Livre 4

Nuit d'Angoisse

Ana
Dix minutes après – ou bien dix ans – nous arrivons à l’hôpital. Seigneur, combien de fois vais-je
devoir arriver en civière aux Urgences ? Je l’ai déjà fait quand Jake m’a frappée à la tête et heureusement,
je ne m’en souviens pas. Par contre, je garde un souvenir horrible de ma frayeur avant la naissance de
Teddy. Je n’aime pas les hôpitaux, leur odeur me terrorise. Je déteste aussi la façon dont un patient perd
son identité et devient un numéro. Je ne veux pas rester là. Je voudrais rentrer à la maison.
Christian me tient la main. Grâce à lui, j’ai quelques éclairs de conscience, le reste du temps, je suis
dans un monde brumeux, onirique et éthéré. Tout ce blanc… C’est effrayant.
On me frappe sur la joue. Pas fort, mais quand même, c’est désagréable.
— Mrs Grey ? Mrs Grey ? Ouvrez les yeux.
Non, je n’ai pas envie. Je suis fatiguée. Je veux dormir. Fichez-moi la paix, qui que vous soyez.
— Mr Grey, vous ne pouvez pas entrer en salle d’opération.
— Je ne veux pas la quitter !
Oh Fifty mon amour ! Et Teddy ? Où est mon bébé ? Je veux rentrer à la maison… Et comme je ne
peux pas, je lâche prise. Je m’endors.
***
Christian
À l’hôpital, c’est la cohue comme de coutume. Taylor et Sawyer nous entourent, Ana, moi, et un
infirmier – qui a tout d’un linebacker116 – qui pousse la civière vers le bureau des entrées.
— Christian !
Je me retourne. Ma mère se précipite et m’embrasse, puis s’écarte très vite pour échanger quelques
mots rapides avec le personnel. Carrick nous rejoint peu après, il avait dû garer la voiture.
Ana est dans les vapes. J’en suis heureux, au moins elle ne souffre pas. On me flanque un imprimé
sous le nez, je lis (un réflexe) avant de signer, c’est un banal formulaire d’enregistrement. Où est ce
foutu Dr Greene ?
— Mr Grey ? Je suis le Dr Trevor, je vais prendre en charge votre femme. Son médecin traitant, le
Dr Greene, est en route.
C’est une femme – une chance parce que je ne peux m’emporter contre elle, surtout en présence de
ma mère – aux cheveux grisonnants et l’air revêche. Elle m’évoque une institutrice des temps passés.
Etrangement, son aspect rébarbatif me rassure.
Elle se penche et tapote la joue d’Ana.
— Mrs Grey ? Mrs Grey ? Ouvrez les yeux.
Contrariante comme à son habitude, Ana ne bronche pas.
— Tension artérielle à 8/5. Il nous faut stopper cette hémorragie utérine. Emmenez-là, nous allons
analyser sa numération globulaire. Je veux les résultats avant d’opérer. Placez-lui une solution de…
Grace me prend la main tandis que la civière Ana disparait derrière le rideau d’une petite salle de
soin, Je me poste juste à côté de la « porte ».
— Maman, qu’est-ce qu’elle a ?
— Chéri, je ne peux me prononcer sans avoir tous les éléments et la gynécologie n’est pas ma
spécialité. Il y a plusieurs options, ce peut être une fausse couche.
— Non, Ana n’était pas enceinte.
— Hum… Pour Teddy vous aviez déjà eu un « accident » si tu te souviens.
— Justement, la Dr Greene a revu la contraception d’Ana.
Tout en parlant, je repense au comportement récent de ma femme, à ses sautes d’humeur… Serait-il
possible que… ? Grace me ramène au présent :
— Bien, il est aussi possible qu’elle ait une hyperplasie de l’endomètre…
— Quoi ?
— L’endomètre est la muqueuse interne qui tapisse l’utérus, une hyperplasie est un épaississement
excessif. Cela arrive généralement vers la ménopause, Ana est bien trop jeune. Tant mieux, c’est une
pathologie à risques. Je pense plutôt à un polype intra-utérin. Ce n’est pas cancéreux et cela provoque
de gros saignements. Par contre, une fois enlevé, c’est fini, aucune séquelle. Sauf qu’il faut parfois aussi
un curetage.
Je vais virer le Dr Greene ! Pourquoi n’a-t-elle jamais détecté un merdier assez important pour
provoquer une hémorragie pareille ?
— Quelle sont les conséquences d’un curetage ?
Si Ana ne peut plus avoir d’enfant, elle en sera très malheureuse. Elle a toujours regretté d’avoir été
élevée enfant unique, elle parle souvent de donner un frère ou une sœur à Ted. Jusqu’ici, je n’étais pas
pressé mais ce soir, je réalise à quel point j’ai été égoïste et inconscient.
— Chéri, respire, voyons, ne t’inquiète pas comme ça. Il s’agit d’une intervention très simple qui
consiste à prélever le tissu interne de l’utérus…
Je vérifie si je suis bien ce cours accéléré :
— L’endomètre ?
— Exactement. Il est probable qu’ils feront aussi une hystéroscopie.
Bordel, pourquoi les médecins ont-ils toujours recours à un charabia incompréhensible ! Grace doit
lire sur mon visage ma fureur impuissante, elle s’empresse d’expliquer :
— C’est juste un examen interne de l’utérus pratiqué à l’aide d’un mince instrument de détection.
Cela aidera l’équipe chirurgicale à déterminer plus précisément la cause du problème.
— Revenons à ton idée de polype… Je sais seulement qu’il s’agit une excroissance anormale.