère qui me plombe le cerveau. Kate Kavanagh et José Rodriguez sont pour moi des problèmes récurrents ; ils me dérangent, me hantent, même en arrière-fond. Et curieusement, tous deux font partie du passé d’Ana. Est-ce là ce que je ne supporte pas chez eux ? Est-ce que je refuse l’idée que ma femme ait existé des années durant loin de moi ? Non, parce que je n’ai pas cette réaction vis-à-vis de Ray, que j’apprécie beaucoup, ou de Carla, que je… supporte.
Ce n’est pas la même chose, Grey, et tu le sais.
Après avoir donné à Welch l’ordre – inutile – de poursuivre son enquête, je raccroche, puis je me lève pour me rapprocher de la baie vitrée.
Que me réserve l’avenir ?
***
J’entends derrière moi la porte s’ouvrir, je me retourne, furieux. C’est Ana. La voir adoucit instantanément mon humeur.
— Hey. Je te cherchais. Tu travaillais ?
Je la scrute avec attention. Ana a changé durant nos quelques mois ensemble. Elle a minci de visage, surtout au niveau des joues, ce qui lui offre une maturité nouvelle. Son corps est plus tonique, grâce aux exercices pratiqués avec mon coach personnel, Claude Bastille, qui a récemment adapté son entraînement à cause de sa grossesse.
Encore un qui est au courant…
Je baisse les yeux sur la taille d’Ana où rien n’est encore flagrant. Ses rondeurs pourraient être attribuées à quelques kilos en trop…
Ana avance vers moi. Je reprends place dans mon fauteuil en lui tendant la main, je l’attire sur mes genoux et la serre très fort contre ma poitrine.
Je cherche à lui cacher mon anxiété. C’est un échec.
— Qu’est-ce qui ne va pas ?
— Rien. Je viens d’avoir Welch. Il cherche à savoir comment les paparazzis ont pu être au courant. Son enquête n’avance pas vite. Et tu me connais, baby, la patience n’est pas mon fort.
Elle rit, mais je note en elle une sorte de brisure. Aussitôt, je m’inquiète.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? Dis-je, en lui renvoyant ces paroles.
— Rien.
Oh non, baby, pas question de t’en tirer comme ça.
— Ana ! Dis-je, sévèrement, de ma voix de dominant.
— J’ai juste fait un cauchemar.
Je pose un doigt sous son menton pour lui renverser la tête et l’examiner dans les yeux. Je veux m’assurer qu’elle ne me cache rien.
— Ana, tu as promis d’être sincère envers moi.
— Christian, je dormais… Que veux-tu qu’il m’arrive ? C’est le stress de la journée qui a provoqué ce mauvais rêve, j’imagine…
— Raconte-moi.
— J’étais dans une foule… Ces caméras, ces flashs… J’étais aveuglée. J’avais mon bébé dans les bras et tout à coup… il n’était plus là. J’entendais ses cris, il avait peur, il avait mal. Je cherchais à l’aider, à le protéger, mais je n’y arrivais pas… (Elle frissonne,) ça me brisait le cœur. Je poussais tout le monde.
« Sawyer était là lui aussi, il fendait la foule. Et très loin devant moi, tu t’en allais avec Taylor. Je n’arrivais pas à vous rejoindre. Petit Pois s’est mis à hurler, mais la foule s’est refermée sur moi comme des flots… je me noyais… je ne pouvais pas respirer…
— Ce n’est qu’un mauvais rêve, baby. Je ne laisserai jamais rien me séparer de toi. Ni la foule ni personne.
— Je sais, Christian. Je te reproche souvent d’être trop protecteur, mais dans des moments comme ça, je suis vraiment heureuse que tu le sois.
— Merci.
Elle me regarde, étonnée.
— De quoi ?
— De ta franchise. J’ai eu des cauchemars des années durant, c’est dur d’en parler, surtout juste après… quand ils sont encore incroyablement vivaces.
Elle a un sourire en posant la main sur ma joue, en une caresse légère.
— Je vais voir John demain, dis-je doucement. Tu veux venir avec moi ? — Tu as pris rendez-vous ? Tu ne m’en as pas parlé.
— Non, je n’ai pas rendez-vous, mais je le paye une fortune pour sa disponibilité quand j’ai besoin de lui. C’est le cas. Tu as été secoué par cette histoire, c’est ce qui a provoqué ce cauchemar. Je ne sais comment t’en débarrasser, John le pourra peut-être. J’aimerais que tu le voies.
Ana soupire, puis elle hoche la tête.
— D’accord.
— Nous irons demain en sortant du bureau, avant de rentrer à la maison. J’entends gronder l’estomac d’Ana.
— Tu as faim ? Dis-je, amusé.
— Oui.
— Parfait. Mrs Jones m’a dit que le dîner était prêt… Allons-y, baby.

Livre 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant