À la maternité

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Ana
Je dévore du regard mon fils. Durant plusieurs mois, il a été « Petit Pois » et maintenant, c’est un
magnifique petit garçon.
— Teddy? Teddy… Teddy chéri !
— Ana, je crois qu’il finira par ne plus supporter son nom si tu le répètes toute la journée.
Christian me sourit, assis près du berceau. Lui aussi contemple ce miracle que nous avons créé tous
les deux. Teddy a déjà sur la tête une petite touffe de cheveux cuivrés.
— Ta mère est d’accord avec moi, Christian Teddy est ton portrait craché.
— Ce n’est pas vrai, il a les yeux bleus.
— Grace dit que tous les bébés ont les yeux bleus, il faut quelques semaines avant que la couleur
devienne définitive. Elle a dit aussi que Teddy aurait les yeux clairs. Tu verras, ils seront gris.
— Ils seront bleus, comme les tiens, baby. On parie ?
— Pourquoi pas.
— Le vainqueur aura droit d’exiger un gage du perdant.
— D’accord.
Christian ricane, très sûr de lui. Je me tourne vers mon bébé d’amour :
— Teddy, Teddy, n’oublie pas, il faut que tu aies des yeux gris !
Christian lève les yeux au ciel.
— Il ne te comprend pas.
— Si, il est très intelligent.
— Bien entendu, il a les gènes qu’il faut pour ça !
Il y a quelque chose dans sa voix quand il prononce le mot « gènes ». Je lève les yeux, il paraît
inquiet. Il a les yeux encore cernés, des rides marquées sur le visage. C’est de ma faute. Je n’aurais pas
dû refuser cette césarienne jusqu’au dernier moment, je ne sais pas ce qui m’a pris… c’était puéril de
ma part de m’accrocher à ma conviction qu’il me fallait faire naître mon enfant « naturellement ». Je
m’en veux d’avoir couru un risque, d’avoir mis en danger mon enfant ainsi que ma propre santé.
Christian ne m’en a pas encore parlé, je suis pourtant certaine qu’il me réserve un sermon – et une
punition –, un jour ou l’autre.
Je ne veux pas y penser pour le moment.
— Il est tellement beau !
J’ai toujours trouvé que les enfants des autres ne ressemblaient à personne, c’étaient des Aliens, ils
me faisaient penser à ET68. Mais là, quand je regarde Theodore Raymond Grey, je vois son père, à
100 %. J’en ai les larmes aux yeux.
— Teddy, Teddy, Teddy.
— Anastasia, ça suffit. Je t’interdis de pleurer. C’est un jour de joie, je ne veux pas…
Je l’interromps.
— Tu ne l’as pas encore tenu dans tes bras.
Il recule de tout son être.
— Non.
Je me retourne dans le lit… ma cicatrice me rappelle à l’ordre. Ouille ! Il faut que je sois moins
brusque. Christian a remarqué ma grimace, il me caresse la joue.
— Baby, est-ce que ça va ? Tu as mal ?
— Non, ne t’inquiète pas, je vais très bien. C’est juste un point ou deux points qui me tirent.
Je soulève délicatement le bébé pour le tendre à Christian. Il sait comment s’y prendre : d’une main,
il soutient la nuque fragile, de l’autre, il plaque le petit corps contre lui. Il se rassoit et berce son fils dans
ses bras. Mes larmes coulent de plus belle, ce spectacle est bouleversant. Christian se met à chanter.
J’irai partout où tu iras,
Tout en haut ou en bas,
J’irai partout où tu iras…69
Teddy s’agite dans son sommeil, son petit poing frappe son père en pleine poitrine, au niveau du
cœur. Le mien rate un battement. Je sais qu’il s’agit pour Christian d’une zone interdite, c’est
précisément là qu’il a une profonde cicatrice. Comment va-t-il… ?
Il a un halètement douloureux et ferme les yeux, le temps de se contrôler. Quand il soulève les
paupières, ses prunelles grises sont lumineuses de joie et d’émerveillement. Il contemple son fils avec
adoration.
Je n’arrive pas à y croire.
— Dis-moi, Christian, j’ai pensé à un truc.
— Quoi ?
— Je voudrais qu’Elliot et Kate soient parrain et marraine de notre fils.
— Quoi ? Quelle idée ! Ils sont déjà ses oncle et tante, ce n’est pas assez ?
— Non, s’il nous arrive un jour quelque chose, ils pourraient s’occuper de lui. Ça me rassurait de
le savoir, même si ça n’arrive jamais.
— Et mes parents ? Et les tiens ?
— Ils sont adorables, tous, ils aimeront beaucoup notre fils, mais ils n’ont pas l’âge de l’élever. Je
préférerais…
Je me mordille la lèvre sans trop savoir comment m’exprimer. Christian éclate de rire.
— Tu condamnerais ce pauvre enfant à vivre avec mon frère, un clown, et sa walkyrie de femme ?
— Je leur confierais ma vie ! Oui, je leur confierais aussi mon fils.
Il m’étudie un long moment, puis il baisse les yeux pour regarder le bébé qui dort contre sa poitrine.
Il a un sourire timide et souffle :
— Bien sûr, baby. Fais comme tu veux.
Ouf, je suis rassurée, je m’attendais à ce que ce soit plus difficile.
Au même moment, la porte s’ouvre avec fracas. Je grimace, habituée au calme qui règne dans la
maternité. Je suis aussi étonnée que Taylor ou Sawyer ne soit pas intervenu. Je tourne la tête, c’est Elliot,
caché derrière un énorme bouquet, avec des ballons bleus qui flottent au-dessus de sa tête. Oh lala. J’ai
presque oublié qu’au-delà de cette porte, il y a d’autres gens, une ville, tout l’État de Washington.
Christian, moi et notre enfant ne sommes pas seuls au monde ! Notre famille est prête à accueillir un
nouveau membre dans son giron.
— Comment va mon neveu ?
Kate se précipite derrière lui, elle paraît furieuse.
— Désolée, il court vite, je n’ai pas pu l’empêcher de te déranger.
J’éclate de rire – bien que ce soit douloureux avec ma cicatrice. Mon beau-frère adore faire le pitre,
mais il a le don d’apporter la joie avec lui.
Christian a tourné la tête avec un froncement de sourcils, sans doute craint-il que la grosse voix
d’Elliot réveille Teddy. Ce n’est pas le cas, le bébé dort toujours avec la constance d’un nouveau-né qui
a travaillé dur pour venir au monde.
— Elliot, ferme-la, grogne Christian.
— Entrez, entrez tous les deux, dis-je amusée. Vous tombez bien, je voulais vous parler.
Christian soupire, il ne paraît pas prêt à relâcher son fils.
Elliot dépose sur mon lit six ou sept paquets soigneusement emballés
— Tiens, Ana, c’est pour toi et pour le petit Elliot. (Il tend les fleurs à Kate en disant :) Bébé,
flanque ça ou tu veux, moi, je vais accrocher les ballons en l’honneur de mon neveu.
— C’est mon fils ! Proteste Christian. Il s’appelle Theodore Raymond Grey.
— Teddy, dis-je avec un sourire béat.
Mon mari me contredit.
— Ted !
Je l’ignore. Les ballons bleus, gonflés à l’hélium, sont attachés au montant métallique de mon lit
d’hôpital. Génial ! Ils donnent à la chambre un air de fête. Je souris à Elliot, enchantée.
— Nous vous avons fichu la paix toute la matinée, déclare mon beau-frère. Je ne vois pas pourquoi
Kate voulait m’empêcher de venir ! Je méritais bien une petite pause après avoir passé la nuit dans la salle d’attente. Après tout, cet enfant, nous l’avons tous attendu, pas vrai ? C’était fatigant, je suis raide
pété.
— Elliot ! grogne Kate, partagée entre l’exaspération et l’amusement.
— Je suis ravie que vous soyez là, tous les deux, dis-je avec un sourire. Je voulais vous demander
quelque chose…
— Bien sûr, Ana.
— Tout ce que tu veux.
Ils ont répondu en même temps. C’est chou !
— J’aimerais que vous soyez parrain et marraine de Teddy.
***
Deux heures après
— Oooh ! Comme il ressemble à Christian ! crie Mia en tapant des mains.
— Pauvre gosse !
Kate, assise dans un fauteuil, tient son futur filleul dans ses bras. Soit Christian n’entend pas son
commentaire, soit il choisit de l’ignorer en tout cas, il ne perd pas son sourire fier et paternel.
— Je peux le prendre ? Je peux le prendre ? Demande Mia.
C’est sa mère qui lui répond :
— Si tu veux, chérie, mais fais bien attention. Voilà, il faut que tu places ta main ici, l’autre…
Je n’écoute plus, je regarde Grace et Carrick : ils ont le même sourire, ils paraissent si heureux d’être
grands-parents. Ils contemplent mon bébé comme s’il s’agissait de la huitième merveille du monde.
Tous deux s’approchent de moi, Grace se penche pour m’embrasser :
— Bravo, Ana ma chérie, tu as très bien travaillé.
— Hey ! J’ai aussi participé.
Christian fait mine de bouder. J’éclate de rire, le cœur gonflé de joie, il est si rare qu’il agisse de
façon aussi jeune, libre et détendue. Ses parents lui lancent un coup d’œil adorateur.
Carrick me salue à son tour.
— Mes félicitations, Ana, et tous mes vœux.
Peu après, j’étouffe un bâillement. Christian le remarque ; il s’assied sur mon lit, le dos appuyé au
mur, il me prend dans ses bras. Je me sens bien, dans un cocon, protégée.
Kate est toujours dans son fauteuil, au coin de la fenêtre. Elle paraît morose. Son frère lui pare à voix
basse, il paraît chercher à la réconforter. Qu’est-ce qu’elle a ? Des problèmes de boulot ? Depuis combien
de temps n’avons-nous pas mangé ensemble et échangé des confidences ? Elle s’absente souvent, pour
son travail de journaliste ; et moi, je suis occupée ailleurs. Oh Kate… !
Dans le salon adjacent, Elliot et Mia se disputent pour savoir lequel des deux va tenir Teddy. Sur le
canapé, mon père et ma mère discutent avec animation, malgré moi, je tends l’oreille : ils parlent de Bob Adams, le mari de maman. Mon attention les quitte très vite. En fait, je surveille mon petit bébé qui
passe de bras en bras : il est actuellement dans ceux de Grace.
Je souris béatement.
— À quoi penses-tu, Mrs Grey ? Me chuchote Christian à l’oreille.
— À notre enfant. À toi. À nous.

Livre 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant