Anniversaire Teddy

3.7K 46 0
                                    


14 mai 2014
Ana
Sur la pointe des pieds, je me glisse jusqu’à la nurserie où Teddy dort encore, Christian se trouve sur
mes talons. Depuis le seuil, tous les deux, nous jetons un coup d’œil. Christian pose la main sur ma taille
qu’il serre, doucement. Nous sommes aussi excités que des enfants ! Après tout, c’est le second
anniversaire de Teddy et aujourd’hui, il réalisera mieux que l’an passé qu’il s’agit d’une fête dont il est
le héros.
Pour le moment, il dort encore dans son petit lit. Je regarde avec amour la pièce peinte en jaune et
bleu : Christian et moi en avons choisi le moindre détail. Le jour de sa naissance, j’ai reçu de nombreuses
peluches qui trônent, sur les étagères, parmi d’autres jouets. Ses livres de chevet sont soigneusement
rangés dans une petite bibliothèque. Tous les soirs Christian en choisit un afin de lire une histoire à
Teddy au moment de se mettre au lit. Depuis sa naissance, notre petit garçon s’endort en entendant la
voix de son père. Une petite tente parapluie est montée dans un coin de la pièce, Teddy aime s’y cacher.
Il y avait aussi un portique et sa balançoire, mais Teddy est désormais trop grand pour l’utiliser. Non
loin du lit, une table et trois chaises, deux étant pour Christian et moi. Notre fils de temps à autre,
(rarement mais cela arrive) accepte de s’asseoir pour une activité plus calme, le dessin par exemple.
Dans ce cas, il peut se montrer très autoritaire et exigé notre présence pour admirer ses œuvres.
Je vois aussi le fauteuil à bascule que j’ai utilisé pour allaiter mon bébé, durant les premiers mois.
— Christian, nous devrions peut-être le laisser dormir…
— C’est l’heure à laquelle il se réveille d’habitude, Ana. Pourquoi a-t-il choisi ce jour précis pour
faire une grasse matinée ?
J’étouffe un petit rire amusé en notant l’impatience dans sa voix. Christian se tourne vers moi et,
pour jouer, tire sur mon oreille.
— Est-ce que tu te moquerais de moi, Mrs Grey ? Gronde-t-il, menaçant.
— Juste un tout petit peu.
Je ne sais si c’est à cause de nous, mais à ce moment précis, Teddy ouvre les yeux. Oh mon pauvre
bébé ! Il a le regard encore embrumé de sommeil. Il nous repère instantanément, il se redresse, agrippé
à ses barreaux blancs, et trépigne, un grand sourire heureux sur le visage. Son père et moi pénétrons
dans la chambre pour nous approcher de lui.
J’entonne « heureux anniversaire », Christian se joint à moi, plus fort. Il a une voix merveilleuse,
j’aime l’entendre chanter ! J’ai le cœur qui déborde d’amour en le voyant soulever son fils dans ses bras,
embrasser la petite joue rebondie, et lui ébouriffer cheveux.
— C’est ton anniversaire, aujourd’hui, bonhomme. Tu veux descendre et ouvrir tes cadeaux ?
J’en ai les larmes aux yeux. Pour Christian, c’est un moment très important, un rite familial. Teddy
pousse des cris de joie et se tortille, manifestant un enthousiasme débridé pour les nouvelles aventures
qui l’attendent.
Je dépose aussi un doux baiser sur le front de mon fils, puis nous descendons en procession l’escalier
jusqu’au salon. Christian chuchote à mi-voix tout un discours et Teddy piaille de temps à autre, en guise de réponse. Je les regarde tous les deux, derrière eux : mes deux hommes ! Ils ont les mêmes cheveux
aux reflets cuivrés. J’espère que ma petite fille me ressemblera un peu, mais je ne me plaindrai pas si
elle est aussi le portrait de Christian.
Le salon est illuminé de soleil, le ciel tout bleu, c’est une magnifique journée de printemps. Les
paquets de Teddy sont installés sur la table basse, en particulier le train que Christian a monté cette nuit.
J’espère que Teddy ne va pas décevoir son père. Mes craintes sont sans fondement. Il fonce tout droit
sur la locomotive en bois et la fait tourner sur ses rails, en poussant des hurlements. Christian me jette
un regard entendu : « tu vois, j’avais raison ! »
Je m’installe sur le canapé, la main sur le ventre. En les regardant jouer, je me demande lequel des
deux s’amuse le plus.
— Mama ! hurle Teddy en me montrant son train.
Il veut que je vienne jouer i. Je pousse un soupir, puis je traîne mon corps alourdi et je m’installe sur
le tapis.
Pour une fois, Christian ne se plaint pas que nous n’ayons pas pris le petit déjeuner à peine descendus.
Nous aurons bien le temps quand Teddy se lassera de ses paquets.
***
Quelques heures plus tard
Nous avons invité toute la famille pour célébrer l’anniversaire de Teddy.
Ils arrivent tous en même temps, dans un joyeux chaos d’embrassades et de félicitations, et d’autres
cadeaux, bien entendu.
Je finis par me retrouver seule, avec Kate, qui tient dans les bras à sa poupée blonde de deux mois et
demi : Ava.
— Oh Kate, comme elle est belle !
— Je suis d’accord. Je me suis débrouillée comme un chef, répond mon amie en riant. Mais tu sais,
ton fils n’est pas si mal, même s’il ressemble à son père.
— Je n’arrive pas à croire qu’il ait déjà deux ans ! Incroyable ce que le temps passe vite. C’est un
cliché, je sais, mais tu le constateras très bientôt par toi-même : on ne profite jamais assez de ses enfants,
ils grandissent bien trop vite.
— Ce n’est pas un problème pour toi, Steele, tu as déjà un autre polichinelle dans le tiroir.
Kate n’a pas changé depuis nos années de colocation, à l’université. Elle plaisante toujours autant.
Je lui envoie un coup de coude, mais nous partageons le même fou rire. Je trouve bien agréable de
retrouver, un moment durant, notre ancienne intimité.
Je pose ensuite les deux mains sur mon ventre d’un geste protecteur.
— Plus que deux mois à attendre et j’aurai aussi ma fille. Ma petite Phoebe.
— Phoebe ? Ana, tu es une vraie girouette, je croyais que tu devais l’appeler Ella.
Zut, j’avais oublié ce coup de téléphone, le mois passé, où j’ai avoué à Kate ma dernière lubie :
donner à ma fille le prénom de la mère biologique de Christian. J’aurais probablement dû consulter mon mari avant de répandre la nouvelle, parce qu’il a refusé. Formellement. Mais il me paraît si naturel
d’échanger avec ma meilleure amie les idées qui me passent par la tête, aussi irréalisables soient-elles.
Durant sa grossesse – et même depuis son accouchement –, il est aussi arrivé que Kate me demande
mon avis concernant des petits détails de la vie courante d’une future (ou nouvelle) maman. Incroyable !
Je n’aurais jamais cru qu’un jour, je sois en mesure de conseiller l’indomptable Katherine Kavanagh
Grey. Quand nous étions étudiantes, à mes yeux, elle avait tout : beauté, argent, famille. Et elle était plus
en avance que moi dans tous les domaines : sexe, relationnel, confiance en soi, style vestimentaire… Je
ne lui en ai jamais voulu – parce que je l’aimais beaucoup. Et je continue.
— Non, Christian n’a pas voulu. Je comprends son point de vue. Nous avons opté pour un prénom
qui n’ait aucun lien avec le passé.
— J’espère au moins que tu as réussi à obtenir « Phoebe Ella » !
— Euh… Non. Elle s’appelle Phoebe Grace.
— Ah, ricane Kate. Sainte Grace, bien sûr !
Je la regarde avec surprise.
— Pourquoi dis-tu ça ? Et sur ce ton-là ? Grace est la seule belle-mère que je connais, mais d’après
les articles que j’ai pu lire, nous avons plutôt de la chance. Elle ne nous reproche pas de lui avoir « volé »
ses garçons. Elle nous voit toutes les qualités !
Je ris, mais pas Kate. Au contraire, elle me lance un regard sarcastique.
— Écoute, Steele, arrête les boniments, je les connais par cœur ! Je suis d’accord, Sainte Grace te
comble de compliments, mais c’est à moi qu’elle adresse ses critiques plus ou moins subtiles.
Je suis éberluée. Je croyais que seul Christian, chez les Grey, avait des réserves concernant Kate – et
encore, celles-ci proviennent plus d’un parti pris systématique que d’un véritable différend. De plus,
Christian est le premier à reconnaître que Kate a changé son frère – en mieux ! –, et qu’elle a un cerveau,
et qu’elle valorise son mari…
Voyons, Elliot est heureux avec sa femme, Grace le sait mieux que personne !
— Je ne comprends pas, Kate. Je ne vois pas ce que Grace pourrait te reprocher ! C’est grâce à toi
qu’Elliot est diplômé, qu’il s’est rangé, qu’il est devenu père… Je…
— Peuh ! Tu vis dans ta petite bulle rose, Ana. Pour toi, tout le monde est beau, tout le monde est
gentil… Moi, j’affronte les politiques au quotidien, je connais bien les sous-entendus mielleux qui
cachent une agression délibérée.
— Houlà ! Est-ce que tu ne t’emballes pas un peu ?
— Non. Jusque-là, Grace considérait que je privilégiais ma carrière au détriment de ma vie
conjugale, elle ne va pas tarder à me traiter de « mauvaise » mère puisque je n’arrête pas de travailler.
— Mais non, tu exagères. Je n’ai pas arrêté non plus ! Pire, Christian m’a nommé P-DG de Grey
Publishing quelques mois après la naissance de Teddy. Et Grace a toujours exercé à l’hôpital…
Kate m’interrompt en levant la main. Elle soupire et secoue la tête.
— Ouais, ben c’est l’Hôpital qui se moque de la Charité.
Elle ricane de son jeu de mots, mais je suis trop choquée pour partager son humour noir. Maintenant
que j’y réfléchis, je vois ce qu’elle veut dire. D’accord, je suis sans doute plus proche de Grace que
Kate, mais seulement pour une question d’affinités. Rien de plus. Ma conscience me tance : Anastasia, Grace considère que tu as sauvé son cadet. Elle se faisait un sang d’encre pour lui. Jamais Elliot n’a
causé de tels soucis à ses parents.
Est-ce que Kate reproche aussi aux Grey de s’être davantage inquiété du côté renfermé de Christian
que de l’exubérance d’Elliot – qui cachait peut-être d’autres blessures secrètes. Oh lala ! Que tout ça est
compliqué !
— Désolée, Ana, je ne veux pas plomber l’ambiance. Allez, viens boire un coup pour te remonter
le moral. Si tu tires une gueule d’enterrement, Mr Pété-de-Thunes va vouloir ma peau.
— Je ne peux pas, je suis enceinte.
— Je boirais pour toi.
Kate se lève et sort sur la terrasse. Je reste assise, sonnée par ses révélations. Une minute plus tard,
Grace apparaît et s’assoit à mes côtés.
— Ma chère petite, comment vas-tu ? Pas trop fatiguée ? Tu me parais un peu pâle.
— Non, ça va. Merci Grace.
— Comment ça s’est passé avec Christian à Lakeview ? Je voulais te poser la question l’autre
dimanche, mais nous n’avons jamais été seules, je n’en ai pas eu l’occasion…
— Eh bien… J’ai trouvé très dur de voir cette tombe. J’ai réalisé qu’Ella était plus jeune que moi
lorsqu’elle est morte. Christian pense qu’elle s’est suicidée, qu’elle a fait une overdose délibérément. Et
il l’aimait, il a fini par l’admettre.
— Et Christian, comment a-t-il réagi ?
— Compte tenu du contexte, il a été plutôt calme. Il faisait beau, l’ambiance de ce cimetière était
paisible. Nous avons trouvé sans problème, grâce à vos indications. Ces vers que vous avez fait graver
sur la stèle sont superbes, Christian m’a expliqué leur origine. C’était un moment… très émouvant.
— Il a lu le journal que je lui ai remis ?
— En partie, oui, je crois.
Grace soupire.
— J’ai toujours ressenti une grande pitié pour cette jeune femme… La vie peut basculer si vite. J’ai
beau être médecin, et donc (en principe) avoir l’esprit scientifique, j’aime à croire que l’amour perdure
même après la mort. J’aime à penser qu’Ella veille sur son fils – où qu’elle se trouve.
— Je comprends. Je ne me pose pas ce genre de questions, mais je vois en quoi ça peut vous aider,
au moment des épreuves.
— Chaque fois que je regarde mon fils à tes côtés, Ana, je remercie le ciel de t’avoir mise sur son
chemin.
Je pense soudain aux réflexions de Kate.
— Christian et moi étions destinés l’un à l’autre. Tout comme Kate et Elliot.
— Certainement. Ils ont mis du temps à se décider à être parents, j’espère que cette petite fille
resserrera leurs liens.
Oh, j’en reste sans voix. Kate a raison : Grace est de mauvaise foi !
— Grace ! Kate et Elliot s’adorent ! Un enfant n’est pas le ciment d’un couple, je vous assure.
Et j’ajoute avec amertume :
— Sinon, il n’y aurait pas tant de divorces !
Elle me prend la main.
— Ma chérie, je suis désolée, j’ai parlé sans réfléchir. J’aimerais juste…
Elle soupire et détourne les yeux. J’insiste un peu sèchement :
— Quoi ?
— Eh bien, que Kate se consacre moins à sa carrière…
Elle a (presque) fait la grimace en prononçant ce mot. Je m’emporte sans lui laisser le temps de finir
sa phrase. Je tiens à défendre mon amie, ma belle-sœur.
— Grace, tout comme Christian, je n’aime pas les paparazzis, ce sont des vautours qui se repaissent
des scandales, mais Kate n’est pas comme eux. C’est une journaliste d’investigation. Elle accomplit son
métier avec passion, elle est entière, enthousiaste, intègre. Elle travaillait pour la campagne
présidentielle quand elle a convaincu Elliot de passer son diplôme d’ingénieur, elle réussit sur tous les
tableaux, elle a toujours trouvé du temps à lui consacrer…
— Je sais, je sais…
Mais je suis emballée.
— Vous avez été la première à vous opposer à Christian lorsqu’il voulait me voir rester à la maison
dès le début de ma grossesse. Vous êtes pédiatre. Vous avez exercé même après avoir eu des enfants,
vous ne vous êtes pas contentée d’être un faire-valoir paradant au bras d’un avocat à succès…
Elle s’accroche à mon avant-bras.
— Ma chérie, calme-toi. Tu as raison.
Au bout d’un moment de silence, Grace chuchote :
— Vois-tu, Cary est avocat des médias, ce qui a dû me laisser des préjugés.
Nous sommes seules dans le salon. Les autres sont sur la terrasse.
Grace reprend avec un sourire :
— Mon père disait toujours : La jeunesse croit beaucoup de choses qui sont fausses, la vieillesse
doute de beaucoup de choses qui sont vraies. Je crois que vieillir n’empêche pas les bêtises.
— Ah… Ray me disait parfois : Les années font plus de vieux que de sages…
Un éclat de rire retentit au dehors. Grace et moi tournons la tête. Elliot fait tourbillonner Teddy à
bout de bras et Christian les surveille, assis sur le banc, avec la petite Ava qui dort sur ses genoux.
— Mes fils sont heureux, murmure Grace. Ils ont chacun trouvé la femme qui leur convient. Viens,
chérie, allons les rejoindre.
Nous sortons ensemble. En nous voyons, Elliot pose Teddy à terre et crie :
— Maman ! Ana ! Vous tombez bien. Teddy tient à savoir comment sa sœur va arriver en ce bas-
monde. J’estime que c’est au frangin de répondre, non ?
Christian s’étouffe. Ava s’est alanguie dans ses bras, confiante, les yeux clos et un sourire béat aux
lèvres. Je ne sais pas où est Kate.
— Ted ? grince Christian. Tu veux retourner jouer avec le train ? Ou bien préfères-tu refaire de la
balançoire que ton oncle t’a apportée ?
Mon petit garçon hoche la tête et court vers son aire de jeux.
Elliot éclate d’un rire heureux. Il est beau et rayonnant comme Apollon – le dieu du soleil –, avec
ses cheveux blonds et ses yeux bleus. Grace lui sourit et s’approche de lui pour l’embrasser sur la joue.
Elle récupère ensuite Ava des bras de Christian.
— Et si nous allions voir ce que fait ta maman, ma jolie poupée ? Il est temps de te laisser dormir
au calme pendant que les grandes personnes vont déjeuner.
Christian le lève et vient jusqu’à moi. Il me prend le visage à deux mains et se penche pour
m’embrasser.
— Où avais-tu disparu, Mrs Grey ? Tu me manquais.
— Je crois que le repas est prêt, Christian. Mia insiste pour que nous mangions sur la terrasse.
— Excellente idée !

Livre 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant