Le Jeu de la Vérité

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Ana
— Nous voilà seuls, Mrs Grey. À nous deux.
— Tu connais les règles du jeu Action et Vérité, Christian ?
— Vaguement, mais d’après ce que j’ai compris, baby, c’est pour les ados. Et on a beau nous
accuser de l’être, je pense préférable que nous décidions de nos propres règles. De notre propre jeu.
— Comment ça ?
— Pour emprunter une formule de ta chère Walkyrie, ce sera plutôt Vérité et Vérité, avec le choix
entre une assertion – qui commencera par « je veux » et sera quelque chose à obtenir de l’autre –, et une
question exigeant une réponse authentique. Qu’en dis-tu ?
— Je veux bien essayer. C’est toi qui commences.
— Facile. Je veux que tu suives à la lettre le protocole de sécurité établi pour toi, Anastasia. Pour
moi, c’est vital, je ne peux pas fonctionner si je m’inquiète à ton sujet. En revanche, tu pourras désormais
participer à l’établissement de ce protocole. Si certains points te déplaisent, parles-en avec moi, Taylor,
ou même Sawyer. Un protocole est modulable, baby. L’important est qu’il soit clair pour toutes les
parties impliquées.
— Je vois. Je le ferai. Et euh… je te remercie de cet additif.
Je ne sais pas du tout comment je pourrais utiliser cette nouvelle « liberté » mais j’y réfléchirai plus
tard, à tête reposée… En attendant, le jeu continue. Je demande :
— C’est à mon tour ?
— Oui.
— Alors, ce sera une question : pourquoi est-ce que ce protocole est pour toi une telle obsession ?
Et ne me réponds pas qu’il s’agit uniquement de ma sécurité, je sais qu’il y a autre chose.
Christian ouvre la bouche, la referme et réfléchit. Il reste silencieux un si long moment que je finis
par croire qu’il ne répondra pas. Puis je réalise qu’il ne s’est jamais posé la question et qu’il cherche une
réponse la plus sincère possible.
— À dire vrai, je vois deux raisons, chacune plus égoïste l’une que l’autre. La première, Anastasia,
c’est que tu es toute ma vie. Je ne supporterais pas qu’il t’arrive quelque chose. Regarde, hier soir par
exemple : à peine arrivés à l’hôpital, ma mère et les médecins m’ont rassuré sur le fait que tu n’avais
rien de grave, mais je savais que tu souffrais, que tu perdais ton sang, alors j’étais… mal. Horriblement
mal.
Il y a tant d’amour dans ses yeux gris écarquillés que mon cœur se serre. Comment ai-je pu douter
de lui ? Je reste muette, suspendue à ses lèvres, mes mains accrochées aux siennes.
— La seconde raison, chuchote Christian, est plus difficile à avouer. J’ai beaucoup travaillé pour
réussir et créer GEH – mon univers. Tout ça… (Il agite la main,) cette sécurité, ces agents qui nous
entourent, ces contraintes… ça fait partie de ce que je suis. Quand tu les refuses, j’ai la sensation que tu
n’acceptes pas réellement d’être ma femme, d’être avec moi, de m’appartenir – et quand je dis « appartenir », il ne s’agit pas d’un meuble ou d’une œuvre d’art ajouté à ma collection. Loin de là. Un
mariage, à mes yeux, c’est deux êtres qui ne font plus qu’un. Tu es ma meilleure partie, Anastasia. Je
ne veux pas en être amputé.
— Oh, Christian !
Serrés l’un contre l’autre, nous restons un moment silencieux. Je sens déjà que ce jeu de la vérité va
être émotionnellement bouleversant.
Quand je relève enfin la tête de son épaule, je lui souris en disant :
— À ton tour.
— Je vais encore opter pour une exigence, manifestement, ça correspond plus à mon caractère
qu’une question. Mais tu ne perds rien pour attendre, Mrs Grey : avant que nous en ayons terminé, tu
auras subi une inquisition.
Je me mets à rire, heureuse qu’il soit lui-même. Nous ayons retrouvé nos échanges « normaux ».
— Alors, reprend Christian, je veux que tu me parles quand tu as un problème. Hurle, engueule-
moi, fais tout ce que tu veux, mais par pitié, n’espère pas que je comprenne des signaux cryptés. Tu sais,
ces derniers jours, quand nous étions si loin l’un de l’autre, je n’avais plus confiance en mon propre
jugement. J’ai été obligé de demander des conseils à tout le monde !
— Tout le monde… ? C’est-à-dire ?
— John Flynn. Elliot. Kate.
— Et… ?
— Et c’est tout ! Proteste Christian, qui semble étonné. C’était la première fois que je demandais
un conseil à Elliot, tu aurais vu sa tronche ! Quant à la Walkyrie, n’en parlons pas, je ne suis pas encore
remis de ma stupéfaction que nous ayons passé un quart d’heure en tête-à-tête sans nous étriper
mutuellement.
— Pourquoi ne pas avoir parlé à tes parents ?
— Je ne voulais pas les inquiéter. Oh merde ! Il n’y a pas que ça… C’est chiant la vérité, tu sais,
ça creuse des plaies ouvertes… (Il soupire.) Voilà… Juste après ton agression, nous avons beaucoup
parlé ma mère et moi. Je lui ai avoué de mon attitude inadmissible en apprenant ta grossesse, mes torts
à ton égard. Elle a été très gentille et compréhensive. Mais là, je suis – hum, disons, récidiviste… je ne
voulais pas qu’elle me trouve incompétent en tant que mari.
— Ta mère t’adore Christian. Elle ne t’aurait pas jugé.
— Oui, peut-être. J’ai gardé si longtemps mes secrets, baby. Certaines habitudes sont difficiles à
rompre.
Il parait si triste que je tente d’alléger l’atmosphère. Je lance, moqueuse :
— Fais-moi penser à envoyer une nouvelle définition au dictionnaire Webster online : « tout le
monde » représente… trois personnes.
J’éclate de rire. Christian me serre très fort contre lui, j’entends un gloussement émaner de sa gorge.
— Quand tu te moques de moi, je sais que tu m’aimes. N’arrête jamais !
— Attends un peu ! C’était à moi de jouer. Ne triche pas, s’il te plaît, je te surveille.
— Je suis tout ouïe, Mrs Grey. Que veux-tu ?
— Eh bien… Choisir de temps à autre ce que nous allons faire ensemble – par exemple, notre menu
au restaurant, l’endroit où nous allons dîner. J’adore tes surprises, Christian ! Pour notre voyage de noces
j’étais comme une enfant à la veille de Noël, prête à ouvrir mes cadeaux. Mais j’aimerais te le rendre
parfois, pouvoir te surprendre.
— Tu me surprends tous les jours de notre vie, Ana. Et tu ne dois pas dire « j’aimerais » mais « je
veux ». Peu importe, j’ai compris. Très bien, tu auras le choix. Pas toujours, bien sûr, mais nous
trouverons un compromis. Flynn aime beaucoup le mot « compromis », il me le serine depuis des lustres.
Christian ricane et ajoute :
— Tu veux que nous tenions une main courante pour savoir qui décide quoi ?
— Non ! Et je t’interdis de prononcer le mot « contrat ».
— Tu vois, toi aussi tu triches : deux exigences en deux phrases. Et je te rappelle que la formule
n’est pas « je t’interdis » mais « je veux ». Baby, même pour un jeu, tu ne suis pas les consignes.
Je ris encore. C’est une nouvelle facette de Christian, ce côté joueur, jeune, espiègle. Il paraît détendu
et heureux. Pourtant, nous avons à peine fait nos premiers pas sur ce chemin inconnu de la découverte
mutuelle… C’est enivrant.
— Alors c’est à ton tour, Christian. Que vas-tu choisir ?
— Une question. Pourquoi as-tu acheté ce billet d’avion lundi dernier ?
— Parce que je pouvais.
— Tu m’as volé ma formule, baby. Que voulais-tu en faire ? Et ne me dis pas qu’il s’agit d’une
autre question, c’est la même. Une réponse, pour être véridique, doit être plus élaborée.
— Eh bien, cela va être difficile d’être exhaustive vu que je ne suis pas certaine d’avoir vraiment
compris ce qui m’a motivée. C’était d’abord un coup de tête, bien sûr, l’envie de te provoquer. Je voulais
aussi me prouver que j’étais capable de réagir par moi-même, d’être autonome. Ensuite, en y
réfléchissant, je me suis rendu compte que je n’avais rien prévu.
— Tu avais changé depuis quelques temps déjà, Ana. Pourquoi ?
— Tout a commencé avec une sorte… d’impatience vis-à-vis de moi-même. Je… J’avais la
sensation de ne plus savoir où j’en étais – ni où j’allais. Alors, j’ai voulu rencontrer Kate et lui en parler.
Je pensais qu’elle pourrait m’aider à démêler cet écheveau d’émotions contradictoires. Elle représente
pour moi le modèle de la femme qui s’assume : elle réalise tous ses objectifs, tout en maintenant un
équilibre parfait entre sa vie de couple et sa vie professionnelle.
Christian pousse un grognement de protestation, je me tourne vers lui pour l’interroger du regard, il
secoue la tête et ordonne :
— Continue.
— Je lui ai téléphoné pour que nous déjeunions ensemble. Elle ne pouvait pas, elle était sur la côte
Est, elle m’a parlé de New York… je crois. Et tout à coup, New York est devenu pour moi un symbole,
une thérapie indispensable pour contrecarrer cette déprime… Je ne sais pas si le terme est exact, mais je
me sentais perdue. Ma vie paraît toute tracée, j’ai un mari, un enfant, un métier. Et je me sentais plutôt
dans un labyrinthe, les mains plaquées contre la vitre. Je voyais le monde réel, mais je n’arrivais pas à
le rejoindre. J’ai eu le temps de réfléchir ce dernier week-end, je ne sais pas d’où m’est venu ce mal-
être, mais j’aurais dû en chercher la source au lieu de faire une obsession sur un moyen d’évasion. Kate
m’a dit que j’étais immature – et elle n’est pas la seule à m’avoir traitée de gamine capricieuse. D’accord,
je comprends que mon aptitude ait pu donner cette impression, mais comme je tournais en rond dans
mon bocal, j’avais perdu tout sens de la perspective. Voilà, je ne sais pas si c’est une explication claire,
mais c’est la vérité… telle que je l’ai ressentie.
— Merci, baby. Il est rare que tu tiennes un aussi long discours. Je comprends mieux. Je suis désolé
qu’il m’ait fallu aussi longtemps pour… Comme je te l’ai dit, j’ai été consulter le Dr Flynn parce que je
ne savais plus quoi faire. Il m’a rappelé tes nombreux chocs émotionnels de ces deux dernières années :
tu t’es mariée, tu as eu un enfant, tu as été agressée. Flynn parlait d’un éventuel contrecoup.
— Ah… Le hic, c’est que tous ces prétendus « chocs » sont d’heureux événements – sauf
l’agression, bien sûr, mais elle ne compte pas.
— Ne dis pas ça ! J’ai perdu dix ans de ma vie durant ces quelques jours passés à ton chevet à
l’hôpital pendant que tu étais dans le coma.
— Je suis désolée. Je sais que tu t’inquiètes pour moi, mais une semaine par rapport aux mois que
nous avons passés ensemble, ce n’est pas si cher payé, tu ne crois pas ?
Il me prend dans ses bras et m’embrasse, doucement, comme si j’étais en cristal. J’effleure ses lèvres
de ma langue, je le sens trembler, mais il s’écarte.
— Mrs Grey, tiens-toi bien ! Me gronde-t-il. Pas de sexe avant que tu n’aies retrouvé tes forces. Ne
me tente pas, baby, mon self-control n’est plus ce qu’il était.
Pour changer de sujet, Christian en revient à notre jeu.
— C’est à qui le tour ?
— C’est à moi. Je veux que nous fassions un autre enfant.
Christian blêmit.
— Hum – pourquoi pas ? Bien sûr… le Dr Greene a dit que tu devrais attendre deux cycles complets
pour que ton utérus soit parfaitement cicatrisé.
— Je serai patiente jusqu’à Noël. Quelle belle image : la naissance du Christ. Notre enfant naîtrait
l’année prochaine. Il n’aurait que deux ans d’écart avec Teddy, ils joueront très vite ensemble. Je ne
veux pas que Teddy soit enfant unique. Je l’ai vécu, c’était… difficile.
— Je sais, Ana. C’est d’accord, je vais y penser. Attendre l’an prochain me paraît être une bonne
idée.
— Merci, merci beaucoup. Tu sais, j’ai eu terriblement peur d’être devenu stérile, hier, en voyant
tout ce sang. J’ai réalisé que la vie pouvait basculer, rapidement. Je pense qu’il est temps pour nous
d’agrandir la famille.
Comme il paraît terriblement secoué, j’enchaîne assez vite :
— C’est à toi, Christian.
— Anastasia, s’il te plaît, je veux un autre garçon !
— Pourquoi ? Ne me dis pas que tu es un de ces machos qui se sent plus viril en engendrant des
garçons ?
— Non, bien sûr que non. Mais l’idée d’avoir une petite fille… (Il frémit,) me terrorise.
— Je ne vois pas pourquoi. Tu avais des doutes concernant ta capacité d’être père, Teddy t’a prouvé
à quel point ils étaient infondés. Une fille, un garçon, c’est pareil… C’est un enfant – un enfant de toi.
Et puis, qui sait comment ils grandiront ? Ton fils est ton portrait, ça ne veut pas du tout dire qu’il sera
comme toi une fois adulte. Tu as beau l’imaginer P-DG de Grey House, il sera peut-être avocat, comme
ton père, ou bâtisseur, comme son parrain…
Christian éclate de rire.
— Il n’est même pas fichu d’empiler deux cubes, j’ai un doute sur son avenir dans le bâtiment !
— Ce que je veux dire, c’est qu’on ne peut savoir à l’avance les aspirations d’un enfant. On ne peut
pas davantage choisir le sexe d’un bébé.
— Bon Dieu… Tu m’as coupé les jambes. À toi de demander quelque chose.
— Je ne sais pas comment commencer par « je veux », parce que c’est le contraire : je ne veux plus
jamais que tu me présentes un ultimatum. Christian, je ne veux pas de punition. Nous en avions parlé
avant notre mariage, je ne comprends pas ce qui s’est passé…
Il sursaute et m’interrompt. Son visage est bouleversé par les remords.
— Je suis désolé, mon amour, profondément désolé. Je ne comprends pas non plus comment mon
plan a déraillé. J’en suis resté sur le cul. La situation était explosive : toi, tu insistais pour aller à New
York, moi, j’avais un deal très important en cours à GEH. J’essayais de résoudre ces deux problèmes en
même temps, j’ai fini par décider que nous pourrions passer ensemble un week-end à New York. Selon
moi, tu aurais eu du temps libre pendant mes réunions professionnelles, et tout le monde serait content.
Christian fait la grimace et avoue :
— Merde, ça, c’est une formule d’Elliot. J’ai reçu tous ces foutus conseils des uns et des autres :
Donne-lui davantage d’autonomie, donne-lui le choix, laisse-la vivre. Et j’ai tout fait foiré. J’ai voulu
t’organiser un séjour agréable… J’ai regardé sur Internet pour t’inscrire à des conférences avec des
auteurs de tous les pays, je sais que l’édition compte beaucoup pour toi.
— C’est vrai ? C’est gentil. Mais il ne s’agit pas de tes projets concernant New York, je parlais de
cet instrument horrible… Ce battoir…
Je vois son visage se crisper, il ferme les yeux. Quand il les ouvre, il y a une nouvelle vulnérabilité
dans son regard.
— Ana, qu’as-tu pensé de notre dernière session dans la salle de jeu ?
Une seconde, je pense qu’il utilise sa technique habituelle de diversion, via le sexe, mais non, ce
n’est pas le cas. Nous sommes à cœur ouvert cet après-midi. Il ne m’est pas difficile de répondre la
vérité à cette question-là. Je souris.
— C’était sublime, comme toujours. J’étais si fatiguée après que je me suis endormie sans que nous
fassions l’amour dans notre lit, comme tu l’avais prévu, j’en suis certaine. Oh…
Je viens de me rappeler avoir tout gâché ce soir-là en réclamant, encore, d’aller à New York juste
avant notre coucher.
— Quoi, oh ? S’inquiète Christian.
— Tu parles de mon insistance à notre retour dans la chambre, c’est ça ?
— Non, baby. Je parle de ce qui s’est passé dans la salle de jeu. Je t’ai bandé les yeux. Je voulais
franchir une nouvelle étape et te démontrer que tous mes accessoires ne sont pas terrifiants. Nous avons
joué, tu te souviens ? Tu as reconnu la cravache, le martinet, la règle… mais pas les fouets ou la palette.
— Les fouets ? La palette ! Cet instrument en cuir que tu avais l’autre soir sur son bureau, c’était
ça – une palette – et tu l’avais déjà utilisée sur moi ?
— Oui, Ana. C’est avec ça que tu as joui. C’est souple, avec manche en bois de forme phallique,
une palette a de nombreux usages tous plus jouissifs les uns que les autres. Je t’avais proposé une
« punition » d’ordre érotique, je ne sais pas comment je la situation a dérapé – je crois que je me suis
mis en colère… mais je t’assure que mon intention initiale était de te satisfaire sexuellement, avant de
t’emmener à New York comme tu me l’avais demandé.
— Ah. Je n’ai entendu qu’un ultimatum odieux. Tu sais, Kate n’a pas tort. Nous avons un problème
de communication.
— C’est un obstacle que nous surmonterons ensemble, toi et moi. La nuit dernière, à l’hôpital, j’ai
réfléchi. Nous n’avons pas à suivre les conseils des uns et des autres parce que leur couple n’est pas le
nôtre. Regarde un peu Kate et Elliot ? Ils sont heureux, d’accord, mais je ne veux pas que ma femme
soit en permanence à l’autre bout du pays et moi tout seul à la maison. Je ne veux pas non plus m’absenter
pour reconstruire un pays en laissant mon épouse « autonome » se débrouiller. Je ne veux pas davantage
imiter le couple de mes parents ou des Taylor, et par-dessus tout je ne veux pas d’un divorce. Notre
couple est unique, Ana. C’est à nous et à nous seuls de déterminer la meilleure façon de vivre ensemble.
Il a raison. Je souffle :
— D’accord.
— Dorénavant, le seul conseil que nous appliquerons, c’est celui que m’a donné Dan Alester. Ne
jamais nous coucher sur un différend.
— Un différend ? Tu as le don de l’euphémisme. C’était bien pire, c’était une querelle, presque une
fissure !
— ce qui ne fait que confirmer ma décision. Ne jamais nous coucher sans une franche explication.
Et la prochaine fois que nous nous disputerons parce que nous n’avons pas le même avis, autant que
nous soyons certains qu’il ne s’agit pas d’un malentendu ou de non-dits accumulés.
— Ça me paraît être un excellent plan. Où est-ce que je dois signer ?
— Pas de contrat, Mrs Grey. Que vais-je bien pouvoir faire de toi si tu oublies tes propres clauses ?
— Pfut. Je n’ai rien oublié du tout. C’était pour… pour voir si tu suivais.
Il m’embrasse encore. Je vois bien qu’il n’est pas très convaincu par mes dénégations – en fait, il se
retient de me rire au nez. Il a raison, je ne suis pas certaine d’être bonne négociatrice. Il est si adorable !
Ce jeu est une idée… magnifique. Sous le coup de l’émotion, je tiens à faire un geste – mais lequel ? Et
tout à coup, j’ai une idée, dans Action et Vérité, il y a aussi la notion de gage.
Je me lance :
— Christian, je n’ai pas d’autres questions, mais je voudrais t’offrir un gage.
— Pardon ?
— C’est mon obsession d’aller à New York qui a déclenché toute cette histoire. Je veux faire
pénitence, je vais t’offrir un gage.
— Anastasia, nous ne sommes pas des adolescents. J’ai lu sur Internet les pratiques d’Action et
Vérité. Tu me vois te demander de faire le tour de la pièce à cloche-pied ou de boire du vinaigre ? (Il
fait la moue.) Franchement ?
— Ce n’est pas ce que j’envisageais. Demande-moi d’accomplir une tâche inédite – quelque chose
qui te ferait plaisir. Je le ferai.
Il penche la tête, intéressé. Je frétille, ce sera sûrement sexuel. Mmm…
— Sans même savoir de quoi il s’agit ? Tu me donnes carte blanche ?
— Oui. J’ai confiance en toi. Et je tiens à te le démontrer.
— Très bien. Je sais ce que je veux. (Il ricane.) Si tu t’attendais à un gage sexuel, baby, tu vas être
déçue. Je veux que tu dépenses mon argent.
— Quoi ?
J’écarquille les yeux, horrifiée. C’est un gage – horrible !
— Je t’ai ouvert un compte, tu as une carte Black Amex et, d’après ce que j’en sais, tu l’as utilisée
une seule fois, à Aspen, avant les fiançailles d’Elliot.
— Ce n’était pas de ma faute ! Kate et Mia m’avaient traînée dans les magasins. Et ta sœur m’a
forcée à acheter cette petite robe argentée…
— Grrr. Ça ne m’étonne pas de Mia. Cette robe te couvrait à peine les fesses, du coup ce yéti blond
s’est cru autorisé à te draguer chez Zax, sur la piste de danse, juste sous mes yeux. Mais tu aggraves ton
cas, baby. Ainsi, la seule fois où tu as dépensé, ce n’était même pas de ton plein gré ?
Oups, grillée !
— Mais Christian, j’ai déjà tout ce qu’il me faut, des habits, des bijoux, des voitures… Que
pourrais-je acheter de plus ?
— Je m’en fiche. Tu as reçu ton gage. Et comme je suis bon prince, je te laisse jusqu’à Noël pour
l’exécuter. Tu n’auras qu’à acheter des cadeaux pour toute la famille ou bien une garde-robe pour notre
fils qui lui durera jusqu’à sa majorité. L’important, c’est que tu dépenses. Deal ?
— Deal.
Je marmonne ce simple mot, d’une voix maussade. Il m’a vraiment eue sur ce coup-là. Il se penche
et chuchote à mon oreille :
— Ne fais pas cette tête, Mrs Grey. Maintenant, c’est à ton tour. Donne-moi aussi un gage – ce que
tu veux.
Tout en parlant, Christian glisse du lit et se met à genoux sur le tapis. Il prend ma main et la presse
contre ses lèvres.
— Ana, je te demande pardon pour tout ce que tu as enduré à cause de moi depuis le jour où tu
m’as rencontré. Je t’aime, je t’aime infiniment, mais je ne peux te promettre de ne pas déconner de temps
à autre. Manifestement, c’est dans ma nature. Donne-moi un gage, baby. Quelque chose de vraiment
difficile. Je le ferai. Je le ferai pour toi. Quoi que ce soit.
Je penche la tête. Étrangement, je n’ai pas besoin de réfléchir. Je sais déjà ce que je vais lui demander.
— Je veux que tu ailles sur la tombe d’Ella.
Il se fige. Il ouvre la bouche – et rien ne sort. Je reprends très vite :
— Tu as six mois pour le faire, jusqu’au printemps prochain. Je sais que Grace a ramené ses cendres
ici même, au cimetière de Lakeview. Ella Watson était ta mère biologique, Christian. Tu l’as aimée étant enfant. Tu es dorénavant un adulte comblé, un époux aimant, un père merveilleux. Tu dois refermer la
porte de ton enfance et pardonner à Ella. Tu dois aller sur sa tombe et le lui dire.
Je le vois baisser la tête. Un grand frisson le traverse, il reste silencieux. Quand il se relève, il y a
dans ses yeux une sorte de vénération.
— Je le ferai. Pas tout de suite, mais bientôt. Merci, baby.
***
Christian
Après le dîner, Ana et moi sommes aussi fatigués l’un que l’autre, aussi nous décidons de repousser
à un autre soir notre auto-analyse de couple – notre « thérapie conjugale » comme elle dit en riant.
— Je suis tout à fait d’accord, baby, il ne faut pas abuser des meilleures choses. Je suis HS. La nuit
dernière, à l’hôpital, je n’ai pas été ébloui par le confort des fauteuils en plastique. Et à New York, je
n’ai pas fermé l’œil.
J’ajoute en ricanant :
— Normal, après avoir affronté Kate !
— Arrête ! proteste Ana qui me frappe au bras.
Je fais semblant de me plier de douleur. Elle rit et continue :
— Et moi, même si je n’ai cessé de dormir au cours des derniers jours, j’ai bien besoin d’une nuit
de sommeil paisible. (Elle bat des cils.) Dans tes bras.
— C’est là qu’est ta place en ce monde, Mrs Grey.
Au moment où j’éteins la lampe, je réalise avoir un dernier aveu à faire à ma femme. Dans le noir,
le nez enfoui dans ses cheveux, le corps enroulé autour d’elle, je lui chuchote à l’oreille :
— Tu n’as pas à envier à ton amie son autonomie, Ana. Je connais Keith Kavanagh, il aurait fait
un bon dominant. Un mec droit mais exigeant. Sous sa poigne, Kate n’a pas dû s’amuser durant son
enfance. Si tu veux mon avis, son agressivité actuelle est séquelle de rébellion adolescente pas encore
dépassée.
— Tu crois ?
— Mas oui. Regarde un peu : le père de Kate possède Kavanagh Media, une grosse boîte où il y a
certainement de quoi caser une bonne journaliste – bien acharnée. Tu vois, je reconnais ses qualités.
Ana se met à glousser.
— Ce culot ! Christian, tu détestes la presse et tous ses intervenants ! Pour toi, être une bonne
journaliste ce n’est pas un compliment, loin de là.
— Passons… Ce que je voulais dire, c’est que Kate travaille au Seattle Time pour faire un pied de
nez à son père. Au fait, ils ont diné ensemble l’autre soir, à New York…
— C’est vrai ? Kate et son père ? Comment le sais-tu ?
— Ana, s’il te plaît, garde bien mon secret, d’accord ?
— Oui.
— Voilà, je savais que Kate était à New York, alors quand Elliot m’a dit… Eh bien, j’ai mis à Kate
une équipe de sécurité aux basques, 24 heures sur 24. Je sais tout ce qu’elle fait, à la minute près.
— Non ! Oh lala… si elle l’apprenait, je crois qu’elle… elle t’étranglerait !
À mon avis, mon cou ne risque rien. C’est à d’autres parties de mon anatomie que s’attaquerait la
Walkyrie déchaînée. Ana se retourne dans l’étau de mes bras pour demander :
— Comment as-tu fait pour obtenir à tes agents une carte de presse ?
— Avec de l’argent, tout s’achète, baby. Kate utilisait une des chambres que Kavanagh Media loue
à l’année, au Hilton. En bonne opportuniste, elle a su utiliser ses atouts : elle savait qu’il lui serait
difficile de trouver une chambre au dernier moment à Manhattan pendant la fashion week.
— Je vois.
— Ton père, Ray, est un homme taciturne, baby, mais il est infiniment plus facile à vivre que Keith,
je t’assure. Kate a appris à s’endurcir en bataillant. D’ailleurs, une de ses remarques de l’autre soir ne
cesse de me titiller : elle m’a dit de surveiller à mon côté autoritaire, sinon j’allais bousiller ma relation
avec mon fils. Elle le sait d’expérience. Ce qui m’a donné à réfléchir.
— Teddy n’a que quinze mois, Christian. Sa crise d’adolescence n’est pas pour demain.
— Oui, Ana, mais le temps passe vite. Regarde, nous sommes déjà mariés depuis deux ans. Si tu
veux mon avis, dans un battement de cœur ou deux, nous fêterons nos vingt ans de mariage en nous
demandant où sont passées toutes ces années. Je veux profiter du moindre moment avec toi.
Je dépose un baiser sur elle, à l’aveuglette. Je vise bien : sa bouche est douce et parfumée à la menthe.
Grey, ne t’attarde pas… Je l’embrasse ailleurs, au hasard, sans rien voir. Je tombe sur son petit nez
dressé. Elle glousse parce que je la chatouille.
Je reprends :
— À propos d’anniversaire…
— Oui, quoi ?
— Nous sommes bientôt le 10 septembre. Si je me souviens bien, c’est un jour à célébrer… J’ai
pensé à quelque chose, je voudrais ton avis.
Je l’entends inspirer très fort, elle sait que je cherche à mettre en application ce qu’elle m’a demandé
tout à l’heure.
— Oui… ? Souffle-t-elle.
— Que dirais-tu d’aller quelques jours à New York, tous les deux, sans rendez-vous GEH, sans
ultimatum, sans nuages ? Je serai obligé de passer à GEH demain – je vérifierai quand je suis disponible.
Quant à toi, tu ne retourneras pas à SIP avant d’avoir recouvré tes forces. Nous pourrions partir en
catimini jusqu’au week-end prochain. C’est toi qui décideras de ce que nous ferons, monuments,
restaurants, de tout.
Elle pousse un petit cri de joie qui me vrille les tympans – et me met le cœur en état de fibrillation.
— Ouiii ! J’utiliserai aussi ma carte black AmEx pour payer nos sorties. Comme ça, j’aurai rempli
mon gage.
Je fais un bond dans le lit avant de réaliser qu’elle me taquine.
— Ana ! Il n’est pas question que tu payes quand nous sommes ensemble !
— Pourquoi pas. Tu le dis toujours : c’est « notre » argent.
— Non. C’est une question de principe. C’est moi qui paye. Point final.
Grey, bordel, et tes compromis ? Tu es bouché à l’émeri ? La Communication pour les
Irrécupérables, page 47.
— Ana… Si tu veux, tu pourras prendre les tickets dans les musées et les expositions, deal ?
— Deal !
— Et ne compte pas t’en tirer à si bon compte, baby, je ne considère pas un billet d’entrée comme
une « dépense ».
— Peuh ! Ça valait le coup d’essayer.
— Tu es impayable, Mrs Grey. Que vais-je faire de toi ?
Elle reprend sa place sur le côté et cale ses fesses contre mon bas-ventre.
— Je suis sûre que tu trouveras une idée, Mr Grey.
— Je le pense aussi. Dors bien, mon amour.
— Toi aussi, Christian.
***
Taylor
Quand Ana revient de l’hôpital, elle reste toute la journée dans sa chambre et le patron ne la quitte
pas. Dans la soirée, je reçois un SMS, Grey m’annonce que nous irons le lendemain (ensemble) à GEH
– à l’heure habituelle. Merde, je n’aurais pas l’occasion de parler à Anastasia.
Heureusement, il y a un couac dans le système de sécurité de Broadview – rien de grave, une caméra
qui bugge et crée des parasites. À 14 heures Grey me charge d’aller régler le problème et me libère.
C’est Ryan et Reynolds qui l’accompagneront faire un bilan de mission new-yorkaise toute l’équipe des
bricolins ayant participé. Je leur laisse volontiers ma place ; D’après ce que j’ai compris, le patron a
acquis une nouvelle boîte. Grand bien lui fasse. Je suis blasé de cette petite routine des fusions-
acquisitions. C’est d’un monotone !
Je me retrouve dont sur l’I-5 qui, pour une fois est fluide. J’ai la musique à fond – La Bohème de
Giacomo Puccini, j’adore ! Et puis, ça m’aide à réfléchir : j’ai quelques heures devant moi pour coincer
Anastasia, en brandissant mon arme si nécessaire, et lui présenter mes excuses.
Quand j’arrive à Broadview sur les chapeaux de roues, il pleut. Mais c’est pas vrai ! Qu’est-ce que
j’ai fait au ciel ! Merde quoi ! Ana va rester enfermée par un temps pareil, ça ne m’arrange pas du tout.
Je sors de la voiture et traverse le rond-point devant la maison en courant comme un dératé. Une fois
entré et ébroué, je cherche ma femme – cette putain de baraque est immense, ça me fait mon exercice
quotidien de passer dans toutes les pièces, je me vois mal gueuler « Gail ! ». Ça ferait plouc.
Je finis la trouver dans la lingerie, occupée à repasser.
Elle lève les yeux, surprise, en me voyant entrer. Elle a un doux sourire.
— Jason ? Tu es déjà rentré ? Mr Grey n’est pas très assidu à son bureau à ce qu’on dirait.
J’imagine qu’il se fait du souci pour Ana.
— Non, Grey est resté à la barre du navire. Je suis tout seul. Grey prétend qu’une caméra a un
problème, il m’a renvoyé régler ça.
— Laquelle ?
— Celle de l’angle, derrière la maison. Elle a des ratés électriques, ne t’inquiète pas, ma puce.
J’en ai pour deux minutes. Où est Ana ?
— Dans sa chambre, elle se repose.
— Merde !
— Jason ! Cette petite sorte à peine d’une grave hémorragie, il est normal…
— Oui, je sais, je sais. Je veux juste lui parler. Je n’ai pas été très aimable avec elle ces derniers
temps… je voudrais m’excuser.
— Oh, je vois. Eh bien, j’ai fait la même chose ce matin. Elle m’a très vite interrompue en disant
qu’il était inutile que je m’excuse, que c’était elle au contraire qui avait inquiété tout le monde… Nous
avons bavardé. C’est une enfant charm— non, c’est une femme. Elle agit parfois de façon naïve, un peu
jeune, mais c’est une femme. Elle est mariée, mère de famille, nous n’avons pas le droit d’avoir des
préjugés sur son attitude et sur sa façon de mener sa vie.
— Tu as tout à fait raison, Mrs Taylor. C’est bien pour ça que je tiens à le lui dire de vive voix.
***
Comme prévu, il ne me faut pas longtemps pour régler la caméra. Je vérifie ensuite le circuit interne,
plus aucune anomalie. Bravo Taylor, tu as droit à un bon point ! Comme je n’ai pas grand-chose à faire,
je glandouille dans mon bureau, en mettant à jour quelques dossiers. Et pour dire la vérité, je rumine
mon humeur morose. La pluie qui tombe toujours est aussi grise que mes pensées.
Vers 16 heures, le soleil se décide à se lever. Une demi-heure après, le jardin est sec. Je suis
quasiment certain qu’Ana ne résistera pas à faire sortir Teddy. Le gamin est vraiment fan de sa
balançoire.
J’avais raison. Dès que j’entends des cris derrière la maison, j’ouvre la porte-fenêtre, traverse la
terrasse, contourne le bâtiment. Teddy est assis dans son bac à sable, il remplit un seau et tente de faire
des pâtés. Malheureusement pour lui, un couvercle en plastique protège le sable des intempéries. Son
sable est parfaitement sec : impossible de construire un château dans ces conditions. Teddy insiste avec
un acharnement rageur qui, selon moi, lui vient de son père.
Ana est sur un banc, enveloppée dans un châle. Elle regarde jouer son fils avec un sourire aux lèvres.
Elle m’entend approcher, j’en suis certain, elle ne tourne pas la tête. Voilà qui ne s’annonce pas très
bien pour moi. Elle va exiger sa livre de chair !
— Mrs Grey ?
— Oui, Taylor ?
— Je voudrais m’excuser.
— De quoi ? De m’avoir accusée de faire un caprice ? C’est inutile, vous aviez raison. Mon attitude
a été puérile et irresponsable.
— Ce n’était pas à moi d’en juger.
Cette fois, elle me fixe avec un sourire.

— Pourquoi pas ? J’ai souvent expliqué à Christian que je vous voyais comme un oncle. Vous avez
beaucoup de mon père, vous savez…
— J’en suis flatté, Raymond Steele est quelqu’un de très bien.
— Oui, c’est vrai. Ne vous inquiétez pas, Taylor, je ne vous en veux pas.
— Merci, je…
Elle m’interrompt avec une moue espiègle.
— De toute façon, j’aurai ma revanche. Comme ça, nous serons quittes.
Houlà, je le sens très mal. Elle va cafarder au patron ? Si elle l’avait déjà fait, je serai déjà en train
de pointer au chômage. Je la fixe d’un œil torve.
— Votre revanche ? Comment ça ?
— Vous avez une fille, Taylor. D’ici quelques années, elle sera en pleine crise d’adolescence.
Sophie est une petite adorable, mais elle sait ce qu’elle veut – et vous l’avez beaucoup gâtée. Vous
verrez, vous aurez droit à des bons gros caprices concernant les vêtements, les sorties, les petits amis…
J’ai la sensation d’avoir reçu un coup au plexus solaire. La petite est une adversaire coriace.
— Bord… Excusez-moi, mais une perspective de ce genre, ça a de quoi mettre un homme à genoux.
Elle éclate de rire, la chipie ! Mais je suis sacrément soulagé de la retrouver vive, espiègle, et animée.
Elle dit qu’elle ne m’en veut pas ? Pas besoin. Je m’en veux pour deux.
— Je vais aider Teddy pour son château, si vous le permettez, Ana.
— Volontiers. Christian affirme que Teddy n’a aucun don pour le bâtiment.
Hein ? Le patron est barge ou quoi ? Le gamin n’a que quinze mois…
Je découvre très vite que Teddy vient de pisser dans son bac à sable et il s’en fout partout. Ça marche
beaucoup mieux pour remplir son seau, mais c’est franchement dégueu. Comment a-t-il réussi à occulter
sa couche ? Mystère. Le gamin a de la ressource ! Je vais devoir faire désinfecter ce foutu baquet !
Sans me faire repérer par Sawyer !
Fin de l’Interlude

Livre 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant