Phase 4 - Offensive

3.8K 42 0
                                    


Lundi matin
Ana
En arrivant au bureau, je jette mon sac sur la console et m’écroule sur mon confortable siège
directorial en cuir en poussant un très long soupir. Je suis vraiment heureuse de retrouver mon territoire.
Le week-end a été difficile et, après ces quelques jours de tension, je n’arrive plus à respirer
correctement. Je baisse les yeux, j’ai les mains qui tremblent et les doigts glacés. Je n’arrive pas à
comprendre que je puisse me mettre dans un tel état.
Malheureusement, je n’ai droit qu’à cinq minutes de tranquillité avant d’entendre frapper à la porte.
— Entrez.
Pour me donner une contenance, je sors de mon sac le manuscrit que j’étais censée parcourir ce week-
end. Hannah pénètre dans mon bureau avec un grand sourire.
— Bonjour, Ana, comment allez-vous ? Voici votre emploi du temps de la journée pour que nous
le revoyions ensemble. Mrs Johnson passera à 11 heures pour la signature de son contrat et, après le
déjeuner, vous avez une réunion pour le bilan du mois d’août avec les autres chefs de départements.
J’essaie de me concentrer. Ce n’est pas facile, ma jeune assistante parle à toute vitesse, comme une
mitraillette qui cracherait des munitions. Je suis surprise de constater qu’elle articule cependant chaque
mot, et que je les perçois.
Hannah s’interrompt en fronçant les sourcils. Après deux secondes de silence, elle reprend :
— Ana, est-ce que ça va ? Vous paraissez très pâle…
J’ai recours, bien entendu, au mensonge habituel des femmes pour cacher un problème dont elles ne
tiennent pas à parler.
— Je vais très bien, merci. C’est juste que je n’ai pas très bien dormi.
— Est-ce qu’une tasse de thé vous aiderait à vous sentir en forme ? Propose-t-elle, rassérénée.
— Oui, volontiers, Hannah.
Et là, sans l’avoir prémédité, je prends une décision. Mon assistante a déjà tourné le dos et s’apprête
à quitter mon bureau. Je la rappelle :
— Hannah, je pars à New York vendredi pour la fashion week. Je serai absente jusqu’à mardi ou
mercredi. Prenez-moi un billet d’avion, s’il vous plaît, et annulez mes rendez-vous de vendredi après-
midi et du début de semaine.
Elle hoche la tête, sans montrer de surprise devant cette décision inattendue. Quand la porte se
referme, je secoue la tête, éberluée. Qu’est-ce qui m’a pris ? J’ai réagi avec la même impulsion
irréfléchie qu’à l’adolescence, quand rien d’autre ne compte que le moment présent et qu’on se fiche
complètement des conséquences de ses actes. Sauf que j’ai vingt-cinq ans, pas quinze ; je suis une adulte
et je n’ai pas caché mes projets à Christian, pas vrai ? D’accord, il a strictement refusé de m’autoriser à
aller à New York, mais que pourrait-il faire si je suis déjà dans l’avion ? Imaginer sa tête en apprenant
mon départ me fait frissonner, j’ignore si c’est de joie ou de terreur.
Hannah accepte ma décision sans poser de questions, je lui en suis reconnaissante. J’en ai ras la
frange des interrogatoires inquisiteurs et Christian s’est montré particulièrement pénible ces derniers
temps. Mr Maniaque-du-Contrôle, comme l’appelle Kate… Oh Kate ! J’ai un sourire en pensant à ma
meilleure amie si autonome, décidée, et sûre d’elle-même ; je suis certaine qu’elle m’a influencée et
poussée à la rébellion, même sans le savoir. D’ailleurs, à ce propos…
Je tape très vite à Kate un SMS confirmant que je la retrouverai vendredi soir pour dîner, comme elle
me l’avait demandé. Voilà, les dés sont jetés !
Énergisée par cet acte courage inattendu, je me mets au travail sans plus attendre. J’allume mon
ordinateur pour vérifier mes mails – ce qui est toujours ma première tâche en arrivant. C’est étonnant,
pas la moindre anicroche ce matin : des auteurs tiennent leurs engagements, les manuscrits attendus sont
arrivés… Et la matinée s’écoule comme dans un rêve. Mrs Johnson est une femme charmante qui écrit
des textes pour enfants pleins de bons conseils et d’imagination, un peu comme ceux du Dr Seuss. La
signature de son contrat se passe sans problème, nous discutons un moment des quelques modifications
que je tiens à apporter au premier tirage, puis je lui serre la main avant de la raccompagner jusqu’à la
porte de la salle de réunion.
Quand je reviens dans mon bureau, je regarde ma montre : 12h15. Déjà ? Je vais envoyer Luke me
chercher un sandwich, mais pas tout de suite, je n’ai pas faim pour le moment.
Je me rassieds et sors de mon tiroir « en cours » un autre manuscrit. Je n’ai pas le temps de l’ouvrir
qu’on frappe à la porte.
— Entrez.
C’est Hannah.
— Désolée de vous déranger, Ana, mais ceci vient d’être déposé pour vous.
Avec un sourire espiègle, elle traverse la pièce et pose sur mon bureau un gros sac en papier d’où
émane une odeur délicieuse.
— Ah bon, par qui ? Quand ?
— Juste à l’instant. Par Mr Grey. Il a apporté ce sac en personne.
Je cligne des yeux, sans y croire. Poussée par un élan instinctif, je me précipite dans le couloir parce
que la fenêtre, près de la photocopieuse, ouvre sur la rue de devant. Effectivement, je vois Christian
remonter dans son Audi 4x4 noire. Taylor est au volant et, une minute plus tard, la voiture s’éloigne et
tourne au coin de la rue. Je ne comprends rien ! Que signifie cette apparition incompréhensible ?
Pourquoi Christian m’a-t-il apporté un déjeuner ? Serait-ce une branche d’olivier ? Mais dans ce cas,
pourquoi n’est-il pas resté le partager avec moi ?
Étonnée par mon comportement, Hannah m’a suivie. En la croisant dans le couloir alors que je
reviens sur mes pas, je ne peux m’empêcher de lui poser une question, il faut absolument que je satisfasse
ma curiosité dévorante :
— Dites-moi, Hannah, que vous a dit Christian… je veux dire, Mr Grey, avant de s’en aller ?
— Eh bien, il m’a demandé où vous étiez, je lui ai expliqué que vous aviez rendez-vous avec Mrs
Johnson pour la signature d’un contrat. Alors, il a… (Elle plisse le front, cherchant à se souvenir,) il a
voulu savoir si tout allait bien ici, si vous aviez beaucoup de nouveaux auteurs, si…
Une fois encore, elle s’interrompt pour réfléchir. Je vois bien qu’elle s’applique à me transmettre le
moindre détail de cette brève entrevue.
— Si quoi ? Dis-je, impatiente.
— Rien. Il a juste dit qu’il avait oublié quelque chose d’important et qu’il lui fallait retourner
immédiatement dans son bureau.
Ce compte rendu ne m’apporte pas grand-chose mais il soulève quelques questions. Primo, pourquoi
Christian a-t-il interrogé Hannah concernant SIP et mes auteurs ? Je lui parle régulièrement de ce qui se
passe au bureau, il n’a pas à extirper d’autres renseignements à mon assistante personnelle. De plus, il
possède cette fichue société, non ? Il en a tous les bilans, tous les contrats, tous les dossiers… Secundo,
que signifie cette histoire abracadabrante d’avoir oublié quelque chose « d’important » et de devoir s’en
aller sans m’attendre ? Christian n’oublie jamais rien, c’est un obsédé du détail et du contrôle, aussi je
suis certaine que cette formule bidon est un prétexte cachant autre chose. Mais quoi ? Je ne vois que le
sommet de l’iceberg, c’est évident. S’il est venu jusqu’ici avec des plats tout prêts, il avait prévu de
déjeuner avec moi, sans doute pour nous réconcilier après ce week-end tendu. Il a fait le premier pas…
C’est de bon augure. En y réfléchissant, il n’a pas tous les torts, j’en suis consciente. Il est bien trop
autoritaire et entêté, c’est certain, mais au moins, il reste fidèle à lui-même. C’est moi qui ai changé de
comportement, c’est moi qui ai inventé des plans de plus en plus débiles pour le forcer à changer d’avis
au lieu de purement et simplement lui annoncer ma décision de partir quelques jours, comme toute
femme moderne et indépendante l’aurait fait à ma place.
Là n’est pas la question. Ce départ précipité ne correspond pas du tout à Christian. Alors, qu’est-ce
qui a bien pu le provoquer ? Tout à coup, une sueur froide me perle sur le front, j’ai un horrible
pressentiment.
— Dites-moi, Hannah, qu’avez-vous dit exactement à Mr Grey juste avant qu’il s’en aille ?
Elle rougit violemment. Oh Seigneur ! Cette fois quand elle s’exprime, elle bredouille – parce qu’elle
est consciente d’avoir trop parlé. Ou trop vite. Du coup, avant même d’entendre sa réponse, une nausée
me tord l’estomac.
— M-Mr G-Grey voulait c-connaître votre emploi du t-temps de cette s-semaine, je… euh, j-je lui
ai dit que c-c’était … euh, la routine. Ensuite, il a évoqué la semaine prochaine… alors, alors…
— Alors, vous lui avez dit que je partais à New York.
— Oui.
— Eh merde !
— Il ne fallait pas ?
Hannah écarquille de grands yeux inquiets. Je me cache le visage à deux mains, comme si ce geste
de protection pouvait bloquer la réalité. C’est la catastrophe ! Je n’ai vraiment pas de chance ! Dire que
j’ai cru que la journée se déroulait à merveille !
— Ana ? Ana, je suis désolée… Est-ce que vous vouliez lui faire une surprise ? Je ne savais pas.
Je n’ai pas fait exprès… Ana, excusez-moi… Je suis tellement désolée !
Je relève la tête pour fixer mon assistante, une fille gentille, efficace et travailleuse, mais elle n’est
pas parfaite, loin de là. C’est une tête de linotte. D’un autre côté, elle sait que Christian est mon mari et
qu’il possède la société, elle ne peut ni mentir ni refuser de répondre à une question directe. Il la
renverrait sur le champ, j’en suis certaine.
Elle continue à s’agiter, à sautiller d’un pied sur l’autre, à répéter sans arrêt les mêmes mots : « je
suis désolée », à agiter les mains en l’air. Je reprends contenance. Je n’ai ni le temps ni l’envie de la
supporter plus longtemps. Il faut maintenant que je gère le problème qu’elle m’a causé sans le vouloir.
— Ça suffit, Hannah, taisez-vous !
Elle obtempère et reste la bouche ouverte. C’est une amélioration notable.
Je la plante là pour retourner dans mon bureau. L’odeur de nourriture me soulève le cœur. Je saisis
le sac en papier pour regarder ce qu’il y a dedans : de la salade César au poulet, des petits pains, des
fruits. Je ressors et tends le sachet à mon assistante en ordonnant :
— Hannah, je n’ai pas faim. Veuillez amener ce sac à Luke Sawyer voir s’il a déjà déjeuné. Si c’est
le cas, trouvez quelqu’un qui pourrait en profiter.
— Mr Sawyer ? Répète Hannah les yeux brillants.
Je retiens un soupir. Je sais qu’elle fait une fixation sur mon agent de sécurité, mais je croyais que ça
lui était passé. À mon avis, elle n’a aucune chance avec Sawyer : elle a dix ans de moins que lui (au
moins) et il n’est pas du genre à mélanger travail et plaisir. Je n’ai qu’une envie, c’est qu’elle disparaisse
pour que je puisse réfléchir. J’agite le sac devant ses yeux pour la faire bouger. Elle s’en empare, hoche
la tête, puis part en courant après un dernier bredouillement désespéré.
Je referme ma porte et m’écroule dans mon siège en poussant un gémissement frustré. Oh zut !
Qu’est-ce que je vais faire à présent ?
Je sors mon BlackBerry pour vérifier si Christian ne m’a pas laissé un message ou si j’ai manqué un
appel de lui, mais non, rien. Je pianote sur mon clavier afin d’ouvrir ma boîte mail. Rien non plus. Oh
lala, je suis dans une merde noire ! Non sans blague ? Pas besoin d’être un génie pour le deviner, grogne
ma conscience, furieuse. D’accord, après ma décision impulsive, je l’ai ignoré toute la matinée, celle-
là.
J’ai comme un vertige, je vois la pièce vaciller autour de moi. C’est le genre de sensation qu’on
éprouve, j’imagine, après avoir été renversée par un camion. Je regarde mes mains, elles sont froides et
inertes, je ne sens plus mes pieds. Je ferme les yeux en essayant de digérer ce qui vient d’arriver. Les
coudes posés sur mon bureau, je me frotte les tempes, espérant que ce geste m’aidera à empêcher la
violente migraine qui me menace. La vérité est sortie du puits. Je ne peux plus rien faire d’autre
qu’essayer de limiter les dégâts. J’ouvre mon téléphone pour appeler Christian. J’inspire profondément
afin de me calmer en appuyant sur la touche correspondante.
Dring-dring-dring…
Il décroche enfin. Trois sonneries ? En temps normal, il décroche toujours à la première. Je réfléchis
à cette anomalie avant de réaliser que, s’il a répondu, il ne me parle pas.
— Christian ?
Je veux m’assurer qu’il est bien à l’autre bout du fil.
— Oui, Anastasia.
Houlà, cette voix dure et impassible m’envoie un frisson dans la colonne vertébrale. C’est
probablement ce qu’on appelle : « le calme avant la tempête ».
— Écoute, j’aimerais t’expliquer…
Après cette introduction, je m’interromps. Il faut que je fasse attention à ce que je dis, inutile
d’envenimer une situation déjà périlleuse. Je déteste me disputer avec lui, mais dans les circonstances
actuelles, c’est inévitable.
— Oui ? Tes explications m’intéressent beaucoup. Continue !
Son ton hautain est un défi, mais je dirais qu’il exprime aussi une sorte de satisfaction latente.
Pourquoi ? Je ne comprends pas.
— Voilà, je tiens à me rendre à New York avec Kate. Je pense te l’avoir exprimé à plusieurs reprises
au cours des derniers jours. Je considère que ta réaction et ton refus sont exagérés. Franchement,
Christian, avais-tu besoin de venir interroger mon assistante sur mon emploi du temps ? Je t’aurais
répondu moi-même si tu m’avais posé la question.
Il ne répond pas, ce qui me pousse à ajouter :
— Et puis, tu ne m’as même pas attendue pour déjeuner avec moi…
Je commence à m’énerver. Il est rare que Christian prenne une pause déjeuner et qu’il ait renoncé
aujourd’hui à ce moment précieux me blesse. Quelque part, c’est absurde au milieu d’une querelle, mais
ça n’empêche pas ma déception.
— Anastasia, tu te comportes comme une gamine capricieuse. Primo, il me semble avoir pris la
peine de t’expliquer en détail les raisons de mon refus à t’envoyer à New York pour une manifestation
sans le moindre intérêt qui comporte de gros risques pour ta sécurité. Nous n’avons cessé d’en parler
ad nauseam et le sujet ne le méritait pas. Secundo, si j’ai demandé à Hannah ce qui se passait, c’est
parce que je craignais que ta mauvaise humeur du week-end ne provienne d’un problème professionnel.
Troisièmement…
— Quoi ?
Ma voix a monté d’une octave. Il n’a RIEN compris ! Furieuse, j’enchaîne sans réfléchir :
— Je n’ai aucun problème professionnel ! Tout va très bien au bureau. Et ce week-end, je n’étais
pas de mauvaise humeur, j’ai juste suivi mon plan…
Je déteste l’entendre douter de mes capacités d’éditrice. Non mais ! Est-ce que je me mêle, moi, de
lui donner des conseils pour ses fusions-acquisitions, ses rachats de société, ses bilans et autres fichus
projets ? Je suis fière du travail que j’accomplis. Même si mon rapide avancement provient de mon
mariage avec le Grand Manitou, aucun de mes collègues ne doute (plus) de moi : je mérite mon poste !
Je trouve inadmissible que Christian, quelles que soient ses tendances naturelles au contrôle absolu,
s’abaisse à m’espionner en interrogeant mes subordonnés. J’estime que c’est un manque de confiance,
un abus de pouvoir, et j’en passe… Pendant qu’il y est, pourquoi ne met-il pas des micros et des caméras
dans toutes les pièces ? Un frisson me traverse : et s’il l’avait fait ?
Je me suis laissée emportée. Ce n’est pas le bon moment de lui expliquer l’éthique de l’espionnage
industriel et de la communication conjugale.
— Quel plan ? S’enquiert-il d’une voix arctique.
Quoi, quel plan ? De quoi parle-t-il ?
Tu viens de lui dire « j’ai juste suivi mon plan » pauvre cloche ! Répond ma conscience, les bras
levés au ciel.
Moi, j’ai dit ça ? Oh merde ! Dire que je traitre cette pauvre Hannah de tête de linotte… C’est
l’Hôpital qui se moque de la Charité. Je me tétanise sur place, horrifiée. J’aurais aussi bien pu sortir le
pistolet de Leila – que Christian a caché ailleurs que dans le tiroir de son bureau, depuis que je m’en
suis emparé la dernière fois – et me flanquer une balle dans la tête. Oui, une mort rapide serait plus
agréable que ce qui m’attend. J’ai creusé moi-même ma tombe.
— ANA !
Ce beuglement menaçant me fait faire un bond sur mon fauteuil et me tire de mon état de choc.
— J’avais un plan.
Mon aveu émane si bas que je ne suis pas sûre que Christian l’ait perçu. Je me sens inerte, morne,
effondrée.
— Quel plan ? Insiste-t-il, implacable.
Il a une bonne ouïe ! Autant boire la coupe jusqu’à la lie. Je n’ai plus rien à perdre. Mon humiliation
est complète.
— Un plan pour te convaincre de m’autoriser à partir à New York.
Je ne sais pas ce qui m’a pris de croire ces idées grotesques réalisables – et pourtant, sur le coup,
elles m’avaient paru brillantes. A posteriori, mon comportement me sidère. Comment ai-je espéré «
forcer » Christian à changer d’avis ? Il est obstiné et déterminé, il perd rarement son but de vue. C’est
sans espoir. Mais tout à coup, je réalise que ma volonté d’aller à New York n’était pas un simple caprice,
c’était davantage une tentative d’échapper au carcan qu’il fait peser sur moi. Je n’ai aucun droit, aucune
liberté, aucun espace vital. Il n’y a qu’ici, dans mon bureau, que je me croyais tranquille… et il vient de
me démontrer que ce n’était qu’une illusion. Ma vision devient grise – Grey ? Je ne vois plus que des
cendres autour de moi. Un pesant désespoir me tombe sur les épaules, je me sens condamné – comme
si j’étais au fond du trou, au fond du gouffre. Comment vais-je pouvoir en sortir ? Pire encore : est-ce
que j’en ai encore envie ? Est-ce que j’en ai encore la force ?
Je réalise alors que le silence qui résonne en moi est aussi assourdissant que celui qui retentit à l’autre
bout du fil. J’ai le cœur serré, la gorge douloureuse, de grosses larmes coulent sur mes joues. Tu ne fais
que pleurer, pauvre idiote ! À quoi ça sert ? Tu n’es qu’une mollassonne, un paillasson.
— Je passerai te chercher à 17 h 30, Anastasia. Prépare-toi.
Sur ce, il raccroche. Abasourdie, je regarde mon combiné, les sourcils froncés. Qu’est-ce que ça veut
dire ? « Prépare-toi ». Que je me prépare à quoi ? Est-ce qu’il va encore me punir ? Mais de quoi… ?
De lui avoir désobéi… Oh merde ! Non. NON. Je ne veux pas.
Je sens que Christian et moi risquons d’avoir ce soir une explication orageuse qui ne se terminera
pas comme d’habitude.
Malheureusement, j’ai le pressentiment que ce sera à moi d’en payer le prix.
***
Lundi matin à GEH
Christian
Je sors de l’ascenseur d’un pas rageur. Je suis de mauvaise humeur, je pense que tout le monde s’en
rend compte très vite.
— Andrea ? Annulez tous mes rendez-vous ce matin. Je veux voir Ros Bailey – immédiatement.
— Oui, monsieur.
Je vais tout droit dans mon bureau. Qui est le con ayant prétendu que le week-end était fait pour se
détendre ? Dans mon cas, ça a été tout le contraire. Je suis sous pression. Je n’arrive pas à me détendre
– même ici, dans mon domaine, où tout est sous contrôle.
Hier matin, dimanche, Ted s’est réveillé grognon et tout fiévreux. J’ai failli l’emmener tout droit aux
urgences pédiatriques, à Harborview. Avant ce branle-bas de combat, dans un dernier éclair de lucidité,
j’ai appelé ma mère…
*
— Ce n’est rien, chéri, il fait ses dents.
— Pardon ?
— Oui, j’ai remarqué que ses molaires déciduales…
— Ses quoi… ?
J’ai le souffle coupé. Ted a un problème très grave ! Je le savais !
— Ce sont les dents « de lait », chéri, elles sont temporaires et tomberont quand il aura dix ans.
Bref, j’ai vu que celles de Ted commençaient à pousser. J’ai oublié de te le dire, mais j’ai mis dans son
sac à langer un anneau de dentition et un tube de gel antalgique – du Dolodent. Frotte-lui les gencives
avec. Tu peux aussi lui donner un sachet d’aspirine dosée 100mg. Pense bien à le faire boire, les poussées
de dents étant souvent accompagnées d’une fièvre modérée, Ted aura besoin d’être bien hydraté.
— D’accord.
— Chéri, j’ai aussi mis une crème hydratante.
— Pourquoi ?
Je ne vois pas le rapport avec une poussée de dents.
— Pour protéger sa jolie peau. Il risque de beaucoup saliver. Ne pense pas à la rage, s’il te plaît,
tout est normal, mais ses joues aussi risquent de s’irriter, alors applique-lui un peu de crème de temps
en temps sur le visage.
— D’accord.
Je devrais peut-être prendre des notes ? Tout ça me paraît bien compliqué.
— Christian, mon chéri, reste calme. Tu as tendance à paniquer chaque fois que Teddy te paraît
mal en point. C’est normal pour un premier enfant, je le comprends tout à fait, mais en tant que pédiatre,
je t’assure que cette douloureuse poussée dentaire est inévitable. Assure-toi que ce soit le plus tolérable
possible.
Ouais, facile à dire ! Je marmonne quelques mots sans conviction. Merde quoi ! J’avais promis à
Ted in utero que je le laisserai jamais souffrir. Grace raccroche en m’affirmant que les symptômes
passeront très vite. Je vérifie sur Internet : les premières molaires font effectivement éruption entre
douze et dix-huit mois ; les secondes vers deux ans. Comment ai-je pu passer à côté de cette information
vitale ? Je ne comprends pas.
Pourtant, je me demande si Ted n’a pas attrapé un virus au Country club, à Bellevue, sur ces
balançoires où passent tous les gosses des environs. J’envisage avec horreurs des microbes agressifs
prêts à se jeter sur mon petit garçon… comme des monstres dont je suis incapable de le protéger.
Tu déconnes, là, Grey…
C’est grotesque, je sais, mais je découvre qu’être père est irrationnel. Être époux aussi… C’est plus
une affaire de cœur que de raison. Et franchement, le cœur, ce n’est pas le domaine où j’ai le plus
d’expérience.
*
On frappe à la porte. C’est Ros.
— Salut, Mr Grey. Il paraît que vous avez bouffé du lion aujourd’hui ? Le bruit s’en est déjà
répandu dans les couloirs. Toujours à cause d’Appli Net ?
Je peux difficilement lui dire que mon fils « fait ses dents », que ma femme fait la gueule, et que je
suis incapable de gérer ma famille. Aussi, je hoche la tête, en lui indiquant le siège devant mon bureau.
— Asseyez-vous, Ros. J’ai eu une idée.
Je lui détaille le résultat de mes cogitations de l’autre nuit. Elle écoute avec attention et capte illico
les possibilités qui s’ouvrent à nous. Lorsque j’ai terminé mon rapide compte-rendu, elle lance :
— Vous avez lu mon mail samedi matin ? Désolée de vous avoir déranger chez vous durant le
week-end, mais il m’a paru important de vous en faire part le plus tôt possible. À mon avis…
La matinée se déroule à tout allure, Ros et moi mettons au point notre plan d’action. Nous
fonctionnons en tandem, chacun s’appuyant sur l’autre pour bâtir le bélier destiné à enfoncer les défenses
ennemies. Ros approuve mon projet de partir à New York, nous choisissons l’équipe qui nous
accompagnera. Steve Roberts, du service informatique ; Jessica Turner, des acquisitions ; Frank Martini
et Javier Da Silva, pour le financement et le projet contractuel.
Je me sens mieux : les choses avancent de façon positive.
Dès que j’ai cinq minutes tranquilles, j’appelle Taylor dans mon bureau. Il entre pendant que je suis
en communication avec mon assistante :
— Andrea, je veux que mon appartement à Manhattan soit prêt vendredi soir, j’y séjournerai
jusqu’à mercredi. Ma femme m’accompagnera. Nous irons en jet, avec Roberts, Martini et Da Silva.
Prenez deux billets d’avion pour Mr Bailey et Ms Turner. En première. Un vol qui part en début d’après-
midi. Et pour l’hôtel, le même que d’habitude. Cinq chambres.
— Mr Martini et Mr Da Silva sont amis, ils peuvent avoir la même ch…
— Non, si je voulais qu’ils soient deux par chambre, je vous l’aurais dit ! Cinq personnes – cinq
chambres.
Je raccroche en réfléchissant : Ros sera New York pour dîner. Le reste de l’équipe la rejoindra à
l’hôtel dans la nuit. Nous serons tous opérationnels tôt le samedi matin.
Taylor lève un sourcil interrogateur :
— Nous allons à New York en fin de semaine, monsieur ?
— Non, JE vais à New York. Voyez avec Welch. Je veux que deux agents nous accompagnent, ma
femme et moi, en plus de Sawyer. Des gens que je connais, Ryan et Reynolds par exemple.
Taylor n’est pas content.
— Monsieur, je pourrais…
— Taylor, vous restez à Seattle. Vous aurez quatre jours libres à passer en famille. En attendant, Je
veux que vous préveniez Sawyer afin qu’il surveille ma femme de très près. Elle a décidé de se rendre
à New York, mais elle ne sait pas encore que j’ai prévu de l’emmener. Je ne veux pas qu’elle tente un
coup de tête… comme durant cette affaire avec Hyde.
Je n’ai toujours pas digérer la façon dont Ana a planté ce jour-là son agent – deux fois. Ça revient
me hanter de temps à autre. Taylor paraît offusqué.
— Ça n’arrivera pas, monsieur. Sawyer ne se fera plus surprendre. Je vais le prévenir, mais je ne
crois pas que Mrs Grey prendrait un tel risque.
Je ricane.
— J’aimerais en être aussi certain que vous, Taylor. Mrs Grey agit parfois sans réfléchir.
— Je préférerais vous accompagner à New York, monsieur.
— J’ai dit non. Par contre, je vous laisse organiser le protocole pour Sawyer et les deux hommes
qui viendront avec nous.
Il se renfrogne, mais il n’insiste pas. Je continue mes instructions :
— Taylor, voyez avec Andrea pour les détails. Prévenez aussi Stephan Ellis, mon pilote. Je veux
que tout soit prêt aux dates et heures indiquées. Nous serons cinq dans l’avion, Anastasia et moi, plus
trois employés de GEH. Nous voyagerons essentiellement de nuit, Mrs Grey dormira dans la cabine.
Il est à peine sorti que mon interphone se déclenche. C’est Andrea :
— Mr Grey, Barney Sullivan voudrait vous parler.
Je regarde ma montre : 11 h 30. Mais Barney ne me dérange JAMAIS pour des broutilles.
— Faites-le entrer.
Avec son jean baggy et ses bretelles colorées, Barney a un look unique à GEH. Il porte aussi une
chemise blanche dont un pan dépasse devant ; une des extrémités de son col est pliée à l’envers. Il a aux
pieds des sneakers à semelle lumineuse et lacets détachés. Ses yeux bleu vif brillent derrière ses verres
épais, ses cheveux longs pendent sur son cou maigre. On dirait un jeune savant fou, à moitié déjanté.
Mais c’est son aspect habituel, personne n’y fait plus attention.
— Bonjour, Mr Grey, j’ai un jeune de dix-neuf ans dans mon bureau, Toru Mahashi J’aimerais que
vous le rencontriez.
Je fronce les sourcils. Je n’accorde jamais de rendez-vous à un inconnu sans un protocole de sécurité.
Barney le sait très bien. Que signifie cette histoire ?
— Toru Mahashi ? Ce nom me dit vaguement quelque chose. Qui est-ce ?
— Il a fait chez nous un stage postuniversitaire l’an passé.
— Oui, je me souviens. C’est le petit prodige nippo-américain sorti du lycée à quatorze ans, qui a
obtenu en quatre ans ses diplômes du MIT95 en infographie, imagerie appliquée et programmation, c’est
ça ?
— Oui monsieur. Il a une idée, il voudrait nous la vendre.
Je suis intéressé. À sa façon, Toru Mahashi ressemble à Barney.
— Très bien, j’ai un quart d’heure à lui accorder.
— Ça sera parfait, Mr Grey.
— Je préviens Taylor afin qu’il nous accompagne.
Il y a un an, Welch avait établi un dossier sur ce stagiaire, mais qui sait depuis comment il a évolué
depuis lors. Je ne peux le rencontrer sans un agent de sécurité. Il y a certaines règles que je ne romps
jamais. Contrairement à Ana…
Le jeune homme, petit et mince, se lève quand je pénètre dans le bureau de Barney. Il parait mal à
son aise.
— Bonjour, Mr Grey.
— Bonjour, Mr Mahashi. Je vous écoute.
Il ne se fait pas prier. Dieu merci !
— Alors, voilà, comme je l’expliquais à Barney, je suis allé rendre visite à un cousin à moi, en
Floride. Dans l’avion, j’avais rien d’autre à faire qu’à examiner les autres passagers. Vous savez
comment c’est… J’avais là tout un panel de consommateurs : des gamins, des ados, des adultes, des
seniors, des hommes et des femmes. La plupart avaient dans les mains une console de jeu, un
Smartphone, une tablette, une liseuse ou un ordinateur. De ma place, je voyais leurs écrans. Et sur
Internet, la publicité n’arrête pas ! Les gens téléchargent des applis pour bloquer ces pop-up.
Je l’écoute avec attention. Il a raison. Au moins deux boîtes dépendant de GEH ont un rapport avec
l’infographie ou la pub. D’ailleurs, avec Appli Net dans le collimateur, toute information est bonne à
prendre.
— Continuez.
— Beaucoup de gens, même parmi les adultes, s’adonnent à des jeux vidéo. Alors, j’ai eu une idée
pour améliorer le principe de l’advergame96. Dans tout jeu informatique, il arrive que le participant soit
récompensé d’avoir atteint un niveau, vaincu un ennemi, obtenu un lot, peu importe. Son écran indique:
« vous avez gagné ». Le mec est heureux – c’est là qu’il est le plus réceptif. Je verrais bien une offre
publicitaire indiquant qu’il gagne un café McDo, une canette de Coke, une place de cinéma, un tee-
shirt… N’importe quoi. Le principe est de le harponner, non ?
— Absolument ! répond Barney, enchanté à l’idée d’obtenir sans peine une véritable manne. Les
joueurs connaissent tous des e-moments !
Je connais assez du langage geek pour savoir qu’un « e-moment » est un temps fort où un jeune est
engagé à fond, émotionnellement parlant – un étudiant est apte à travailler, un sportif à se dépenser, bref,
il y a de l’énergie positive à canaliser.
— Par la suite, reprend Mahashi, la cible associera ledit produit à une sensation d’euphorie, elle
sera inconsciemment poussée à le consommer.
Son idée est géniale. Absolument géniale. De quoi révolutionner la publicité. Mahashi a raison, les
clips actuels sont agressifs et mal perçus. Par exemple, les spots télévisés qui interrompent les
programmes. Certains téléspectateurs payent une fortune pour des chaînes sans pub. Je réfléchis à toute
allure. La publicité représente un énorme marché, des milliers de salaires en dépendent. La plupart des
grosses boîtes n’hésiteront pas à dispenser bons ou cadeaux pour obtenir de nouveaux consommateurs.
Un responsable digne de ce nom réalisera vite le potentiel de cette idée – surtout appuyée par GEH.
Je décroche mon téléphone pour appeler Javier Da Silva.
— Je veux un contrat-type pour acquérir l’exclusivité d’une idée. Voyez avec Barney Sullivan, il
vous expliquera. L’inventeur est Toru Mahashi. Il est ici.
— Quel chiffre dois-je indiquer, Mr Grey ?
— Un million de dollars. Plus intéressement aux résultats. Le taux habituel.
En face de moi, le gosse ouvre la bouche, sidéré. À mon avis, il aurait accepté trois fois moins, mais
je tiens à fidéliser un cerveau pareil. Pas question qu’il regrette notre accord et qu’il vende ses futures
idées à la concurrence.
Quand je raccroche, Toru Mahashi est écarlate d’émotion.
— Mt Grey, je ne sais pas quoi dire….
— Alors ne dites rien. Barney, trouvez-lui un poste dans votre service.
Mon Geek en chef fronce les sourcils.
— Je ne suis pas sûr que Tor ait un processus mental adapté au cadre restrictif d’un bureau.
Je m’en fous ! Je veux garder le prodige à portée de main. Démerdez-vous !
— Dans ce cas, trouvez-lui un mi-temps ou un tiers-temps.
Barney sait quand il n’a pas intérêt à me contrarier.
— Ouais, boss, je m’en occupe.
Toru Mahashi envoie un coup de coude à mon responsable informatique.
— On va travailler ensemble, mec, comme l’an passé. Dément !
Il se tourne vers moi :
— Encore merci, Mr Grey.
Il apprend vite. Je suis « Mr Grey », pas « mec ». Je me dresse pour lui tendre la main.
— Attendez cinq minutes, Mahashi, vous aurez votre contrat en bonne et due forme. Prenez le
temps de le lire et de le montrer à votre avocat, si vous y tenez, avant de le signer.
— Je peux le signer tout de suite ?
— Si vous voulez. Mais ne vous inquiétez pas, je ne compte pas changer d’avis. Maintenant, je
vous laisse avec Barney, vous êtes en de bonnes mains.
Je passe dans le couloir, l’esprit mitraillé par les innombrables options pour mettre en application
cette idée brillante. C’est incroyable ! C’est si simple, et personne n’y a pensé avant ce gamin.
J’aimerais partager mon enthousiasme avec Ana. Taylor est sur mes talons. Je lui demande :
— Sawyer ne vous a pas indiqué que ma femme comptait manger à l’extérieur aujourd’hui ?
— Non monsieur.
— Très bien, dans ce cas, nous allons à SIP. Vous vous arrêterez au passage acheter deux salades
César, je déjeunerai avec ma femme dans son bureau.
***
Il est 12 h 10 lorsque Taylor s’arrête devant SIP. Je sors avec un sac en papier qui contient notre
pique-nique. J’espère qu’Ana sera contente de ma surprise !
C’est l’heure du déjeuner, il n’y a pas grand monde dans les couloirs, sauf les agents de sécurité à
leur poste. Sawyer n’est pas là. Merde, où est Ana ?
Je croise Hannah Maury, son assistante. Elle me voit et s’avance vers moi, souriante et empressée.
— Oh bonjour, Mr Grey. Je peux vous aider ?
— Où est ma femme ?
— En rendez-vous avec Mrs Johnson pour la signature d’un contrat, dans la salle de réunion au
bout du couloir. Elle ne devrait pas tarder à revenir. Voulez-vous que je la prévienne de votre arrivée ?
— Non.
Puisque je suis là, je vais discrètement libérer l’emploi du temps d’Ana pour la durée de notre petite
escapade à New York… Je repense brusquement à son mutisme du week-end et une idée me vient.
Merde ! Et si Ana avait un souci professionnel dont elle ne m’a pas parlé ? Sa tension n’a peut-être rien
à voir avec moi. Par fierté (mal placée), Ana tient à gérer seule sa carrière, aussi elle a peut-être décidé
de ne pas me demander conseil. Je téléphonerai à Jerry Roach pour en savoir davantage. En attendant,
son assistante peut me renseigner.
— Dites-moi, Hannah, est-ce que tout va bien à SIP ?
Elle écarquille de grands yeux affolés. Soit elle est idiote, soit elle n’a pas compris ma question. C’est
sans doute un mélange des deux… mais dans quelles proportions, je l’ignore.
— Euh… oui, bien sûr.
Je lui adresse un sourire rassurant avant de faire une nouvelle tentative :
— Je me demandais si ma femme avait beaucoup de nouveaux auteurs…
— Oh oui ! Mrs Grey sait s’y prendre ! Vous savez, les artistes sont parfois difficiles à gérer ! Ils
sont émotifs. Alors…
Je me contrefous de l’émotivité de ces enfoirés. Je la coupe :
— Je vois, Hannah, merci. Revenons-en à ma femme : a-t-elle des rendez-vous importants cette
semaine ?
— ça dépend de ce que vous entendez par « importants. Elle a des rendez-vous avec ses auteurs,
ils lui réclament un petit coup de pouce, un délai, ou une révision de leur manuscrit. La routine quoi !
— Et la semaine prochaine ?
— Eh bien, Mrs Grey est à New York jusqu’à mercredi, ensuite…
Je n’écoute plus. Je suis fou de rage. Qui a gâché ma surprise à Ana ? Seule Andrea, Ros et Taylor
sont au courant. Aucun d’eux n’a parlé, j’en suis certain. Un sinistre pressentiment commence à monter
en moi. Je me sens trembler de l’intérieur, comme si une éruption menaçait du cœur d’un volcan. J’ai
tellement l’habitude de porter un masque que rien n’apparait sur mon visage. Totalement inconsciente,
Hannah papote toujours, avec volubilité.
Je l’interromps :
— Merci, je dois retourner au bureau. J’ai oublié quelque chose d’important.
— Mais… mais…
J’hésite à piétiner mes salades César. Non, Grey, ça ne se fait pas. Je les fourre dans les mains de la
jeune rousse.
— Donnez ceci à Mrs Grey de ma part, je vous prie.
Je tourne les talons et retourne jusqu’à la voiture sans rien voir de ce qui m’entoure. Taylor bondit
que je surgir sur le trottoir. Il a l’air inquiet. Il est le seul capable de me déchiffrer – je ne sais pas
comment il fait.
— Mr Grey ? Est-ce que tout va bien ?
— Oui. (Non.) Amenez-moi à l’Escala. J’ai besoin de passer à l’appartement.
Il hésite le temps d’un battement de cœur, jette un coup d’œil à SIP derrière moi, puis il hoche la
tête. Il claque ma portière en disant :
— Oui monsieur.
***
À l’Escala
Je suis dans mon bureau, devant mon ordinateur. Je viens de consulter la liste des réservations sur
les lignes intérieures de Seattle à New York pour vendredi après-midi. Dès ma deuxième recherche – le
vol 182 de Delta Air Lines, départ, 13 heures, Terminal 4, arrivée à New York à 21 h 04 – j’ai reconnu
trois noms parmi les passagers: Anastasia Grey (en classe affaires) Ros Bailey et Jessica Turner (en
première).
Mon BlackBerry sonne. Je suis tellement assommé qu’il me faut un moment pour réagir. Je jette un
coup d’œil sur l’écran. C’est Anastasia.
Je décroche. En silence. Sa trahison m’est insupportable, je suis incapable d’articuler un mot. Je suis
anéanti, les yeux rivé sur une ligne de mon écran :
Anastasia Grey – siège 12 A
— Christian ? bredouille-t-elle.
— Oui, Anastasia.
Je ne reconnais pas ma voix. Je ne saurais même pas exprimer ce que je ressens, ce n’est plus de la
colère, non, c’est pire – une sorte de brisure. Je croyais avoir le paradis à portée de la main, je me suis
trompé. Je serre les dents pour éviter la vague d’autoflagellation qui menace de rompre les digues de
mon crâne. Flynn, Grey – tu dois contacter Flynn. J’ai besoin de lui. Je ne vais pas pouvoir fonctionner
si je sombre dans le gouffre ouvert devant moi.
— Écoute, j’aimerais t’expliquer… commence Ana avant de s’arrêter net.
— Oui ? Tes explications m’intéressent beaucoup.
Etrange, je parle. Du moins, un robot s’exprime avec ma voix. Il connait même mon processus
habituel de défense : le sarcasme. Oui, ça cache le repli sur soi. J’imagine des remparts qui tombent pour protéger le donjon. Mais que faire quand la Dame du Château a ouvert les portes aux envahisseurs
ennemis ?
Hey, Grey. Tu disjonctes, là. Allo ? La Terre appelle la planète Mars – ou Saturne – ou Orion. Grey !
Et là, j’ai un vague espoir – irrationnel mais tenace : et si tout n’était qu’un gigantesque malentendu ?
Je ne peux m’empêcher d’insister :
— Continue !
Ana se jette à l’eau :
— Voilà, je tiens à me rendre à New York avec Kate. Je pense te l’avoir exprimé à plusieurs
reprises au cours des derniers jours.
Oui, baby, mais moi je t’ai expliqué « à plusieurs reprise » que tes projets étaient débiles. J’ai tout
organisé pour t’emmener à New York moi-même…
— Je considère que ta réaction et ton refus sont exagérés, insiste-t-elle.
Non, Ana. Tu aurais pu poser la question à Taylor, à Sawyer ou à Welch. Ils t’auraient tous répondu
la même chose. C’est trop risqué. Tu ne connais rien au monde réel, on dirait. Cette discussion est vaine.
Tu es irrécupérable.
Elle continue son monologue :
— Franchement, Christian, avais-tu besoin de venir interroger mon assistante sur mon emploi du
temps ?
Je voulais juste arranger ma surprise, baby. Je voulais te faire plaisir… et aussi m’assurer que tout
allait bien pour toi à SIP.
— Je t’aurais répondu moi-même si tu m’avais posé la question.
Non, tu ne me dis rien. Tu ne me parles plus depuis cette foutue session dans la salle de jeu. J’essaie
de te comprendre, mais je n’y arrive pas.
— Et puis, tu ne m’as même pas attendue pour déjeuner avec moi ! crie Ana.
C’est quoi ce ton ? Elle renverse les rôles en plus ? C’est moi la partie lésée, merde. Cette dernière
accusation aussi injuste qu’inattendue me tire enfin de ma torpeur. Mon instinct agressif reprend du poil
de la bête.
— Anastasia, tu te comportes comme une gamine capricieuse.
Machinalement, comme si marteler des arguments sensés pouvait faire rentrer un peu de bon sens
dans ce crâne féminin, je reprends la liste de mes arguments habituels. Ana m’interrompt au moment où
j’évoque ma crainte d’un « problème professionnel » à SIP.…
— Quoi ? hurle-t-elle.
Elle hurle aussi fort que Mia ! Elle m’a crevé un tympan. L’idée de souffrir d’acouphènes n’améliore
pas mon humeur. J’écarte mon BlackBerry de mon oreille et je le fixe, les sourcils froncés. Pourquoi
ana est-elle aussi susceptible concernant SIP ? Que me cache-t-elle, bordel ? Je n’ai pas oublié mon
intention de téléphoner à Roach. Ce vieux roublard commence lui-aussi à me courir le système. Il risque
de payer les pots cassés.
— Je n’ai aucun problème professionnel ! hurle Ana à pleins poumons. Tout va très bien au bureau.
Je ne te crois pas. Je ne crois plus rien de tes dénégations, Mrs Grey. Tu n’es pas fiable.
Ana s’essaie au sarcasme :
— Et ce week-end, je n’étais pas de mauvaise humeur, jette-t-elle. J’ai juste suivi mon plan…
— Quel plan ?
Ma voix a claqué. J’ai répondu du tac-au-tac. De quoi parle-t-elle ? Elle aurait agi délibérément ?
Sachant que je me fais en permanence du souci à son sujet, elle a utilisé ma vulnérabilité contre moi ?
Pourquoi pas, Grey, c’est ce que tu fais pour vaincre un adversaire au cours d’un deal compliqué.
Rappelle-toi ton plan pour Appli Net.
C’est différent !
Pourquoi ?
Parce qu’Ana et moi ne sommes pas ennemis, bordel. Nous ne sommes pas en guerre. Elle est MA
FEMME ! Ana ! Anaaa… Je t’aime, ne fais pas ça. Ana, où es-tu ? Qui est cette étrangère qui habite
ton corps. ANA !
Je ne veux pas la perdre !
À mon tour je hurle :
— ANA !
Un cri d’angoisse, d’affolement, de terreur primitive et sauvage. Je m’étonne que Taylor ne surgisse
pas dans mon bureau, l’arme à la main. Je suis en nage. Je plaque ma paume sur ma poitrine, où mon
cœur tambourine follement. Et si je consultais un cardiologue en sortant de chez Flynn ? Bon Dieu, je
ne tourne pas rond. Le monde a dû dérailler…
— J’avais un plan, chuchote Ana.
Mais de quoi parle-t-elle ?
— Quel plan ?
— Un plan pour te convaincre de m’autoriser à partir à New York.
Un disque rayé. Retour à la case départ. Bon, tout ça ne nous mène à rien. Je n’en peux plus. Je verrai
ce soir ce qu’il en est. J’ai à faire un après-midi chargé : consultations médicales (au pluriel), collecte
de renseignements. Je veux affronter Ana avec tous les éléments en main. Et l’esprit remis sur ses rails.
Sinon, je vais faire une connerie – je le sens.
— Je passerai te chercher à 17 h 30, Anastasia.
Je raccroche sèchement. Prépare-toi, baby, la discussion va être houleuse.
À peine raccroché, je compose le numéro de mon psychiatre.
— Ici le cabinet du Dr Flynn, répond la voix flûtée de sa secrétaire, Edna Gomez. Que puis-je pour
vous ?
— Ici Christian Grey. Je veux parler à John.
— Bonjour, Mr Grey. Le Dr Flynn est en consultation actuellement. Il peut vous rappeler ?
— Je veux un rendez-vous, le plus vite possible. Cet après-midi.
Je paye John une fortune pour qu’il soit disponible à volonté, mais il a gardé une clientèle privée.
S’il est en consultation tout l’après-midi, il me proposera un horaire tardif, 18 heures ou 18 h 30, ce qui ne me convient pas du tout – je dois retrouver Ana à 17 h 30. Merde, je n’ai pas envie d’affronter ma
femme sans avoir reçu quelques conseils.
— Mr Grey, vous avez de la chance ! Le patient de 16 heures vient de se décommander. Je vous
mets à la place ?
— Oui, c’est parfait. À tout à l’heure, Mrs Gomez.
Je raccroche, soulagé. Une bonne chose de faite ! Je resserre la main sur mon BlackBerry, je n’ai pas
oublié ma décision de consulter un cardiologue. Je pourrais demander à ma mère le nom d’un confrère,
mais ça risque de l’inquiéter. Et je n’y tiens pas. Je pourrais aussi dire à Andrea de me trouver le nom
du meilleur spécialiste de Seattle, mais… elle risque de se poser des questions. Ce n’est jamais bon signe
qu’un P-DG de multinationale voie un cardiologue.
Et là, j’ai une illumination. Mon beau-père, Raymond Steele, a été soigné à Harborview il y a dix-
huit mois, après son accident de voiture. Il est cardiaque. Ma mère lui a choisi un spécialiste. J’ai réglé
les frais d’hospitalisation de mon beau-père – sans qu’il le sache, bien entendu, il n’a payé qu’une
fraction de la facture – je devrais avoir dans un dossier le numéro du toubib qui s’est occupé de lui.
C’est le cas. Voilà le nom que je cherchais : Dr Carter. Niels Carter…
Je reprends mon téléphone pour appeler l’hôpital. Après quelques renvois de poste en poste, je finis
par tomber sur la responsable du service cardiologie, Ms Simmons. Par chance, elle reconnaît mon nom.
— Oh Mr Grey, comment allez-vous ? Et le Dr Trevelyan ?
— Très bien, merci. Dites-moi, j’aurais besoin d’un service…
— Bien entendu, que puis-je faire pour vous ?
— Je voudrais un électrocardiogramme en urgence. Le Dr Carter a-t-il une disponibilité dans
l’après-midi ?
— Hum… Ce ne sera pas facile, je le crains, mais le Dr Andor peut vous recevoir à 15 h 30.
Merde, qui est le Dr Andor ?
— Ma mère m’avait conseillé le Dr Carter, Ms Simmons.
— Ils travaillent en tandem, Mr Grey, le Dr Carter lorsqu’il s’absente confie ses patients au Dr
Andor. Je vous assure qu’il est tout à fait compétent. Le Dr Trevelyan pourra vous le confirmer.
Bon, je n’envisage pas une greffe à cœur ouvert, il ne faut pas être un prix Nobel pour interpréter un
ECG. Et puis, 15 h 30, ce serait parfait : je pourrais aller directement de Harborview chez John….
— Très bien, je rencontrerai le Dr Andor. À tout à l’heure, Ms Simmons.
Avec un soupir, je préviens Andrea que je serai absent tout l’après-midi. Elle peut me joindre en cas
d’urgence sur mon BlackBerry. Par chance, je n’ai aucun rendez-vous important à virer. Et mon
assistante, qui me connait bien, ne fait aucune réflexion.
Et maintenant, Roach. Il décroche la première sonnerie.
— Mr Grey, comment allez-vous ? À quoi dois-je cet appel… inattendu ?
Enfoiré !
— Roach, auriez-vous des soucis actuellement à SIP parmi vos éditeurs ?
Manifestement, mon approche est trop directe. J’entends Roach s’étouffer au téléphone – il devait
boire un café qu’il vient de cracher sur le clavier de son ordinateur ou sur son bureau. Ma question était
pourtant claire. Pourquoi est-il aussi étonné ?
— Roach ?
— Mais enfin… Mr Grey, je ne comprends pas. Pourquoi une telle demande ? Mrs Grey aurait-
elle des motifs de se plaindre ?
— Non. Mais je préfère surveiller l’environnement dans lequel ma femme travaille. Je vous
rappelle que vous avez laissé Jake Hyde libre d’abuser de ses assistantes pendant dix-huit mois sans
intervenir. Il y avait pourtant des bruits dans les couloirs, la direction n’en a jamais tenu compte.
Il soupire avec amertume.
— Vous n’oublierez jamais ce déplorable épisode, pas vrai ?
Je vois rouge.
— J’aurais du mal vu que ma femme a passé une semaine à l’hôpital à cause de ce fumier !
— Je sais. J’en suis désol…
— Mrs Grey paraît tendue ces derniers temps, je veux savoir si c’est lié à une pression chez SIP.
— Non ! Enfin, je ne crois pas. Je la vois régulièrement aux réunions hebdomadaires ou aux bilans
mensuels. Tout va bien. Pour vous dire la vérité, le département que dirige Mrs Grey est très productif.
Elle a le taux le plus important de nouveaux auteurs, aussi… hum, au départ j’avais des doutes. Voyez-
vous, les jeunes éditeurs se laissent souvent emporter par leur… enthousiasme. Mais je dois reconnaître
que Mrs Grey a un excellent instinct. Les livres qu’elle recommande se vendent – très bien. Trois d’entre
eux sont dans la liste des bestsellers du Time Magazine.
Roach parait impressionné. Quant à moi, je suis fier d’Ana. Je savais qu’elle avait l’étoffe d’un bon
P-DG !
— Combien d’opus édités par SIP se trouvent sur cette liste ?
— Hum… toussote Roach. Seulement trois.
Et il précise inutilement :
— Ceux de votre épouse.
Je ferais aussi bien de raccrocher. Cet abruti ne sait rien, c’est évident. Une dernière idée me vient :
— Au fait, Roach, ma femme sera absente de vendredi à mercredi. Je l’emmène à New York.
— Oui, j’ai vu passer lundi sa demande. Je l’ai acceptée, bien entendu.
Je grince des dents. Il vient de me rappeler l’inconscience d’Ana. Elle a vraiment décidé de ce voyage
sans me consulter ! Roach ne pouvait le savoir. Je ne m’étonne pas que, même avec un aussi court
préavis, il n’ait pas osé refuser sa demande. Ana réalise-t-elle qu’elle bénéficie de passe-droit grâce au
nom qu’elle porte ? Parfois, j’en doute.
— Roach, une dernière chose, y a-t-il à New York un salon du livre, un colloque de l’édition, ou
un événement littéraire quelconque…
Je cherche une raison plausible à ma question :
— … auquel je pourrais conduire ma femme ?
— Non, pas à ce que je sache. Mais vous savez, il est rare que des éditeurs de Seattle fassent le
trajet de la côte Ouest à la côte Est. Ça n’arrive qu’une fois par an, au moment du…
Je n’écoute plus. C’est du baratin. Ce salopard de Hyde obtenait d’emmener ses jeunes assistantes
quand ça lui chantait. Il a tenté d’abuser Ana, dès le premier mois qu’elle a passé chez SIP. Je me
demande ce que ce fumier avait comme moyen de pression sur ses supérieurs – et même sur Roach. Je
n’ai jamais creusé la question. Ou plutôt, si, mais en vain. Welch n’a rien découvert. Plus tôt je ferai un
ménage complet chez SIP, mieux ce sera.
— Très bien, Roach, ce sera tout. Bonne fin de journée.
Je raccroche pendant qu’il est encore en train de me débiter un discours. Ana se plaint souvent que
je suis trop sec avec mon personnel, mais si j’écoutais tous ces bla-bla-bla inutiles, je n’aurais pas assez
de 24 heures dans une journée.
Anastasia… Ces quelques coups de fil m’ont permis, un instant, d’oublier mon obsession. Mais elle
est toujours là, à tourner autour de moi comme une malédiction.
Je me relève, quitte mon bureau et monte à l’étage. Je suis le couloir silencieux jusqu’à la porte de
la salle de jeu. Je la déverrouille pour pénétrer à l’intérieur. Cette pièce que j’ai conçue avec soin
correspond à mes fantasmes les plus secrets, elle a toujours été mon sanctuaire. La lumière douce fait
ressortir le rouge profond des murs, les meubles anciens sont patinés par le temps et l’usage, il flotte une
agréable odeur de cire au citron… et de sexe. Gail n’est pas encore venue faire le ménage. La pièce est
exactement comme Ana et moi l’avons laissée.
Cette dernière session…
Quelque part, elle est restée gravée dans ma mémoire. Ce soir-là, j’ai tenté de franchir une nouvelle
étape… Ana l’aurait-elle mal pris ? A-t-elle été effrayée par mes accessoires ? Pense-t-elle que j’ai
rompu notre agrément tacite ? Est-ce pour ça qu’elle semble avoir peur de moi ?
Une vérité s’impose : la communication n’est pas au point dans notre couple. Ana est trop renfermée,
elle ne s’exprime pas assez, et moi, doté d’une imagination délirante dès qu’elle est concernée, je
comprends parfois de travers ses réactions. Je connais son corps mieux qu’elle-même, je sais discerner
en elle le moindre frisson d’extase, mais je n’arrive pas à déchiffrer la façon dont fonctionne son cerveau.
Et là, je réalise le paradoxe de ma déclaration. Si je suis un tel expert de la sexualité de ma femme, je
n’ai pu me tromper durant cette session, merde ! Elle a apprécié ces découvertes. Elle a réclamé la palette
pour jouir. Et elle n’a pas feint son orgasme ! Il a été si violent qu’Ana était quasiment en catatonie en
sortant de la salle de jeu.
Je vais jusqu’à ma commode dont j’ouvre le tiroir. J’en sors la palette en cuir au manche phallique
que j’ai utilisée sur Ana. Avec un frisson sensuel, je me souviens d’elle gémissant de plaisir sous les
coups. Je resserre mon poing sur le bois dur. Physiquement, Ana et moi avons une connexion unique.
J’ai connu assez de femmes pour savoir qu’une telle alchimie est rare.
Pour le reste… il y a des progrès à faire. J’espère que John m’y aidera. Je voudrais vraiment que ma
femme et moi réglions nos problèmes ce soir. Ensuite, nous aurons tout le week-end à New York pour
savourer notre réconciliation.
Et si en plus, je réussis à obtenir Appli Net, ce serait le pompon. Les profits qu’une telle acquisition
offrirait à GEH ont de quoi donner le vertige.

Livre 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant