Au fil des Années

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2013
Nouveau P-DG
Ana
Christian se précipite sur moi, la mine inquiète :
— Ana, qu’est-ce que tu as ? Qu’est-ce qui se passe ?
Je reste roulée en boule sur le canapé de son bureau, affolée au point que je n’arrive plus à parler.
J’agite la main comme pour écarter un moustique. Qu’on me fiche la paix ! Qu’on me laisse tranquille !
Bien entendu, mon obsédé du contrôle n’en tient pas compte. Au contraire, il insiste :
— Parle-moi. Regarde-moi.
Il me soulève par les épaules et me rassied dans le canapé où j’avais décidé de passer le reste de ma
vie. Son geste ne m’arrange pas du tout. Zut quoi ! Je foudroie mon mari d’un regard noyé… qui n’a
aucun effet.
— C’est à cause de Grey Publishing ? s’enquiert Christian.
Bravo, Sherlock. Je lui assènerais volontiers cette réplique sarcastique si j’avais encore l’usage de
mes cordes vocales, mais ce n’est pas le cas, alors je reste muette. Je regrette (une fois de plus) de ne
pas posséder la verve énergique d’une Katherine Kavanagh. Non, je suis juste Anastasia Rose Steele
Grey. La dinde ! ajoute ma conscience avec dédain.
Christian m’a bombardée P-DG de SIP – ou Grey Publishing. Bien sûr, je m’en doutais : depuis le
départ à la retraite de Mr Roach, Christian insiste pour passer à l’acte. Moi, j’ai joué la carte de la
procrastination. Je me voyais bien attendre un mois, un an… ou un siècle. L’avenir me paraissait
brumeux. Tu es d’une naïveté qui confine à la débilité, ma pauvre Anastasia… Je n’aurais jamais cru
que Christian me forcerait la main. Il l’a fait. Et il me l’a annoncé aussi calmement que s’il parlait de la
météo ! Je vais retourner demain, lundi, au bureau, en étant « la patronne ». Je ne peux pas. Ils vont me
détester. Tous !
— Ana, tu pourrais arrêter de faire le clown ? s’énerve mon mari.
Le clown ? Je suis au bord de la dépression et ça le fait rire ? Franchement ?
Christian reprend, plus doucement :
— Nous en avons parlé encore et encore. Tu es plus que prête à tenir ce poste, ça ne changera pas
grand-chose à ton travail quotidien, sauf que tu décideras désormais quels auteurs tu veux privilégier.
Voyons, Ana, tu avais des tas d’idées ! Il te suffit maintenant de les mettre en pratique.
— Jjjjailattttrouille.
— Pardon ?
— J’ai. La. Trouille.
— Tu n’es pas la seule.
Sous le coup de la stupéfaction, je le regarde enfin. Je ne comprends pas.
— Pourquoi dis-tu ça ?
— Parce que je sais ce que tu éprouves. Je suis passé par là. Il y a des tas de techniques pour réguler
la panique avant une rencontre importante.
— Toi, paniqué ? Je n’y crois pas !
— Disons que la situation n’était peut-être pas tout à fait la même, mais je n’ai pas toujours été
aussi assuré que tu parais l’imaginer. Je suis quand même très flatté de ta bonne opinion de moi.
Il a les yeux lumineux de franchise et d’amour. Je ne peux que le croire. Je lui souris timidement.
Après tout, il cherche à m’aider. Je tends la main pour lui caresser la joue.
— D’accord, d’accord, Christian, je te crois. C’est juste… tu parais si sûr de toi, je doute que tu
réalises combien cette nouvelle position me met mal à l’aise.
— Viens, je vais t’expliquer.
Il se redresse et tend la main vers moi. J’hésite encore.
— Baby, grogne Christian, soit tu viens de ton plein gré, soit je sévis.
Je me lève. Il me prend dans ses bras et rapproche sa bouche de mon oreille pour chuchoter :
— Tu as peut-être envie – sinon besoin – de me voir sévir… Que veux-tu, Anastasia ? Dis-le-moi ?
— Je ne sais pas. Je ne sais plus.
Il me fait pivoter, me plaque les deux mains sur son bureau et me claque les fesses. Ouch ! D’un
autre côté, je me sens désormais en terrain familier.
— Bien, Mrs Grey, je vois qu’il va me falloir te mettre dans le bon état d'esprit. Je vais te frapper,
baby. Dix fois. Je vais aussi te baiser. Ensuite, tu vas écouter mes conseils. Et les appliquer. Compris ?
— Oui, monsieur.
Ce n’est pas juste ! Il a tout pouvoir sur moi. Je ne pense plus du tout à Grey Publishing, simplement
au plaisir que Christian sait si bien me procurer. Il remonte prestement ma jupe et baisse ma culotte. Je
me mords les lèvres, le corps déjà tremblant de désir. Mon sexe est trempé. Une main lourde retombe
très fort sur mes reins dénudés.
— Ouille !
— Tu n’es pas attentive, baby. Je veux que tu comptes. Compris cette fois ?
— Oui monsieur. Deux…
— Non, ce serait trop facile. Nous recommençons à zéro.
Oh lala…
***
Lundi soir
Grey Publishing
C’est presque l’heure. Je revois mentalement la check-list que Christian a établie pour moi.
 Respire profondément. C’est fait.
 Évite l’hyperventilation. Trop d’oxygène me ferait tourner la tête.
 Hydratation ? Oui, j’ai un verre d’eau à la main. J’en sirote une gorgée. J’ai
les lèvres sèches, je me les suis pourtant tartiné de baume hydratant. Il y a
quelque chose de coincé dans ma gorge. Un gremlin77 ? Je cherche à
toussoter, mais en vain.
 Me caler l’estomac…
Zut ! Il me l’avait bien recommandé. J’ai oublié. Il ne serait pas content. J’imagine son regard gris
furieux braqué sur moi. Je fais signe à un serveur qui passe, un plateau à la main. Des canapés ? Ça fera
l’affaire. Je m’en fourre deux dans la bouche, je les mâche avec une grimace. Ils ont un goût de sable.
Ce n’est pas de la faute du traiteur, c’est juste que le stress m’empêche de déguster ses préparations.
Quoi encore ? Oh oui, bien sûr, mon nouveau mantra : je peux le faire. J’en suis capable, Christian
me l’a affirmé. Il ne se trompe jamais – en affaires. Je ne dois pas douter de moi. Les employés de Grey
Publishing me connaissent déjà, ils ont confiance en moi. Euh… je crois.
Et malgré moi, au beau milieu de cette soirée organisée pour marquer mon ascension au siège de
président-directeur général, j’évoque ma session avec Christian, vendredi soir, à l’Escala.
Dans la salle de jeu.
*
— Anastasia, recommençons. Et cette fois, tâche de ne pas te tromper…
Christian tourne autour de moi comme un prédateur s’apprêtant à se jeter sur sa proie. Ses longs
doigts effleurent mon dos et je me trémousse, malgré les menottes, accrochées au grillage métallique
du plafond, qui m’immobilisent les poignets au-dessus de la tête.
— Ne bouge pas ! ordonne-t-il, en tirant sur ma tresse.
Il passe derrière moi. Je ne le vois plus. Il se plaque contre mon corps nu, je sens le tissu doux de
son jean fétiche contre mes fesses rougies.
— Je veux entendre ton discours : articule mieux.
En même temps, il me pénètre avec deux de ses doigts.
— Argh !
— Concentre-toi, exige-t-il.
*
— Anastasia ?
Je pivote sur moi-même, pour sourire à Claudia Kolp, qui travaille aux ressources humaines à SIP –
non, Grey Publishing. Elle porte une robe grise (assortie à ses cheveux crêpés) et de grosses lunettes

.argentées. D’aspect sévère, elle impressionne au premier abord, mais quand on la connait mieux, elle
est tout à fait charmante.
Showtime !
Je lui souris à Claudia en tentant d’afficher un air décontracté.
Ensemble, nous avançons jusqu’à l’estrade. Elle prend le micro, y tapote d’un doigt à l’ongle laqué
rouge sang, ce qui attire l’attention générale.
— Mesdames et messieurs, merci d’être tous restés ce soir pour accueillir notre nouveau président
directeur général. Mrs Anastasia Grey voudrait vous dire un mot.
Claudia a du bagout. Il faudrait peut-être que je l’augmente. Elle me tend le micro, je fais quelques
pas en cherchant désespérément à garder les yeux fixés sur un point virtuel, droit devant moi. Je suis
furieuse contre Christian : pourquoi a-t-il confisqué la feuille sur laquelle j’avais écrit mon discours ? Il
m’a ordonné de l’apprendre, il ne voulait pas que je lise.
Je lève les yeux au ciel. Il n’est pas là pour me voir. Sauf que… Je sens sa présence. Surprise, je
parcours la foule du regard. Il devrait être à New York aujourd’hui ; il m’a annoncé son départ ce matin,
regrettant son absence à ce cocktail… Et pourtant, il est là. En smoking, appuyé contre le mur du fond,
Taylor à ses côtés. J’ai un mari beau à tomber. Il lève dans ma direction la flûte de champagne qu’il tient
à la main avec un sourire victorieux.
Je lui rends son sourire. De savoir qu’il est là et qu’il m’offre son soutien, je me sens invincible. Je
parcours des yeux les visages familiers qui m’entourent, puis je me lance dans mon discours avec une
aisance que j’ignorais posséder.
***
— Tu as été parfaite, Mrs le P-DG de Grey Publishing.
Christian prend mon menton dans sa main et me relève la tête, pour pouvoir m’embrasser.
Furtivement. Nous sommes un peu à l’écart, personne ne peut nous voir.
— Ça s’est bien passé, tu es sûr ? J’ai tout vécu dans une sorte de brouillard.
— Tu t’es montrée autoritaire, directive. Tu avais tout d’un chef d’armée.
Il ricane. Je ne sais comment il s’arrange pour donner à ces quelques mots une connotation érotique.
— J’ai eu le meilleur des maîtres, dis-je, en battant des cils.
— Tu vas bien ? Tu veux boire quelque chose ?
— Non, merci. C’est parfait. Je me sens… à la fois soulagé et libérée. J’ai l’impression d’être un
papillon qui vient de se trouver des ailes.
— Je t’aimais déjà chenille, Ana, que vais-je faire d’un papillon ?
— Je suis certaine que tu trouveras, Christian.
Je ris tout en vacillant sur mes hauts talons. Surprise, je me raccroche aux bras que Christian resserre
autour de moi.
— Qu’est-ce que tu as ?
— C’est étrange ! Je n’ai bu qu’une coupe de champagne et je me sens complètement pompette.
C’est normal, Dr Grey ?
— Oui, c’est l’adrénaline. Tu as eu une montée de ce neurotransmetteur pour faire face à une
situation de stress, ton corps a réagi, ton cœur s’est emballé, ta pression artérielle a augmenté, tes pupilles
se sont dilatées… Ce sont des réactions très sensuelles, baby. (Il sourit.) Par contre, quand tu retomberas
de ton high, tu risques d’avoir des frissons. Ne t’inquiète pas, je suis là.
— Au fait, tu ne devais pas aller à New York ?
— Non, je pars après-demain.
— Tu m’as menti ?
— Je ne voulais pas que tu te fasses du souci en imaginant que j’allais t’espionner, Ana. Je voulais
simplement te soutenir, te démontrer à quel point j’ai confiance en toi.
— Oh… je vois. Merci.
— Dis-moi, il n’y a plus que les ivrognes et les pique-assiette qui s’attardent au buffet. Je pense
que nous pourrions nous éclipser discrètement. Je veux te ramener à la maison. Je veux baiser ma femme
et le nouveau P-DG de Grey Publishing.
— Ça me paraît une excellente idée. Et si romantiquement exprimée !
Pour dire la vérité, Christian avait raison sur les effets néfastes de l’adrénaline. Je m’endors comme
une masse dans la voiture, la tête posée sur l’épaule de Christian. Je ne me réveille même pas quand il
m’emporte dans ses bras jusque dans notre chambre, me déshabille et me met au lit. J’ai le vague
souvenir de sa bouche contre mon oreille : dors, dors, ma belle. Je t’aime. Tu sais tout faire. Aimer ton
mari et éditer des livres les plus rentables. Tu es unique, Anastasia. Tu es ma femme et j’en suis fier.
Mais ce n’est peut-être qu’un rêve…

Livre 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant