Idées Saugrenues

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Christian
— Ted, écoute un peu, bonhomme…
Je me noie dans ses prunelles bleues, si intelligentes pour son âge. Penché sur le berceau, je frotte
mon nez à celui de mon fils, il se met à rire.
— Ted, sois sérieux écoute papa. Aujourd’hui, ta mère doit retourner travailler et Gail Taylor a dû
s’absenter pour rendre visite à une vieille amie malade. Il ne reste que moi comme baby-sitter. Bien, on
devrait s’arranger tous les deux, qu’en penses-tu ? Il est temps que tu quittes les jupes de ta mère, de
toute façon. On va bien s’amuser entre hommes, je vais t’apprendre la vraie vie.
Je sens le regard furieux d’Ana dans mon dos.
— Christian Grey, si tu fais des bêtises avec mon fils, je te jure que…
Je la prends dans mes bras pour l’embrasser. Et la faire taire !
— Femme de peu de foi ! N’as-tu pas confiance en moi ?
— Tu sais, je pourrais très bien emmener Teddy avec moi à SIP et le laisser à mon assistante,
Hannah adorerait s’en occuper.
— Il n’en est pas question ! Ted reste ici, à la maison, avec son père.
Je croise les bras sur la poitrine d’un air buté. Ana m’examine un moment, elle finit par comprendre
que je ne changerai pas d’avis.
— D’accord, d’accord, mais pas de bêtises. Soyez sages tous les deux.
Avant de quitter la pièce, elle se retourne pour ajouter, l’air espiègle :
— Et n’oublie pas, Christian, il doit avoir pris son bain avant que je revienne.
***
J’ai acheté avec Ana la plupart des accessoires de cette nurserie, mais je ne les ai pas encore tous
essayés. Je jette un coup d’œil dégoûté sur le parc – je me vois mal enfermer mon fils là-dedans ! Mettre
Ted derrière des barreaux ? Jamais ! Il faudra que je me débarrasse de cette cage infâme. Par contre, ce
portique avec une petite balançoire pour enfants me plaît bien. Est-ce que c’est assez solide ? Si je le
mets sur le petit siège-baquet, sera-t-il en sécurité ? Il y a un harnais.
Ted avance déjà en direction de sa balançoire, manifestement, il la connaît. Et il l’adore. J’hésite
encore… Ana me reproche souvent d’être trop protecteur, elle a peut-être raison ? J’aimais bien les
balançoires étant enfants… C’est décidé. Il ne risque rien, même s’il tombe : il y a un matelas très épais
en dessous.
Je l’installe, j’attache son harnais et je le pousse doucement. Il glousse de joie, les deux mains
accrochées aux suspensions, de chaque côté. Il sera bientôt trop grand pour ce jouet. Il faudrait que je
lui fasse installer une aire de jeux dans le jardin. Rien que pour lui – ses frères et sœurs, cousins et
cousines, quand il en aura. J’ai une grimace de dégoût à l’idée que mon fils fréquente les jardins publics
et monte que des balançoires où des étrangers couverts de germes et de microbes vont aussi… Quelle
horreur ! Comment des parents sérieux peuvent-ils accepter une telle promiscuité ?
Et quand il sera à l’école, Grey ? Que feras-tu ?
Merde ! Je verrai, je n’en suis pas encore là. Par contre, je veux poursuivre mon idée puisque l’été
sera bientôt là. Je sors mon BlackBerry pour appeler mon assistante à GEH.
— Andrea, je veux savoir comment faire construire une aire de jeux dans mon jardin. Trouvez-moi
les meilleures entreprises spécialisées et contactez aussi mon frère, à Grey Constructions, pour savoir
s’il a des noms à me conseiller. Je veux que ce soit exécuté le plus vite possible. Que les travaux
commencent… (Demain ? C’est un peu tôt.) La semaine prochaine !
Ted couine et proteste, très mécontent, parce que j’ai arrêté de le pousser. Cet enfant est un vrai tyran,
autoritaire et exigeant. Comme son père… Je me remets à la tâche avec un sourire. Machinalement, je
tourne la tête vers la fenêtre. Un rayon de soleil ? Il est temps de sortir, je vais l’emmener jusqu’au
bassin rempli de poissons. Il est temps que j’apprenne à mon fils les rudiments de la pêche.
Aujourd’hui, ce sera notre première leçon.
***
Me voici donc assis devant le bassin, avec mon fils sur les genoux.
— Tu vois, Ted, là, ce sont des poissons. Regarde celui qui est orange – comme il est beau !
Je lui désigne une carpe koï78. Il se penche en avant pour l’attraper.
— Non, non, tu vas tomber.
En secouant la tête, je le retiens. Il n’a que onze mois, mais il est déjà énergique et audacieux.
— Non, Ted, tu ne dois pas les toucher, juste les regarder. En y réfléchissant, ce bassin n’a aucun
intérêt pédagogique. Pour que tu apprennes à pêcher, il me faudrait un véritable étang… Mais c’est
dangereux. Il doit bien exister un compromis, un endroit spécifiquement créé pour apprendre à pécher,
entouré d’un grillage pour que tu ne risques pas d’y tomber. Je pourrais aussi faire pêcher sur le ponton,
mais je doute que nous attrapions le moindre poisson dans le Sound…
Ted ne suit pas du tout mon discours, il se trémousse de tout son petit corps dodu pour plonger les
mains dans le bassin et jouer avec les poissons. Manifestement, c’était une très mauvaise idée de
l’emmener jusqu’ici, autant retourner à la maison. J’ai à peine fait quelques pas que Ted, très mécontent
d’être privé de son nouveau jouet se met à hurler. J’en ai le cœur brisé.
Je sors mon BlackBerry.
— Andrea ? Trouvez-moi quelqu’un pour creuser un étang chez moi… Je veux que les travaux
commencent dans la semaine… Hein ? Non petit, juste de quoi apprendre à pêcher… Quoi ? … Aucune
idée. Démerdez-vous.
Pour consoler Ted, je l’entraîne dans la cuisine, décidé à lui faire découvrir les dons curatifs de Ben
& Jerry. Je l’installe dans sa chaise haute et lui tends une cuillère remplie de glace à la vanille.
— Tu vois, bonhomme, ça, c’est de la glace. C’est très bon. Goûte. C’est froid hein ? Serais-tu
capable de prononcer le mot « froid ?
J’entends une sorte de gargouillement derrière moi. Je me retourne, c’est Taylor. Il fait semblant de
toussoter, je sais parfaitement qu’il rigole – parce qu’il se fout de ma gueule.
Je lève un sourcil.
— Oui, Taylor ?
— Hum, Mr Grey, à onze mois, un enfant ne parle pas. Il est bien trop occupé à apprendre à
marcher. Ted prononcera ses premiers mots vers deux ans.
Je cligne des yeux.
— Ted a marché à neuf mois !
Je l’ai filmé en février dernier faire ses premiers pas au salon. Mon fils est un génie. Je le savais ! Il
va peut-être parler à onze mois…
Taylor m’adresse un sourire supérieur.
— Sophie a parlé à deux ans, elle est actuellement dans une classe pour enfants précoces. Vous ne
pouvez pas accélérer certains processus, Mr Grey.
Dieu qu’il m’énerve ! J’étrécis les yeux, très contrarié. Il ne ment pas, je paie la scolarité de sa fille,
Sophie Taylor, elle est effectivement en avance d’un an. C’est une enfant charmante, très intelligente,
parfaitement élevée. Avec un soupir, je regarde mon fils. Theodore Raymond Grey – le futur P-DG de
GEH – a les deux mains dans le pot à glace, il en a mis absolument partout. Il se lèche les doigts, sans
accorder un coup d’œil à la cuillère que je lui tends.
— D’accord, bonhomme, je vais attendre encore un an pour que tu parles. Mais n’oublie pas, le
premier mot que tu dois dire, c’est papa, d’accord ?
Je frotte le nez contre ses cheveux cuivrés, si doux, si merveilleux. Je jette un coup d’œil autour de
moi, Taylor a disparu. Alors, je chuchote :
— Ted, toi aussi, tu vas sauter une classe, d’accord ? Pas question de laisser la fille de Taylor
prendre de l’avance sur toi !
***
Deux jours après
Je suis rentré plus tôt que prévu pour constater l’achèvement des travaux. Il est 19 heures et je couche
Ted dans son berceau.
— Tu as vu les avantages d’avoir de l’argent, Ted ? Il n’a fallu que quarante-huit heures pour
installer ton aire de jeux – avec balançoires, cabane, tas de sable et toboggan. La grue est déjà en place
pour te creuser un mini-étang afin que tu apprennes à pêcher. Qu’est-ce que tu…
Un hurlement m’interrompt.
— Christian !
C’est Ana. Je sais ce qu’elle va me dire. Je me mets à rire.
— Si tu veux mon avis, ta mère vient de découvrir les aménagements que toi et moi avons décidés
ensemble. Nous aurions peut-être dû la consulter… Non, elle aurait refusé. Tu sais, parfois, elle a d’étranges idées. Bien, il va maintenant falloir que j’utilise tous mes talents de négociateur pour la
calmer.
Ted a une grande confiance en son vieux père : il s’endort, sans se soucier de l’orage que je m’apprête
à affronter.
***
Ana
Pour Pâques, il y a un week-end prolongé, Christian et moi avons décidé de le passer avec notre fils.
Teddy est aux anges, il exploite son père pour le pousser sur sa nouvelle balançoire « pour grand » –
celle que Christian vient de lui installer dans l’aire de jeux de notre jardin.
Moi, je les surveille depuis une chaise longue, sur la terrasse, la main posée sur le ventre…
La porte du bureau de Christian est ouverte… et si je cachais mon cadeau ?
***
Non mais c’est pas vrai, je rêve !
Je referme le dossier avec une telle rage que je me broie la main au passage. Je n’arrive pas à y croire.
Il faut que j’en parle avec Christian. La mâchoire serrée de colère, je sors du bureau de mon très cher
mari.
— Christian !
J’ai hurlé de toute la force de mes poumons. Aucune réponse. J’avance jusqu’à l’escalier, le dossier
serré contre ma poitrine.
— Christian Grey ! Je veux te parler. Immédiatement.
Affolée, Gail Taylor apparaît au sommet des marches, au même moment, son mari déboule en
courant au fond du couloir.
— Tout va bien, Mrs Grey ?
Je vois la façon dont il m’examine de haut en bas, cherchant manifestement une trace de blessure.
— Je vais très bien, Taylor, dis-je entre mes dents serrées, mais je ne peux vous garantir que ce
sera le cas de mon mari.
Taylor me jette un regard stupéfait, puis il interroge sa femme des yeux. Gail secoue la tête et retient
un sourire. Du coup, Taylor finit par comprendre que mon problème ne concerne pas la sécurité.
— Dans ce cas, Mrs Grey, je vais vous laisser régler cette affaire.
Évitant mon regard vengeur, il détale dans une retraite hâtive.
Gail m’indique où je peux trouver Christian :
— Je crois que Mr Grey est sur la terrasse, Ana, il vient de prendre un appel. Voulez-vous que je
récupère Teddy pour lui donner son bain pendant…
Avec tact, elle ne termine pas sa phrase.
— Oui, merci, Gail. Excellente idée.
Je lui jette un regard qui exprime aussi bien ma frustration que ma colère, elle me répond par un clin
d’œil. Je pivote sur mes talons et traverse le salon en direction de la terrasse. Quand j’ouvre les portes-
fenêtres, j’entends effectivement Christian parler de la voix décidée qu’il a toujours au téléphone.
— Non... J’ai dit mardi, c’est mon dernier délai… Je m’en contrefous ! Arrangez-vous pour que ça
marche… Très bien… Envoyez-moi un mail.
Dès que je suis dehors, je claque la porte derrière moi, satisfaite du fracas que provoque mon geste.
Christian fait un bond et se retourne pour me regarder.
— Je vous rappelle, jette-t-il avant de raccrocher. Tout va bien, baby ?
Son regard glisse alors sur le dossier que je tiens toujours, il a la bonne grâce de paraître coupable.
— Ah.
Je me déchaîne en le fixant dans les yeux :
— Oui, « ah ». Christian, je croyais que nous avions un accord sur ce sujet !
— Ana, ce n’est pas ce que tu…
— Si, c’est exactement ce que je pense. Comment oses-tu me mentir ?
Le dossier est énorme et très pesant – en fait, il est accablant au sens propre et littéral ! J’ai les bras
qui tremblent de l’avoir tenu si longtemps, ce qui ne fait qu’enflammer davantage ma légitime colère.
— Bon sang, Christian, regarde tout ce papier gaspillé ? Dis-je sans trop réfléchir. Combien
d’arbres as-tu massacrés pour tout ça ?
— C’est ce qui te met en colère ? s’exclame-t-il, sidéré.
Crétin ! Je dois lutter contre mon envie féroce de lui jeter le dossier à la tête.
— Mais non ! Bien sûr que non.
Il paraît tellement perdu que j’en ai le cœur serré. J’inspire profondément afin de me calmer. Si je le
mets sur la défensive, je n’en obtiendrais rien.
— Christian, je veux comprendre pourquoi tu as fait ça.
Il paraît encore plus perplexe, il fronce les sourcils.
— Est-ce que ce n’est pas évident ?
Je fais vraiment de gros efforts pour ne pas exploser.
— Non. Pas pour moi. (Respire Ana…) Surtout pas après que nous en ayons discuté, je croyais que
nous avions trouvé un arrangement qui nous convenait à tous les deux. Un compromis
J’utilise un des mots préférés de John Flynn et Christian le reconnaît. De ce fait, il comprend aussi
que je cherche un terrain d’entente, pas une guerre à outrance. Bien sûr, il a toujours à travailler sur son
empathie, ce n’est pas un don qu’il possède naturellement, mais il apprend vite et il a fait des progrès
ces dernières années.
— Je suis désolé, Ana. Je ne voulais pour rien au monde te faire de la peine.
Il paraît sincèrement désolé, aussi je m’adoucis. Il a le malheur d’ajouter :
— Je n’aurais jamais cru que tu tomberais sur ce dossier.
Bon sang, c’est tout ce qu’il regrette ?
— En clair, tu es désolé que j’aie trouvé ce dossier, pas de l’avoir établi ?
— À dire vrai… Non, admet-il, la tête penchée en me regardant.
Je dois lui accorder quelque chose : il ne ment pas. Je ferme les yeux et je compte jusqu’à trois.
Quand je les rouvre, je note qu’il me surveille avec attention, comme s’il était face à un animal sauvage
susceptible de l’attaquer à la moindre provocation. En fait, il n’a pas tort ! C’est exactement l’envie que
je ressens.
Je grince avec amertume :
— Tu n’es pas désolé d’avoir rompu notre accord derrière mon dos ?
Comme j’ai de plus en plus mal au bras, je transfère l’énorme dossier de l’autre côté. Foutu poids-
lourd !
— Tu veux que je t’en débarrasse ? propose Christian avec sollicitude.
— Non, dis-je, d’un ton hargneux.
— Ana, ne sois pas ridicule. Pose-le, tu vas finir par te faire mal.
— Christian !
Il m’est difficile d’avoir l’air calme sans cacher les reproches que je tiens à lui asséner… ma voix
émerge dans un gémissement geignard. Christian continue à m’examiner, l’air sérieux… sauf que je
vois trembler le coin de sa bouche.
— D’accord, dis-je en soupirant.
Je laisse tomber le dossier, qui s’écrase violemment sur la terrasse.
— Maintenant, explique-toi !
Croisant les bras, je lui adresse mon regard le plus furieux et impérieux.
Son amusement disparaît, Christian affiche une moue boudeuse d’adolescent. Oh pétard ! Je sais
qu’il va se montrer contrariant et que la discussion va s’éterniser.
— Il fallait que je le fasse.
— Non, Christian, il ne « fallait » pas, tu le voulais. Tu en avais envie, un point c’est tout. Il y a
une grosse différence.
— Mais ce n’est pas pour moi, c’est pour notre fils.
Bon sang, comment faire rentrer un grain de bon sens dans la tête de cet homme impossible ?
— Christian… Je sais que tu aimes Teddy, je sais que tu veux l’aider et le protéger, mais nous
avons convenu ensemble qu’il y avait des façons plus constructives de le faire. Tu t’en souviens ?
Il a le regard braqué au sol, l’air buté… il n’est pas du tout convaincu. Je reprends donc :
— Je t’ai déjà dit comment je voulais choisir son école maternelle. J’ai envie d’aller visiter
plusieurs établissements et d’en discerner l’atmosphère sans avoir besoin d’une enquête sur chacun des
membres de l’équipe éducative et des autres élèves.
À nouveau, Christian esquisse un sourire.
— Tu sais, ce n’est quand même pas de l’espionnage à haut niveau. Toutes ces informations n’ont
rien de ton secret.
— Vraiment ? Dans ce cas pourquoi as-tu caché ce dossier tout au fond de ton armoire ?
— Pour ne pas que tu le trouves. D’ailleurs, pourrais-tu m’expliquer pourquoi tu as fouillé mon
bureau ? grogne-t-il, menaçant.
— Il ne s’agit pas de moi, dis-je, ulcérée. Ne change pas de sujet. Nous cherchons une maternelle,
Christian, Teddy n’a que trois ans. Pourquoi diable as-tu établi autant de diagrammes concernant les
projections de ces écoles dans le futur, leurs bilans, leurs stabilités financières ? Il ne s’agit pas d’un
rachat de sociétés.
Il se tortille, mal à l’aise… il a repris son air coupable. Tout à coup, je réalise quelque chose. Je
pousse un hurlement.
— Christian ! Ne me dis pas que tu comptes racheter une de ces écoles pour mieux pouvoir
surveiller ton fils ?
— Non, répond-il, très vite, puis il baisse les yeux. Euh… pas vraiment. Je pensais simplement
faire quelques investissements. Tu sais, si on leur donne de l’argent, j’imagine qu’ils veilleront plus
attentivement sur Ted…
Oh pétard. Je sens venir une migraine. Je me pince l’arête du nez entre le pouce et l’index et je respire
profondément.
— Je ne vois pas quel mal il peut y avoir. Insiste Christian d’un ton ferme. Teddy ne le saura jamais.
D’ailleurs, tu n’aurais jamais dû le savoir non plus si tu n’avais pas fouillé mon bureau.
— Tu t’imagines vraiment que ce genre d’argument est recevable ? Dis-je, en hurlant comme une
harpie. Tu viens de me prouver que tu avais l’intention de me le cacher.
— Eh bien, pas vraiment…
Il m’adresse un sourire malicieux. Je ne peux m’en empêcher, je le lui rends.
— Christian, mais qu’est-ce que je vais faire de toi ? Dis-je en gémissant.
Il s’approche de moi d’un pas prudent et me tend la main. Je la prends. Il m’ouvre la paume et y
dépose un baiser ardent.
— Fais de moi ce que tu veux, Mrs Grey. Je t’appartiens, dit-il doucement.
Ses yeux sont devenus d’un gris incandescent, ils brillent d’amour et de passion. Non, pas encore.
Mon cerveau envoie à mon corps un ordre ferme : résiste. Parce que déjà, tout mon être fond au contact
de Christian, sous son regard, et il le sait. Il connaît l’effet qu’il a sur moi. Il en use… il en abuse, ricane
ma conscience, en me jetant un regard sévère.
D’un geste brusque, je récupère ma main.
— Christian, il faut que tu comprennes, ce n’est pas bien. Si tu n’es pas d’accord avec moi, tu dois
m’en parler.
— Mais je l’ai fait, proteste-t-il.
— Oui, c’est vrai, et quand nous avons trouvé un accord qui ne te convenait pas, tu t’es empressé
de le rompre sans me le dire. (Je lève les yeux au ciel.) Crois-tu vraiment que ce soit le genre de
compromis que John t’a conseillé ?
Il baisse la tête, les épaules voûtées, il semble avoir quatorze ans.
— Tu as raison. Je suis désolé.
— Ce n’est pas si grave, dis-je, j’espère au moins que tu comprends pourquoi je ne suis pas
d’accord.
Il me jette un coup d’œil méfiant, je vois le conflit sur son visage.
— Tu crois vraiment que ce n’est pas une bonne idée ? Chuchote-t-il.
— Christian, Teddy va déjà rencontrer d’énormes difficultés à cause du nom qu’il porte.
Christian me jette un regard affolé.
— À cause de moi ? Parce que je suis son père ?
— Oui et non. Pas comme tu l’imagines.
Tendant la main, je caresse son merveilleux visage, en cherchant à le rassurer.
— Tu es un père merveilleux. Teddy a beaucoup de chance. Mais tu es aussi un homme
immensément riche et tous les yeux de Seattle sont braqués sur toi.
Christian m’adresse un sourire penaud. Je continue :
— De ce fait, Teddy ne saura jamais si les gens l’apprécient pour ce qu’il est ou pour le nom qu’il
porte. Rares seront les gens vraiment sincères envers lui, il devra se méfier et apprendre des erreurs qu’il
commettra. Tu comprends ?
J’embrasse son front plissé.
— Oui, je sais et je l’accepte. Mais qu’est-ce que ça change alors si je…
Je l’interromps en le regardant droit dans les yeux, parce que je ne peux pas céder sur ce point-là.
— Ça change. Je veux autant que possible que Teddy fasse son chemin seul dans le monde. Je ne
veux pas l’élever dans une bulle stérile et isolée. Il sera parfaitement bien dans une école maternelle
sans statut particulier… (Je fronce les sourcils,) et c’est valable pour nous deux. Teddy est un enfant
brillant, curieux, amical, il a des parents qui l’adorent et qui le soutiennent. Il n’a besoin de rien d’autre.
Fais-moi confiance.
Mon très cher mari pèse tous ces arguments durant un moment, ses yeux gris fouillent les miens
tandis qu’il cherche à s’adapter à un point de vue qui ne lui correspond en rien. Il a tellement besoin de
contrôle ! Finalement, il cède.
— D’accord. Je te fais une confiance absolue, baby. Mais tu sais, je veux juste que notre fils reçoive
le meilleur.
— Je sais. Je t’aime.
Tandis que Christian hoche la tête, tout son corps se détend. Puis il baisse les yeux vers le dossier
par terre.
— Tu veux que je le jette ? Ou préfères-tu que je recycle tout ce papier ?
Il ricane, en se souvenant de mon élan environnemental.
— Je préfère que ce soit recyclé, dis-je, d’un ton hautain.
— Comme tu veux, Mrs Grey.
Se penchant, il récupère le dossier d’un bras et glisse l’autre autour de ma taille. Il me ramène vers
la maison. Il s’arrête tout à coup pour me regarder.
— Un moment, j’aimerais quand même savoir pourquoi tu as été fouiller dans mon armoire.

Comme d’habitude, je rougis sous son regard intense – surtout en me souvenant de mes motivations.
Pétard, est-ce que je réussirais un jour à ne pas m’empourprer comme une gamine au moindre prétexte ?
— En fait, Mr Grey, c’était pour t’apporter un petit… cadeau.
Christian lève un sourcil interrogateur. Je rougis encore plus.
— J’avais cru que ce serait amusant que tu découvres ce… euh… cadeau de façon impromptue. Il
est parfois difficile de te sortir de ton bureau.
Je lui jette un regard timide. Il écarquille les yeux quand il finit par comprendre, puis il a un grand
sourire de connivence.
— J’adore ta façon de penser, Mrs Grey.
Se penchant vers moi, il m’embrasse profondément et mordille ma lèvre inférieure. Je gémis dans sa
bouche. Il dépose un chemin de baisers sur ma mâchoire jusqu’à mon oreille.
— Dans ce cas, chuchote-t-il, je pense aller remettre ce dossier dans mon bureau et vérifier dans
mon armoire s’il n’y a pas…
Sa main glisse jusqu’à mes fesses, puis plus bas, sous l’ourlet de ma jupe, remonte le long de ma
cuisse.
— … quelque chose d’intéressant dont je dois m’occuper de toute urgence.
Quand il s’écarte de moi, je le regarde, le souffle court.
— Après toi, Mrs Grey, déclare Christian qui m’ouvre la porte-fenêtre.
Je pénètre dans la maison, cherchant à récupérer mes esprits, j’ai le cœur qui tape, le sang qui
bouillonne. Je réalise que ma jupe est restée relevée, aussi je la lisse en passant les mains sur mes
hanches. Le regard brûlant de mon mari suit le moindre de mes gestes. Hmm, ma déesse intérieure est
déjà en train de danser la samba. Quant à moi, ma démarche ne se fait plus langoureuse…
Je suis récompensée de mes efforts par le grondement de fauve qui résonne dans mon dos. Puis
quelque chose de lourd me heurte violemment les fesses.
Il me semble qu’il s’agit d’un énorme dossier très pesant.
Accablant !

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