Woodland Park

2.9K 53 2
                                    


Christian
Le zoo de Seattle, à Woodland Park, n’est pas le plus grand des États-Unis, mais il n’en reste pas
moins remarquable pour un enfant de deux ans. Ce week-end, Ana m’a convaincu d’emmener notre fils
y passer la journée. Je n’arrive pas à croire avoir accepté ! Taylor a passé une semaine à établir le
protocole de sécurité puisque nous serons tous les trois exposés au milieu de la foule ; il a également
réclamé je ne sais combien d’hommes de Welch pour nous encadrer.
Je suis récompensé de mes efforts par le plaisir de mon fils et de ma femme devant cette sortie
inaccoutumée. Ted découvre gorilles, éléphants, lions, oiseaux, serpents, tortues et de nombreuses autres
espèces animales, dont les habitats naturels ont été recréés dans ce parc de trente-sept hectares. Il admire
les pingouins qui évoluent sous l’eau d’un littoral reconstitué ; non loin, se trouvent les loutres cendrées
dont les cris perçants lui font un peu peur. Il arrive aussi juste à temps pour assister au repas des girafes.
À l’heure du déjeuner, Ana réclame des hot-dogs qu’un marchand ambulant propose aux passants.
Je ferme les yeux, effondré : est-ce bien hygiénique ? Je présume que nous ne risquons rien de pire
qu’une intoxication alimentaire, aussi j’acquiesce, à contrecœur.
Nous nous installons sur un banc, avec Ted entre nous deux, le temps de déguster nos sandwiches.
Je dois l’avouer, ils sont excellents. Depuis combien de temps n’ai-je pas mangé un hot-dog en plein
air ? L’ai-je même jamais fait ? Je n’en suis pas certain. Pas adolescent en tout cas, mais peut-être, un
dimanche, à Harvard… Je n’en mettrais pas ma main à couper.
Tout à coup, un énorme oiseau s’approche de nous. Ted pousse des cris enthousiastes et se lève, ainsi
que sa mère. Je fronce les sourcils.
— Ana, c’est un paon. Il n’y a pas de quoi en faire tout un plat, voyons !
Sans m’écouter, elle sort son BlackBerry et se précipite derrière le volatile pour le prendre en photo.
Ted court derrière sa mère, Sawyer et Ryan se mettent en position, prêts à intervenir si nécessaire. Le
foutu bestiau tourne entre les tables, Ana part à sa poursuite en riant comme une adolescente. Et tout à
coup, le paon se retourne et se fige. Il penche la tête et contemple ma femme.
Il revient vers elle en se pavanant et étale les plumes de sa queue sous la forme d’un éventail. Merde,
il fait « fait la roue » ? N’est-ce pas de cette façon que ce dindon peinturluré fait la cour à sa femelle ?
Dégage, volaille, elle est à moi ! Ana le mitraille en poussant des cris admiratifs. Elle ne m’accorde pas
un coup d’œil : j’ai cessé d’exister. Le paon parade, trois pas à droite, deux à gauche ; il est conscient
d’être admiré. Ted se cache derrière Ana et s’accroche à sa jupe pour regarder l’imposant volatile. Quant
à moi, je me demande si le paon au barbecue ne fera pas bientôt partie de mon menu dominical. Ça
ressemble à une grosse pintade, non ?
Ana revient et me tend son BlackBerry où s’affiche l’oiseau, toutes plumes dehors. Combien a-t-elle
pris de photos ? Au moins une vingtaine. Je grogne, furieux. Je n’ai rien dit quand elle a photographié
les tigres, les chèvres, je ne sais quels autres animaux derrière leurs grillages, mais là, elle exagère.
— Il est magnifique, Christian, tu ne trouves pas ?
— Pas du tout, dis-je, de mauvaise humeur. Le paon est le plus stupide des oiseaux ! Ne dit-on pas
« fier comme un paon » pour décrire un être prétentieux et imbu de lui-même ?
Elle me regarde en penchant la tête. Puis elle éclate de rire.
— Tu es jaloux ? Non mais, je rêve ! Tu es jaloux d’un oiseau ?
— Absolument pas. Anastasia, cesse de ricaner, tu es ridicule !
Elle envoie des petits baisers à l’écran de son téléphone et susurre :
— Miroir, miroir, dis-moi qui est le plus beau dans ce parc ?
Ted ne comprend pas tout, mais il perçoit l’amusement de sa mère, il piaille en tapant des mains. Je
lui jette un regard noir. Sale traître !
— Tu es hilarante, Anastasia. Tu as fini de manger ? Il est temps de rentrer.
— Mais enfin, Christian, tu es vraiment fâché contre moi ?
Je la prends par le bras et l’entraîne vigoureusement en direction de la sortie. Au moment où
j’échappe à ce parc épouvantable, je lui murmure à l’oreille :
— Baby crois-moi, je reconnais l’attaque d’un autre mâle qui succombe à ton charme. Cette
saloperie de volatile chassait sur MON territoire. S’il avait continué sa parade amoureuse cinq minutes
de plus, j’aurais demandé à Taylor de le flinguer.
Très sagement, Ana change de sujet :
— Et si on achetait des glaces pour le dessert ?
Je lève les yeux au ciel. Ma femme est insupportable, mais c’est comme ça que je l’aime.
— Pas ici, je t’en prie. Je doute que les vendeurs ambulants suivent toutes les consignes d’hygiène,
en particulier en ce qui concerne la chaîne du froid. Tu veux coller à Ted un copain du nom de
staphylocoque130, salmonelle131 ou colibacille132 ? Il y a un glacier juste en face, allons nous asseoir sur
la terrasse.
— Je veux un banana split avec de la chantilly, du chocolat et des amandes grillées, répond Ana.
— Bien entendu, baby. Mon but dans la vie, c’est de te satisfaire.

Livre 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant