À Signer Juin 2014 Chez le Dr Greene

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Ana
— Anastasia, tout va bien, je trouve juste votre tension artérielle un peu forte.
Le Dr Greene m’adresse un sourire rassurant tout en rangeant son équipement médical. Christian
semble inquiet, il me broie la main ; il s’adresse à Brenda :
— Comment ça, « tout va bien », ça ne va pas bien du tout si sa tension est trop forte ! Quels risques
une forte tension artérielle fait courir à une femme au cours d’une grossesse ?
Brenda Greene jette à Christian un regard mauvais, avant de répondre :
— J’allais y venir, Mr Grey. Il faudrait que Mrs Grey se repose le plus possible jusqu’à la naissance,
fin août.
Oh lala… Comment puis-je me reposer avec un énergique petit garçon de deux ans, un métier, un
mari, une maison…
Je ne peux m’empêcher de me plaindre :
— Mon mari m’empêche déjà de conduire.
— De conduire ? Pourquoi ça ? s’étonne le Dr Greene.
Christian me fusille d’un œil noir avant de rétorquer :
— Elle possède une Audi R8 avec laquelle elle n’hésite pas à rouler à 160.
— Ce n’est pas vrai !
Je me tourne pour rassurer le Dr Greene :
— Je ne dépasse jamais le 120.
Elle cache un sourire amusé.
— Mrs Grey, vous pouvez conduire, mais je préférerais que vous restiez à 90. Bien, ce sera notre
dernier rendez-vous avant le jour de l’accouchement. Auriez-vous des questions à me poser ?
— J’en ai une, intervient Christian, concernant cette tension artérielle…
Le Dr Greene soupire.
— Je n’aurais sans doute pas dû soulever la question, Mr Grey, il est normal pour une parturiente
d’avoir une tension un peu forte, il suffit de la surveiller, afin que ni la mère ni l’enfant ne risque d’en
souffrir en cas d’excès.
— Quel genre d’excès ?
— Eh bien, il faudrait que Mrs Grey évite toute situation de stress et qu’elle soit toujours
accompagnée, au cas où… il y ait des vertiges, des sensations d’évanouissement.
Elle étudie mon dossier ouvert devant elle et fronce les sourcils, elle s’adresse à moi d’un ton sévère :  — Mrs Grey, au sujet de votre accouchement, j’espère que nous n’allons pas recommencer à
tergiverser comme il y a deux ans. Je veux que vous signiez à l’avance une autorisation de délivrance
par césarienne.
— Je préfèrerais tenter un accouchement par voie basse…
— Non, Anastasia, ce ne serait pas prudent.
Christian s’emporte :
— Bon Dieu, Ana, tu ne veux pas aussi une naissance dans l’eau de mer avec les dauphins ? Ou
bien à la maison, dans ton lit, comme ça se faisait il y a deux ou trois siècles ?
Il me prend pour une idiote ou quoi ? Je me renfrogne sans mot dire. Le Dr Greene s’abstient très
sagement d’intervenir durant cette brève querelle. Je finis par céder.
— D’accord… Où dois-je signer ?
— Ici, Anastasia.
Elle me tend un feuillet puis se lève et s’adresse à Christian :
— Mr Grey, pourriez-vous nous attendre un moment dans le couloir ? J’aurais quelques mots à dire
en privé avec votre épouse.
Voilà qui ne plaît pas du tout à Fifty. Si le Dr Greene n’était pas le meilleur gynéco-obstétricien de
Seattle, il la menacerait déjà de quitter définitivement son cabinet. Il se tourne vers moi :
— Tu veux que je sorte, Anastasia ?
— Oui, s’il te plaît, je suis sûre que ça ne prendra pas longtemps.
Il se penche pour m’embrasser. il me lâche ensuite la main et quitte la pièce. À contrecœur. Il referme
la porte plus vigoureusement que nécessaire.
Dès que nous sommes seules, je m’inquiète :
— Que se passe-t-il, Dr Greene? Pourquoi n’avez-vous pas pu le dire devant mon mari ? Y aurait-
il d’autres soucis me concernant ?
— Non, non, Anastasia, je vous en prie, calmez-vous. C’est simplement une précaution… Hum,
voyez-vous, la dernière fois, les choses ont failli déraper. En cas d’urgence, un médecin a parfois une
décision difficile à prendre…
— Je ne comprends pas.
— Anastasia, s’il y a un risque à votre sujet durant votre césarienne, que voulez-vous que je fasse ?
Voulez-vous privilégier l’enfant… ou pas ?
— Vous voulez que… Vous voulez que… Pourquoi ne pas avoir posé la question à mon mari ?
— Parce qu’un homme privilégie son épouse. Je pense que la mère a aussi son mot à dire, mais elle
n’est pas toujours en état de le faire au moment crucial.
Comment peut-elle me demander de choisir entre mon enfant et moi ? Je baisse les yeux sur le
document posé devant moi, espérant désespérément que je me suis trompée, qu’il s’agit simplement
d’une prescription de vitamines ou je ne sais quoi, mais non, c’est bien ce que j’ai cru comprendre. Que
dois-je faire ? Est-ce que le Dr Greene s’attend à ce que je ne survive pas à cet accouchement ?
Que deviendrait Christian ?
— Vous pouvez y réfléchir, Anastasia, si vous le désirez.
— Non, je n’en ai pas besoin. En cas d’urgence, sauvez l’enfant, en priorité. Mais il faut que j’en
parle à mon mari, il faut qu’il soit au courant, il est en droit de connaître ma décision.
— Très bien, c’est à vous de voir. N’oubliez pas qu’il s’agit simplement d’une précaution au cas
où… Ne dramatisez pas ce document, je vous en prie. J’ai vu des mariages se briser parce que les couples
n’avaient pas pris en compte les conséquences d’un choix trop hâtif, je pense qu’il est préférable de se
préparer au pire même s’il n’est jamais affronté.
***
Dans le couloir de l’hôpital, Christian tente de m’extorquer une réponse, mais j’esquive son
interrogatoire. Je suis vidée, je veux rentrer chez moi. Le trajet en voiture est tendu, Christian et moi
sommes chacun plongés dans nos pensées. Je lui jette un coup d’œil en dessous, je devine sans peine à
la dure ligne de sa mâchoire qu’il est furieux. Il sait déjà que ce que j’ai appris de Brenda ne lui plaira
pas. Taylor est au volant, présence familière et rassurante. Christian attendra donc que nous soyons seuls
pour reprendre ses questions.
C’est bien le cas. À peine sommes-nous entrés au salon, il se tourne vers moi, les yeux intenses :
— Alors, qu’est-ce qu’elle t’a dit ?
— Écoute… pas maintenant. Je t’en parlerai plus tard, il faut que je réfléchisse.
— Anastasia, il n’est pas question que j’attende d’une minute de plus !
J’ai la sensation que ce fichu document brille à travers le cuir et que Christian va sentir sa présence.
À cette idée, mes mains se crispent sur mon sac. Bien entendu, mon geste attire l’attention de Christian.
Il fronce les sourcils.
— Qu’est-ce que tu caches là-dedans ?
J’ouvre la bouche pour répondre « rien d’important », mais je ne peux pas. Je ne veux pas lui mentir,
ce serait aller contre toutes mes convictions. Je me souviens de ma colère quand il m’a caché la menace
de Leila Williams et son arme, de Jake Hyde … Je comprends enfin pourquoi il cherchait à me protéger.
D’un autre côté, la réalité finit toujours par reprendre ses droits.
Christian a remarqué mon affolement. Il pâlit.
— Le bébé ? chuchote-t-il. Ne me dis pas qu’il y a un problème avec le bébé.
— Non, Christian, non ! Tu as entendu le Dr Greene. Tout va bien.
— Ana, je ne comprends pas que cette bonne femme ait une aussi bonne réputation ! Comment
peut-elle foutre dans la même phrase un « tout va bien » et te parler ensuite d’une hypertension. J’ai lu
sur Internet que l’hypertension est l’une des complications les plus redoutées de la grossesse. Quand elle
n’est pas prise en charge, elle peut entraîner un risque d’éclampsies très dangereuses aussi bien pour toi
que pour le bébé.
— C’est quoi au juste, l’éclampsie ?
— Des convulsions dans un contexte d’hypertension gravidique, qui s’appelle justement pré-
éclampsie ou toxémie gravidique…
— Tous ces termes sont un peu effrayants…
— Justement ! Pourquoi le Dr Greene n’a-t-elle pas pris de précautions ?
— Réfléchis, voyons, c’est parce que je ne risque rien de tout ça. Je me souviens du terme
« toxémie », ça arrive dès la première grossesse, non ?
— Effectivement.
— Bien, ce n’est pas mon cas. Christian, j’ai déjà fait un peu d’hypertension au troisième trimestre
en attendant Teddy et après l’accouchement, tout s’est arrangé. J’ai une tension normale en dehors de
mes grossesses aussi il n’y a rien d’inquiétant dans mon état actuel. De plus, tu sais bien qu’une
infirmière vient deux fois par semaine prendre ma tension et faire des analyses urinaires.
— Oui, la protéinurie…
— Donc, je suis suivie médicalement, si le Dr Greene ne m’a pas donné d’autres rendez-vous à son
cabinet avant l’accouchement, c’est qu’elle n’est pas aussi inquiète que ça.
— Très bien, alors pourquoi a-t-elle voulu te voir en tête à tête ? Et que caches-tu dans ton sac à
main ?
Cette fois, je suis au pied du mur.
Après une dernière hésitation, je sors l’enveloppe Kraft et je la tends à Christian. Il l’ouvre et en tire
deux documents. Deux ? J’ouvre de grands yeux étonnés, je croyais qu’il n’y avait qu’un seul feuillet,
celui que je devais signer.
Christian s’intéresse d’abord à une plaquette, je m’approche pour en lire l’en-tête : Les conséquences
d’une césarienne :
*
La césarienne est un mode d’accouchement différent, qui a une influence aussi bien sur les
processus intra-utérins liés à la naissance que sur les premières minutes de vie de votre bébé.
 Date d’accouchement imposée
 Absence de travail
 Risques de détresse respiratoire et d’inhalation de méconium
 Usage de produits anesthésiants
 Soins plus intenses après la naissance
 Perturbation de l'établissement du lien mère-enfant ou père-enfant
 Risques de blessure de l'enfant
 À long terme : risques d’asthme
 À long terme : risques d’allergie
*
— Oh mon Dieu !
— Anastasia, ne t’inquiète pas. J’avais déjà vu ce genre de baratin sur Internet, les médecins sont
obligés de prévenir une patiente des éventuelles séquelles, mais je t’assure que statistiquement, l’enfant
risque bien moins que durant un mauvais accouchement si son cœur fatigue, s’il respire mal, ou si son
cerveau n’est pas suffisamment irrigué. Regarde Teddy !
J’esquisse un sourire. Effectivement, mon vaillant petit garçon a connu un accouchement difficile.
J’espère que Petit Pois n°2 s’en sortira aussi bien.
Il me faut quelques secondes pour réaliser que Christian parcourt déjà le second feuillet. Il fronce les
sourcils. Seigneur, il va se mettre en colère…
— Pourquoi n’as-tu pas signé ce papier à l’hôpital ? Pourquoi ne l’as-tu pas laissé au Dr Greene ?
Quoi ?
— Mais… mais…
— Ana ? Est-ce que ça va ? Tu es toute pale. Viens, assois-toi. Que se passe-t-il, baby ?
— Ce papier…
— Oui, et alors ?
Là, je sens que quelque chose m’a échappé. Est-ce que je n’ai pas compris ce que m’a dit Brenda ?
Est-ce que j’ai une fois de plus tout dramatisé ? D’ailleurs, en y réfléchissant, est-il possible à un médecin
de proposer à une mère un choix entre sa vie et celle de l’enfant ? C’est tellement… médiéval !
— Que dit ce papier, Christian ?
— C’est une autorisation qui donne à ton médecin le droit d’agir en cas d’urgence. Tu te rappelles,
pour Teddy ? Ton entêtement a retardé la césarienne de plusieurs heures. J’imagine que…
— Mais j’ai déjà accepté une césarienne !
— Je sais, baby, mais le Dr Greene a préféré prendre ses précautions, ce document lui donne carte
blanche sans avoir besoin de ton accord – ou du mien.
— Ah…
Le soulagement me coupe les jambes. Christian m’examine, brusquement suspicieux.
— Ana, tu me caches quelque chose. Qu’est-ce que tu as ? Qu’est-ce qu’elle t’a dit d’autre ?
— Rien, rien de spécial… mais je n’avais pas compris… Entre ces papiers à signer et cette histoire
de tension, j’ai cru… J’ai cru…
— Quoi, Ana ? Parle, bon Dieu !
— J’ai cru qu’il y avait un problème… et qu’elle n’était pas certaine que l’accouchement se
passerait sans… dégâts.
À ma grande surprise, Christian éclate de rire. Ce n’est pas du tout la réaction que j’attendais.
— Ana ! Si le Dr Greene s’inquiétait pour toi, tu serais dans un lit d’hôpital, entourée d’appareils
médicaux, et tu ne poserais plus un pied à terre jusqu’au jour de la naissance. D’accord, elle t’a dit de
ne pas stresser, mais elle t’a aussi autorisée à conduire ta voiture. Tu crois vraiment qu’elle l’aurait fait
si elle craignait qu’il t’arrive quelque chose ?
— Tu as raison, je suis stupide.
Christian me prend dans ses bras et m’embrasse, tendrement. Puis il regarde autour de lui.
— Où est Teddy ?
— Avec Gail, je présume.
— Allons voir ce qu’il devient, d’accord ?
— Bien sûr.

Livre 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant