Casse-Tête

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Mai 2012
Christian
Mon réveil sonne, j'ouvre les yeux, instantanément alerte. Derrière la vitre, le ciel de Seattle est tout
noir. Mon premier geste est de me pencher sur mon adorable femme endormie afin de l'embrasser.
D'abord, elle sourit, puis elle grommelle quelques mots incohérents que je déchiffre malgré tout :
- Bonne réunion.
J'espère bien, baby. J'adore le métier que j'ai choisi et j'y réussis parfaitement, mais pour se colleter
au marché international, il est parfois nécessaire de travailler au beau milieu de la nuit à cause du
décalage horaire. C'est le cas aujourd'hui. Je dois me rendre à Grey House pour une vidéo-conférence
avec Londres. D'accord, je n'ai pas besoin de beaucoup de sommeil, mais quand même, quitter mon lit
à 3 heures du matin, je trouve cela difficile.
Taylor m'accompagne, bien entendu, et nous nous retrouvons à l'heure dite dans mon bureau, au
dernier étage de ma tour. Au cours de la réunion programmée, j'obtiens tout ce que j'espérais. Je devrais
en être heureux, c'est le cas, bien sûr, mais ma seule contrariété porte sur le fait que l'opération me prend
bien plus longtemps que prévu. Je n'ai pas le temps de retourner me coucher une heure ou deux...
Merde ! J'essaie de ne pas m'attarder sur ce détail, après tout j'ai obtenu le marché à cinq millions de
moins que ce que j'étais disposé à payer. C'est une façon plutôt satisfaisante de commencer la journée.
Je m'étire, courbaturé, il est 5 h 30. Je décide d'aller d'abord courir dans les rues de Seattle avec Taylor,
ensuite vers 6 h 15, Claude Bastille doit me retrouver ici même, au gymnase de GEH. J'espère bien
l'envoyer sur le cul ce matin.
À 7 h 30, je suis dans une grande forme. Depuis mon réveil, j'ai acquis une société de plus, avec un
bonus de plusieurs millions que je peux investir à ma guise et la session sportive a été plus que
satisfaisante : pour une fois, Claude Bastille n'a pas fait le poids. J'ai du mal à retenir un sentiment de
béatitude revancharde. Mon coach personnel est un ancien athlète olympique qui ne me fait jamais de
cadeau, c'est bien la raison pour laquelle je l'apprécie tant. Malgré les années, le vaincre me procure
toujours autant de satisfaction. Comme Claude me le répète toujours, le mental est aussi important que
l'expérience dans un combat et ce matin, j'avais le sentiment que je ne pouvais perdre. Par contre, cette
affaire avec Londres va réclamer de nombreuses heures de travail, aussi bien pour mon personnel que
pour moi-même. Dès qu'Andrea Parker, mon assistante personnelle, arrivera, je vais lui ordonner de
libérer mon emploi du temps pour tout l'après-midi. Je compte m'immerger complètement dans ce
nouveau projet.
Ana doit être réveillée à présent, je vais lui passe un coup de fil. J'ai très envie d'entendre sa voix
mélodieuse me souhaiter le bonjour. Je saisis mon BlackBerry. En même temps, je récupère mon emploi
du temps... et je me fige, sidéré. Il y a une nouvelle ligne que je ne me rappelle pas avoir vue hier. Bien
sûr, ma vidéoconférence matinale avec Londres est bel et bien inscrite, mais quelques lettres en
majuscules ont été ajoutées : RAAIYAUA.
RAAIYAUA ? C'est quoi cette connerie ? Il n'y a pas d'horaire inscrit devant ce message cryptique,
il ne s'agit donc pas d'un rendez-vous. Et s'il s'agissait d'une autre vidéoconférence, je retrouverais les
lettres VC... non ?
Je ne me casse pas longtemps la tête, je vais certainement trouver une explication logique sur mon
ordinateur, aussi je me précipite sur mon clavier pour taper RAAIYAUA dans la fenêtre de mon moteur
de recherche interne. Mon PC pédale quelques secondes dans les méandres informatiques de GEH et...
il ne trouve rien.
Hein ? Comment, ça, rien ? Bon Dieu, cette fois, ça m'énerve vraiment. Je déteste qu'il me manque
des informations concernant ce qui se passe dans mes propres sociétés. Je suis le patron, merde, je dois
tout savoir, absolument tout. Et aujourd'hui, je me retrouve dans le noir à cause de quelques majuscules
à la con.
RAAIYAUA ? Qu'est-ce que ça veut dire ?
Andrea ne sera pas au bureau avant un quart d'heure, ce qui me met en rogne. Elle est la seule à avoir
accès à mon agenda, donc c'est elle qui y a inscrit ces lettres, donc c'est aussi la seule personne capable
de m'expliquer leur signification. CQFD. En son absence, je ne peux rien préparer concernant ce rendez-
vous puisque j'ignorais son existence jusqu'à la minute présente. Merde ! Je veux être tranquille
aujourd'hui, pas avoir un rendez-vous aussi mystérieux que contrariant.
Je ne suis pas un homme patient. Pour être plus sincère, je déteste attendre. Au fur et à mesure que
les minutes s'écoulent, ma rage augmente. Je fixe la porte avec une impuissance qui n'améliore en rien
mon humeur. Dans l'espoir de faire passer le temps, je tape sur Google. Peut-être y aura-t-il quelque
chose qui me donnera un indice, une image, n'importe quoi... Comme j'ai la sensation d'être acculé, je
suis prêt à me raccrocher à la moindre brindille.
Qui a prétendu que Google était un moteur de recherche génial ? C'est faux, c'est nul. Je n'y trouve
absolument rien. La première chose que me demande ce logiciel inepte, c'est si je me suis trompé dans
mon épellation, d'après eux je voulais écrire « YAHOO ». Non, pas du tout, connards. D'ailleurs, depuis
quand un moteur de recherche propose-t-il son remplacement par un concurrent ? Grotesque.
Néanmoins, pendant que je rumine, d'autres analyses se mettent en route. Ah ? Je me penche pour lire...
Il y aurait dans le mot RAAIYAUA des consonances maories ou russes. Voilà qui me laisse sceptique.
Quand je vois s'ouvrir quelques vidéos de mangas japonais, je réalise que ma recherche est inutile.
RAAIYAUA n'existe pas.
Ayant réussi à me mettre franchement en colère, j'arpente mon bureau comme en tigre en cage. J'ai
les deux mains dans les cheveux, un tic nerveux qui me vient quand je suis stressé - c'est-à-dire,
relativement souvent. Ana prétend qu'à cause de cette déplorable habitude, je me retrouverai chauve un
jour. Tout en marchant, j'évoque mes conversations de la veille avec Andrea... Il me paraît logique que,
à un moment ou à un autre, nous avons dû évoquer de façon plus ou moins indirecte cette connerie de
RAAIYAUA qui apparait aujourd'hui sur mon calendrier. Je suis certain de ne pas avoir vu cette
annotation hier, Andrea l'aurait-elle ajoutée avant de partir à 17 h 30 ?
À cette heure, la journée professionnelle est terminée à Seattle, la ville la plus à l'Ouest des États-
Unis. Donc, il faut que j'envisage ce qui a pu se passer en direction de l'Est... À Hawaï, il serait 15 h 30,
à Tokyo, 10 h 30. Dans le nom et l'orthographe de ces deux villes, il y a des connotations qui me
rappellent ce mystérieux RAAIYAUA... et puis ça correspond aux indices que Google m'a donnés.
Je n'ai rien en cours avec le Japon actuellement.
Et si pensais plutôt à l'Orient dans son ensemble ? Oui, je travaille beaucoup là-bas, surtout avec
Taiwan... Mais il n'y a rien d'urgent, tout roule sur des rails bien huilés. Je ne trouve aucun indice, ce
qui me ramène à mon point de départ.
Il faut que je quitte mon bureau ! Pas question que je reste planté là comme un débile en attendant
mon assistante. D'un autre côté... Je pourrais lui téléphoner. Quel idiot ! Comment ai-je pu ne pas y
penser plus tôt ? Je saisis vivement mon BlackBerry où le numéro d'Andrea est préenregistré, mais
quand je l'appelle, je tombe sur sa boîte vocale. Je regarde mon appareil avec des yeux ronds. Il est
rarissime qu'Andrea ne me réponde pas instantanément.
Regarde l'heure, Grey, elle est probablement sous la douche.
Bien, voilà une image sur laquelle je préfère ne pas m'attarder.
Quoi faire, bon Dieu ? Je n'ai pas encore eu le temps de prendre mon petit déjeuner... bien sûr je
pourrais envoyer Taylor me chercher un sandwich, mais puisque j'ai besoin d'air frais, autant descendre
grignoter quelque chose. Je ferai ainsi d'une pierre deux coups, Andrea sera là à mon retour. Elle va
m'entendre d'ailleurs ! À cause d'elle, je viens de perdre une demi-heure de mon temps.
Taylor me suit jusque dans la rue. Malgré les nombreuses pétitions de mes employés, j'ai toujours
refusé de dédier un étage de Grey House à une cafétéria. Il y a des cuisines un peu partout pour ceux qui
désirent manger sur place, mais personnellement, j'aime la variété. Je tiens aussi à faire tourner les
différents petits restaurants de proximité.
Taylor et moi sommes bientôt assis devant une table garnie.
- Taylor, dis-je tout à coup au responsable de ma sécurité, Andrea vous aurait-elle parlé d'une
modification dans mon emploi du temps ? Quelque chose qu'elle aurait rajouté pour aujourd'hui ?
Taylor me regarde avec un air aussi impassible que de coutume. S'il est surpris de ma question ou
de l'éventualité qu'Andrea ait pris une initiative sans m'en tenir informé, il ne le montre pas.
- Ajouté, monsieur ? Reprend-il en insistant légèrement sur le mot. Non, absolument pas. Ce
matin, vous n'aviez de prévu que cette vidéo-conférence avec Londres, puis la session d'entraînement
avec Claude Bastille, vous avez ensuite deux rendez-vous ce matin et durant l'après-midi...
La suite de mon programme ne m'intéresse pas.
- Je vais annuler tout ce que j'ai après-midi pour pouvoir travailler sur le projet de Londres.
Taylor, que vous disent les lettres R-A-A-I-Y-A-U-A ? Il est aussi possible qu'il s'agisse d'un mot...
hum, étranger, maori, japonais ou russe.
- Euh... ça ne me dit rien du tout, monsieur. Effectivement, ce truc-là... « Raèyoa », ça paraît
étranger... Du français peut-être ? Ou du latin ?
Du français ? Sûrement pas, vu que je m'exprime couramment dans cette langue. Et du latin, ça
m'étonnerait. Mais les langues étrangères ne sont pas le point fort de Taylor. Je retiens un rire nerveux,
je ne veux pas que Taylor le prenne mal et pense que je me moque de lui.
D'ailleurs, depuis quand m'arrive-t-il de rire en mangeant une omelette ? Jamais. Je dois être fatigué.
Sans doute une séquelle de m'être levé aussi tôt. Quand je lui jette un coup d'œil, il me semble que le
responsable de ma sécurité retient un sourire. Il se fout de ma gueule ? Possible... Taylor a le sens de
l'humour, même s'il le cache bien. Il est plus âgé que moi et lui aussi s'est levé aux aurores. Il paraît en
forme.
- Taylor, je pense que je vais reprendre du jus d'orange, j'ai besoin de vitamine C.
Je préfère ne pas insister sur RAAIYAUA. Cette histoire commence à me courir sur le système.
D'ailleurs, il est temps de retourner au bureau : Andrea ne devrait pas tarder. Penser à elle me
renfrogne instantanément : notre entretien risque d'être animé.
Cinq minutes après, je sors de la cabine de mon ascenseur, au dernier étage, et je vois mon assistante
ranger son manteau dans la penderie derrière son bureau. Elle me jette un coup d'œil avec un sourire,
puis se fige. Tout comme Anastasia, Andrea est capable de déchiffrer instantanément mon humeur du
moment. Elle me sait furieux.
Je ne cherche même pas à faire un effort, je ne retiens pas ma voix en hurlant :
- Andrea ! Dans mon bureau. Immédiatement.
Je passe devant elle comme un ouragan pour me précipiter dans mon sanctuaire dont j'ouvre la porte
violemment, puis je me jette dans mon fauteuil, les bras croisés. J'attends ma proie.
Andrea pénètre d'un pas prudent et referme la porte derrière elle. Elle avance jusqu'à moi.
- Quelque chose ne va pas, Mr Grey ?
Je la fixe, durement. Elle cherche à garder un air impassible, mais je note la petite crispation de ses
lèvres. Et son regard est un peu intense. Elle doit désespérément chercher la raison de ma colère en
feuilletant les innombrables dossiers de son cerveau bien organisé. Elle paraît cependant perplexe, il est
évident qu'elle ignore la raison de mon énervement.
Quant à moi, je fume, je suis au bord de l'implosion. Je me demande si j'ai des vapeurs toxiques qui
émanent de mes oreilles.
- Oui, effectivement, Andrea. Quelque chose ne va pas - ne va pas du tout ! (Je hurle.) Comment
avez-vous osé ajouter une ligne sur mon emploi du temps sans me demander mon avis préalable ?
Cette fois, elle écarquille les yeux.
- Ajouter ? Mais monsieur, je n'ai rien ajouté...
Si j'ai un don particulier vis-à-vis d'autrui, ce n'est pas l'empathie, c'est celui de déchiffrer si mon
interlocuteur me ment ou pas.
Andrea dit la vérité, Grey.
Je reprends d'un ton plus calme en désignant la ligne incriminée : RAAIYAUA.
- J'ai remarqué ceci après ma vidéoconférence avec Londres. Ça n'était pas là hier. D'ailleurs, je
ne veux voir personne cet après-midi. Annulez tous mes rendez-vous. (Un accès de rage me revient.)
Bon Dieu, dis-je, en tapant du poing sur mon bureau, que signifie cette connerie de RAAIYAUA ?
Andrea ouvre la bouche, la referme, puis recommence. Elle balbutie :
- Euh... monsieur...
Je l'interromps :
- J'ai regardé dans tous mes dossiers à GEH sans rien trouver à ce sujet. Andrea. Comment un
mot que je ne reconnais même pas a-t-il pu se trouver sur MON agenda dans MON emploi du temps ?
Je la fixe en grinçant des dents, les yeux flamboyants. Elle a beau être plus habituée à moi que les
autres employés de GEH, je pense qu'elle n'est pas trop à l'aise à l'heure actuelle. Il y a très longtemps
que je ne me suis pas mis en colère à ce point, surtout envers elle. Andrea est une employée remarquable
qui ne commet jamais d'erreur.
Alors pourquoi aujourd'hui ? Surtout sur un sujet aussi délicat que MON agenda ?
- Mr Grey, répond-elle très vite. S'il n'y a rien au sujet de RAAIYAUA dans les dossiers de Grey
House, c'est que le sujet n'est pas professionnel.
Je note alors le tremblement de sa voix. Je ne m'y arrête pas.
- Comment ça, pas professionnel ? Vous voulez dire que ce serait personnel ? Je n'ai strictement
rien de personnel qui puisse correspondre à RAAIYAUA, Andrea, je m'en souviendrais, bon Dieu !
Je n'ai jamais connu de Japonaise, ni de Maorie ou de Russe... Il me semble. Bien sûr, je me souciais
peu des origines génétiques de mes soumises, mais quand même, une nationalité étrangère, ça m'aurait
marqué. Il est possible que l'une d'elles ait eu les yeux bridés... Nathalie ? Natalia ? Peu importe, c'est
du passé, ça ne m'intéresse pas.
Et ça ne répond d'ailleurs pas du tout à ma question.
- J'ai effectivement ajouté cette note sur votre emploi du temps, monsieur. Cela signifie... hum...
Rencontre Avec Anastasia Il Y A Un An.
Elle m'adresse un regard affolé, le doigt pointé sur mon emploi du temps. Je la fixe, bouche bée. Puis
je baisse les yeux sur cette mystérieuse série de lettres majuscules. RAAIYAUA = Rencontre Avec
Anastasia Il Y A Un An.
C'est vrai, Grey. Tu as rencontré Anastasia il y a un an !
Oh bon sang. Je laisse retomber mon visage dans mes mains tandis que le ridicule de la situation me
frappe de plein fouet... Merde ! Comment gérer ça ?
J'éclate de rire. Bien sûr, c'est nerveux - et ça ne me correspond pas du tout, mais quand même ! Je
me suis comporté de façon grotesque... je me suis mis dans un état épouvantable pour rien. Je me revois
évoquer le sujet avec Taylor au petit déjeuner... Il a pensé à du latin ? Mon rire reprend de plus belle, il
devient irrépressible et de plus en plus bruyant.
Quand je m'essuie les yeux pour regarder mon assistante, je réalise que mon hilarité ne l'a pas
rassurée, bien loin de là. Andrea m'a vu en colère, très souvent, mais jamais, pas une seule fois au cours
des années passées à mon service, elle ne m'a vu rire à gorge déployée. Du coup, mon fou rire
recommence. Pauvre Andrea. À sa façon discrète, elle a cherché à ce que je n'oublie pas l'anniversaire
de ma rencontre avec ma femme. Et maintenant, craignant d'avoir outrepassé ses fonctions, Andrea se
demande si je ne vais pas lui en vouloir de cette intrusion dans ma vie privée.
- Andrea, ne vous inquiétez pas. C'est... c'est très bien. Vous avez bien agi. Simplement, je ne
m'y attendais pas. Il y a vraiment un an que j'ai rencontré Anastasia ?
- Oui, monsieur. Jour pour jour. Lorsque vous m'avez demandé l'an passé qu'Anastasia Steele
ait une totale priorité à Grey House et qu'elle puisse vous joindre à n'importe quel moment, je l'ai
inscrite dans nos fichiers. C'est là que j'ai indiqué sa première arrivé à Grey House, quand elle est venue
interviewer pour le journal de l'Université de Washington : c'était le lundi 9 mai 2011. D'après mes
notes, nous attendions Katherine Kavanagh, mais c'est Miss Steele qui s'est présentée à sa place...
Je m'en souviens. Anastasia... avec ses grands yeux bleus, sa jupe mal coupée, ses rougeurs et son
air affolé. Anastasia avec sa crinière de cheveux bruns ébouriffés, ses lèvres tremblantes, sa peau de
perle... Anastasia à quatre pattes sur la moquette de mon bureau. Anastasia et ses questions indiscrètes,
ses réflexions bouleversantes. Anastasia, mon amour.
Anastasia a capturé mon cœur à la première seconde - dès qu'elle m'a regardé droit dans les yeux...
- J'ai pensé que vous souhaiteriez marquer cet anniversaire, monsieur, chuchote Andrea.
Si je le souhaite ? Oh bordel, oui ! C'est le jour où ma vie a commencé... D'ailleurs, comment ai-je
pu ne pas retenir moi-même cette date ? Sans Andrea, j'aurais complètement raté cet événement.

- C'est le cas, Andrea, merci d'y avoir pensé. Mais ces majuscules ? Pourquoi ne pas avoir
simplement écrit une phrase en clair ?
- Mrs Grey passe parfois au bureau vous retrouver, monsieur. J'ai pensé que peut-être...
Andrea rougit. Je me demande pourquoi tout le monde l'appelle la Reine des Glaces... actuellement,
elle n'en a pas du tout l'expression.
Quand elle ne poursuit pas, j'insiste, impatient :
- Oui ? Vous avez pensé quoi ?
- J'ai pensé que vous souhaiteriez peut-être lui faire une surprise, Mr Grey. J'imagine que
Mrs Grey doit aussi se souvenir de la date, mais peut-être... hum... Peut-être ne s'attend-elle pas à ce
que soit votre cas.
Je décide instantanément d'augmenter Andrea à la fin du mois. Elle le mérite.
- Vous avez raison. Je vais immédiatement lui faire envoyer des fleurs.
- Vous voulez que je m'en charge ?
- Non, merci.
Comme je lui suis redevable, je ne fronce pas les sourcils devant sa réflexion inappropriée. Mais
merde quoi, personne d'autre que moi ne choisit les fleurs que j'envoie à Anastasia ! Andrea devrait le
savoir. J'ai même acheté une boutique pour ce besoin spécifique. C'est très pratique, ça me fait gagner
beaucoup de temps. Bien entendu, tout GEH s'y fournit également depuis lors. L'affaire s'avère très
rentable.
Une fois qu'Andrea a quitté mon bureau, je tourne la tête en direction de la fenêtre, l'esprit embrumé
de souvenirs. Que vas-tu envoyer comme fleurs à Ana, Grey ?
Partout dans mon bureau, il y a des photos de ma femme : la première prise de nous deux en public,
le jour de la remise de son diplôme à WSUV. Une autre, au gala annuel de mes parents, Unissons-nous,
avec cette ravissante robe gris argent et son masque assorti. Le gigantesque portrait en noir et blanc de
son sourire, réalisé par mon ancien rival, José Rodriguez... et aussi Anastasia enceinte de notre enfant...
Tout ça en un an, en 365 jours ?
Je réalise alors que je n'ai pas téléphoné à ma femme, comme j'en ai eu l'intention, à 7 h 30. J'ai
été... distrait.
Cette fois, quand je regarde RAAIYAUA sur mon emploi du temps, j'ai un grand sourire.
- Bonjour, baby, dis-je dès qu'Ana décroche.
- Bonjour, Christian. Je pensais que tu téléphonerais plus tôt. Alors, comment ça s'est passé avec
tes Londoniens ? Je crains de ne pas avoir été très bien réveillée ce matin quand tu es parti.
- L'affaire s'est passée encore mieux que prévu, ne t'inquiète pas. Nous ne finirons pas sur la
paille. Dis-moi, qu'as-tu envisagé à déjeuner ?
- Je ne sais pas encore...
- Si, maintenant tu le sais. Tu manges avec moi. J'ai quelque chose à fêter.
J'entends le sourire d'Ana dans sa voix. Elle doit penser que je veux célébrer mon nouveau succès
professionnel.
- Très bien, à quelle heure Christian ?
- Midi et demi.
- Parfait, je note. Je t'attendrai à SIP. Je t'aime.
- Je t'aime aussi, baby.
Que vais-je lui envoyer comme fleurs ? Pas des roses rouges, c'est banal. Non, je veux des fleurs des
champs. Anastasia adore les fleurs des champs. Un immense bouquet de... non, pas trop gros : elle
déteste l'ostentation.
Je reprends mon téléphone pour appeler Rainbow Flower - le nouveau nom de ma boutique. J'avais
pensé à Grey Flower, mais Anastasia a refusé. D'après elle, ce n'est pas assez commercial et évocateur.
Elle n'a pas tort. Et comme je ne tenais pas forcément à associer le nom de Grey à des fleurs, j'ai cédé.
- Que voulez-vous mettre sur la carte, Mr Grey ? demande la gérante très empressée.
- Hmm. Mettez simplement : RAAIYAUA. À ma femme, avec tout mon amour, CG.
Ah-ah. J'ai perdu une heure à me creuser la cervelle concernant ces lettres grotesques. Chacun son
tour ! Je me demande ce qu'Anastasia va déduire de mon message. Cette idée me fait rire tout seul.
En raccrochant, je suis heureux. J'ai passé une merveilleuse année grâce à la femme de ma vie.
Tu as une mémoire sélective, Grey. Puis-je te rappeler Leila, Hyde, les désobéissances d'Ana, ses
rebellions, ses...
J'ai passé une merveilleuse année.

Livre 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant