Le Grace II

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17 juin 2017
Christian
Me voici donc dans mon 4x4, avec Ana et des enfants, en route pour la marina où se trouve mon
catamaran. À l'avant, Garcia est au volant, Cusco à ses côtés. Sawyer est parti le premier dans une autre
voiture, celle que Cusco conduisait ce matin pour venir à GEH. Je me demande ce que font Taylor et sa
femme... Ils ont prévu passer la semaine au nord de Coos Bay161, dans un pavillon que leur loue un ami
de Taylor, Jim Henrys. Sont-ils déjà arrivés ? Oui, sans doute, il n'y a que six cents kilomètres après
tout.
Ted est muet d'admiration lorsque nous arrivons, il regarde les bateaux avec de grands yeux bleus
écarquillés. Je me souviens que sa mère avait la même expression, la première fois que je l'ai emmenée
ici... Jamais je n'aurais cru alors qu'un jour nous y reviendrions mariés, et accompagnés de nos deux
enfants.
Comme quoi l'avenir n'est pas toujours prévisible, Grey. Et parfois, c'est une bonne chose.
Comme prévu, nous nous garons devant chez Dante pour déjeuner. Il nous accueille avec naturel et
chaleur. Aussi imposant qu'il soit, sa gentillesse innée plaît aux enfants, qui lui sourient sans crainte.
Dante nous conduit à l'arrière de son bar, une salle bien trop grande pour quatre, mais c'est sans
importance. Je suis satisfait : nous avons une porte-fenêtre sur le mur du fond et une sorte de ponton
privatif en bois donnant sur le côté de la bâtisse préfabriquée. Un des agents - Garcia - prend poste à
l'extérieur, les deux autres gardent la seule porte d'accès. Ana et moi commandons la soupe de fruits de
mer, spécialité de la maison, avec une bière Adnams Explorer. Pour les enfants, nous préférons un Fish-
and-Chips162 et du soda.
Pendant le déjeuner, je pose à Ana quelques questions sur ce qui s'est passé durant les deux jours de
mon absence, Ted embraye immédiatement sur la fabrication de son cadeau en classe, la façon dont son
ami Pedro a cassé la vitre de son cadre, sur le fait qu'une dénommée Emma voulait avoir son arbre rose,
rouge et orange, etc. Son babillage ne l'empêche pas de vider son assiette, sa mère et moi l'écoutons
avec un sourire amusé. Très vite, Phoebe en a assez de rester assise, elle demande à descendre et
commence à explorer la pièce, en passant sous toutes les tables. J'espère que Dante fait régulièrement
le ménage ! D'un autre côté, elle ne risque rien, pourquoi ne pas la laisser se salir ? Elle ne porte pas
exactement la tenue idéale pour aller en bateau ; j'espère qu'Ana a pensé à un petit gilet.
J'envoie un SMS à mes agents, probablement occupés à l'heure actuelle à sécuriser le bateau, en leur
réclamant d'acheter de l'écran total et quelques paquets de biscuits secs à la boutique de la marina. Je
demande aussi à Dante un pack de bouteilles d'eau à emporter...
Nous ne resterons pas longtemps sur le Grace cet après-midi, les enfants sont encore petits. Cette
année, c'est la première fois que je sortirai avec mon catamaran. Merde ! Autrefois, je travaillais l'essentiel de mon temps (avec des week-ends bien occupés), mais je me réservais du temps libre pour
la voile ou le vol à voile. La vie de famille est un véritable chronophage !
Est-ce que tout va bien se passer ? Je sais qu'Ana a le pied marin, mais je n'ai jamais eu l'occasion
de tester Ted et Phoebe. J'envoie un autre SMS à Sawyer pour réclamer de la nautamine, dosage enfant.
Nos trois agents de sécurité ont mangé, l'un après l'autre, au bar de la salle principale. Je réclame
l'addition et, peu après, nous faisons à Dante nos adieux.
Ensuite, main dans la main, Ana et moi tenant chacun un des enfants, nous allons à pied jusqu'au
quai où est amarré le Grace. Je respire à pleins poumons. Que j'aime cette sensation : le vent qui souffle
du large, le bleu du ciel, l'ivresse de la balade à venir... Je me sens si bien, si libre, quand je suis perdu
dans l'immensité de l'océan.
Ana est pétillante d'animation et de plaisir. J'aime le côté changeant de sa nature : tout à l'heure, à
GEH, elle était mal à l'aise, timide, rougissante ; à Grey Publishing, elle est un PDG ayant confiance en
ses capacités, en ses choix d'édition ; dans mon lit, elle est une déesse aux multiples figures, soumise
parfois, sensuelle toujours ; et là, elle redevient une jeune maman insouciante et heureuse, rien d'autre.
Au bord de l'eau, je soulève Phoebe dans mes bras et l'assois au creux de mon coude. Elle a les traits
de sa mère. Parfois, en la regardant, j'imagine Ana au même âge. Tout à l'heure, dans la voiture, ma
femme m'a raconté comment Phoebe avait trébuché dans le hall de GEH, devant la salle de réunion. J'ai
éclaté de rire. Ma fille serait elle-aussi maladroite ? Je n'oublierai jamais ma première vision d'Ana, à
quatre pattes, dans mon bureau. Elle considère cette chute comme plutôt vexante, mais ce n'est pas mon
cas. Au contraire ! C'est l'un des plus beaux souvenirs de ma vie. Il a marqué la première heure du
premier jour de ma nouvelle existence A.A. Avec Anastasia.
Ana aime la voile presque autant que moi. J'avais commencé à lui donner des leçons de voile de
façon ce qu'elle devienne un bon mousse, mais avec deux grossesses successives et deux jeunes enfants,
elle n'a pas pu mettre en pratique mon enseignement.
Les enfants sont impressionnés devant mon catamaran, un des plus gros de la marina et, à mes yeux,
le plus beau. Ils ne peuvent en discerner les spécificités techniques haut de gamme, mais le Grace II,
comme sa version précédente, a été construit ici, dans mon chantier naval de Seattle, d'après les plans
de mes meilleurs ingénieurs.
- Super bateau ! Déclare Ted.
C'est un bon résumé. À nouveau, j'éclate de rire, j'avais dit exactement la même chose à Ana, il y a
quelques années.
- Bravo, tu as l'œil. Le Grace II est incontestablement un « super bateau ».
- Le Grace ? S'étonne-t-il, les sourcils froncés de perplexité.
- C'est le nom de mon catamaran.
- Il s'appelle comme grand-mère ? Mais c'est UN bateau, papa, pourquoi tu ne lui as pas donné
le nom de grand-père, ou le tien, ou le mien ?
- Parce que pour un marin, un bateau est toujours une femme, aimée passionnément.
Je cligne de l'œil en direction d'Ana... qui bien entendu, rougit, comme je m'en doutais
Dès que nous montons à bord, Simon Cross émerge de l'escalier menant au carré. Je le salue, puis je
lui présente ma femme et mes enfants, en faisant de mon mieux pour que ma fierté ne se voie pas (trop).
Je trouve encore étrange de ne plus voir Liam McConnell - surnommé Mac -, le vieil Irlandais autrefois
responsable de mon précédent catamaran. Il a pris sa retraite, et il me manque. Cross a soixante ans, il

Livre 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant