Lundi 3 mars 2014
Christian
Taylor vient de me prévenir après avoir reçu un appel de Muňerez : Elliot est parti en catastrophe à
Northwest Hospital où sa femme vient d’être conduite, inconsciente. Prise dans une manifestation, elle
aurait inhalé des gaz lacrymogènes. Je suis consterné. Depuis notre séjour à Aspen, entre Noël et jour
de l’an, il y a un froid entre mon frère et moi. À cause de la Walkyrie, bien entendu ! Quelle idée de
faire du ski enceinte de plusieurs mois ? Elliot était d’accord avec moi, sur le principe, mais il a été pris
entre le marteau et l’enclume, parce que Kate ne veut renoncer à rien, malgré son état. Dire que je
trouvais Ana rebelle et inconsciente de travailler étant enceinte ! Rester assise dans le bureau d’une
maison d’édition n’a rien à voir avec ce que fait ma belle-sœur. Du journalisme d’investigation ? Mon
cul ! C’est une addict à l’adrénaline, un point c’est tout.
Je quitte Broadview en catastrophe, Taylor sur les talons. Ana ne peut m’accompagner, elle doit
rester à la maison avec Teddy. Gail ne travaille pas aujourd’hui, elle assiste aux obsèques d’une amie
de sa famille…
***
A l’hôpital, je retrouve Elliot dans le couloir, devant le bloc opératoire. Il paraît perdu, effondré, le
regard vide. Le voir ainsi me flanque un choc. Alors que je m’approche de lui, j’entends une femme –
une infirmière – crier :
— Dépêchez-vous, la patiente est en arrêt cardiaque…
S’agit-il de Kate ? Une civière où se trouve un(e) patient(e) couvert(e) d’un champ opératoire entre
au bloc, encadrée de médecins et de personnel hospitalier. Tous portent un masque, mais je reconnais la
blondeur du Dr Greene. Je n’ai pas le temps de m’attarder sur l’identité des autres, mon frère vacille.
Taylor intervient le premier en le retenant par un bras. Je me place de l’autre côté en disant :
— Viens, Elliot. Viens t’asseoir !
J’essaie d’oublier mes craintes concernant Kate – elle risque de perdre son enfant, sinon sa vie !
Elliot a besoin de moi. Pour lui, je dois rester calme.
— Christian ? Que fais-tu là ? bredouille-t-il avant d’enchaîner, enragé : Kate est là-dedans…
Je le force à s’asseoir, conscient que sa colère est un exutoire dont il a besoin pour ne pas devenir
fou. J’ai une grande habitude de ce genre de comportement.
Elliot semble oublier se trouver dans un hôpital.
— Pourquoi je ne suis pas avec elle ? hurle-t-il. Elle a besoin de moi !
Il voudrait être avec ma femme, l’aider de son mieux… Je comprends son désir et son sentiment
d’impuissance. J’ai éprouvé les mêmes il y a deux mois quand Ana a fait son hémorragie. Grace était
avec moi, j’entends encore sa voix : laisse les médecins faire leur travail…
C’est ce que j’explique à Elliot : il ne peut pas être au bloc, il doit patienter – et attendre en craignant
le pire… Mon frère m’écoute à peine, il blêmit :
— Et si elle perdait l’enfant !
Il pousse un râle d’agonie qui m’arrache le cœur et s’accroche à mon bras :
— Si Kate et le bébé ne s’en sortaient pas, Christian ?
Avant que j’aie pu répondre, il me lâche et laisse tomber sa tête dans ses mains, les coudes sur les
genoux, sans doute pour me cacher ses larmes. Très ému, je pose la main sur son épaule. Comment le
réconforter ? Comment lui redonner espoir ? Attends un peu… La Walkyrie est une guerrière, pas vrai
? Elle est mieux armée que quiconque pour se battre !
— Elliot, dis-je, à mi-voix, Kate est forte. C’est la femme la plus tenace que je connaisse…
Je n’ai jamais considéré ce trait de caractère comme une qualité, mais aujourd’hui, pour survivre,
Kate en aura besoin. Elliot aime sa femme, c’est évident. Je sais qu’il a insisté pour avoir un enfant
d’elle, il ne se pardonnerait pas un accident… Et même moi, il me semble que la vie ne serait pas aussi
savoureuse sans ma « meilleure ennemie »…
Elliot sanglote de plus belle. Je jette un coup d’œil féroce autour de nous : je ne veux pas qu’on voie
mon frère aussi effondré.
— Fais confiance à ta femme. Elle va s’en sortir.
Pour faire réagir Elliot, je le traite de mauviette. Ça marche : il relève la tête et esquisse un pauvre
sourire. Il me semble voir naître un peu d’espoir sur son visage.
— Ouais, t’as raison, frangin.
Il veut aussi savoir s’ils vont sauver le bébé ? Je ne suis ni médecin ni voyant, mais à l’heure actuelle,
je me sens prêt à affirmer n’importe quoi pour réconforter mon frère.
— Si cet enfant est bien celui de sa mère, aucun souci ! C’est un battant, et si tu veux mon avis,
t’es mal barré avec les deux à la maison, Lelliot !
Un homme débraillé pénètre alors dans le couloir où nous attendons. Je tourne la tête, furieux, mais
je vois Muňerez saluer l’intrus d’un geste de la main. Il le connaît ? En y réfléchissant, moi aussi, j’ai
déjà vu cette tête quelque part…
— Elliot, comment va-t-elle ? demande le nouveau venu à Elliot.
— Je ne sais pas, ils ne veulent rien nous dire…
Mon frère se relève et fait les présentations Dan ? Oui, Dan Carter. J’ai vu son nom dans le dossier
de ma belle-sœur, il travaille avec elle au Seattle Times. C’est donc est lui qui a prévenu Elliot. Voilà
qui m’intéresse : je veux savoir ce qui s’est passé ! Dan nous explique d’une voix enrouée avoir été avec
Kate interviewer un leader syndicaliste, ils ont été pris dans un mouvement de foule et Kate est tombée.
Dan la mise à l’abri avant de prévenir la police, puis le 911. Lui aussi a inhalé des gaz lacrymogènes.
Elliot n’est pas content.
— Putain, je savais qu’elle n’aurait jamais dû aller travailler.
Il enchaîne, comme s’il se parlait à lui-même :
— Elle a des contractions depuis plusieurs semaines, le Dr Greene lui avait demandé de faire
attention et ralentir le rythme.
— Pourquoi n’as-tu pas exigé qu’elle se repose ?
— J’ai essayé, nous nous sommes disputés, elle était tellement en colère… J’ai considéré que ce
n’était pas bon dans son état… Alors, j’ai capitulé. Encore ! Et merde !
Dan paraît presque coupable. Il explique qu’il n’y avait pas d’autre équipe disponible, que Kate et
lui se sont retrouvés là au dernier moment. Il n’était pas prévu que la manifestation dégénère. Il parle de
casseurs mêlés aux manifestants. Il évoque sa carte de presse. Oui, ce connard est aussi journaliste !
Je lui jette un regard glacial, mais Elliot lui serre la main avec émotion en le remerciant d’avoir sauvé
sa femme. Dan remonte un peu dans mon estime lorsqu’il refuse de rentrer chez lui, il préfère attendre.
Est-ce qu’il compte prendre des notes pour son futur article ? Sinon la rubrique funèbre ?
Arrête tes conneries, Grey !
Elliot se met à arpenter le couloir ; moi, je consulte mon téléphone et envoie les nouvelles à Ana.
Elle doit se faire un sang d’encre ! Ce n’est pas bon dans son état. Foutue Kavanagh ! Même à moitié
morte, c’est une vraie chieuse !
Je relève la tête quand les portes s’ouvrent, un groupe de quatre personnes sort du bloc derrière une
civière… non, une couveuse. Est-ce le bébé de mon frère ? Je n’ai pas le temps d’aller vérifier, ils se
sont déjà tous engouffrés dans l’ascenseur. Une jeune femme en blouse chirurgicale s’approche de nous.
— Mr Grey ?
Bien entendu, je réagis, mais c’est à Elliot qu’elle s’adresse. Il va vers elle, le visage blême. L’interne
nous apporte enfin des infos, elle parle d’une voix calme, professionnelle, sans réaliser que mon frère
reçoit ses mots comme une rafale de mitraillette. Le Dr Greene a pratiqué une césarienne d’urgence ; le
Dr Pratt – qui c’est, celui-là ? – a emmené le bébé en néonatalogie, aux soins intensifs ; le Dr Douglas
– encore un inconnu – va procéder à une opération pour évacuer le caillot qui a provoqué une thrombose
puis l’embolie pulmonaire.
Merde ! Combien de médecins sont actuellement au bloc à s’occuper de Kate et de son bébé ? C’est
quoi, une thrombose ? C’est quoi, une embolie pulmonaire ? Et pourquoi « pulmonaire » ? En quoi les
poumons sont-ils concernés durant un accouchement ? S’agit-il d’une séquelle des gaz lacrymogènes ?
J’ai des questions à poser, mais je ne peux pas, j’ai la gorge trop nouée. Tout comme Elliot.
— Votre mère vous expliquera tout dès qu’elle le pourra, ajoute l’interne.
Qui ? Grace ? Grace est au bloc elle aussi ? Elliot semble aussi sidéré que moi de l’apprendre.
Je suis rassuré : Grace veillera à ce que Kate reçoive les meilleurs soins. J’aurais dû réaliser plus tôt
combien il était étrange de ne pas la voir à nos côtés : après tout, elle travaille dans cet hôpital. Quand
l’interne retourne au bloc, Elliot se pose la main sur les yeux, comme égaré. Je m’apprête à le rejoindre
quand Mia arrive en courant, suivie de son agent de sécurité. Ce couloir devient trop encombré. Un vrai
hall de gare ! D’un signe de tête, je demande à Taylor d’écarter John Ritchie.
Mia pleure comme une madeleine, dans les bras d’Elliot, qui la réconforte maladroitement.
— Ethan arrive, ses parents également, bredouille Mia.
Tous les Kavanagh ? De mieux en mieux ! Bien sûr, il s’agit de leur fille et sœur… et du premier-né
de la nouvelle génération … Ma sœur, affolée, veut savoir ce qui s’est passé. J’interviens, en l’écartant
d’Elliot. Il n’a pas besoin de ça, bon sang !
Je lui fais un résumé de la situation. Du coin de l’œil, je vois Taylor parler avec une infirmière. Il
semble y avoir un problème. Quoi encore ? Quand le chef de ma sécurité revient vers moi, je l’interroge
du regard.
— Mr Grey, ils n’ont pas de salon privé à cet étage. Que voulez-vous faire ? Attendre ici, dans le
couloir, ou descendre dans un autre service ?
Je sais que Taylor n’est pas content : les lieux ne sont pas faciles à sécuriser. Mais c’est à Elliot de
choisir. Mort d’inquiétude, il doit s’imaginer que nous parlons de l’état de sa femme. Je lui explique le
problème.
— Je reste ici, près de Kate, décide-t-il. Je ne bougerai pas tant qu’elle ne sera pas sortie du bloc.
Allez-y si vous voulez, moi, je reste ici.
Mia lui prend gentiment la main et affirme qu’elle restera aussi. Les Kavanagh arrivent en groupe
quelques minutes plus tard. J’envoie un nouveau SMS à ma femme, lui expliquant ce qui se passe,
pendant qu’Elliot fait un bref compte-rendu à ses beaux-parents. Ils parlent tous à voix basse, comme si
énoncer à voix haute leurs inquiétudes risquait de les réaliser.
— Où est Ana ? s’étonne Mia.
— Elle est restée à la maison surveiller Teddy… Où est papa ?
Je viens de réaliser que Carrick ne nous a pas encore rejoints.
— Il plaide au tribunal, tu sais bien qu’il est injoignable dans ces cas-là. Je lui ai laissé un message.
***
Il est 19 heures lorsque Grace sort du bloc, l’air épuisée. En la voyant, Elliot a comme un vertige, je
l’empêche de s’écrouler. Maman s’empresse vers lui. Elle l’embrasse et le rassure :
— Elliot, ça va, mon grand. Tout va bien se passer maintenant.
Diane s’approche à son tour, en larmes, pour implorer des nouvelles. Maman parle de « détresse
respiratoire », elle remercie Dan de sa réaction rapide qui a évité le pire. Bien que Kate ait reçu de
l’oxygène dans l’ambulance, elle a fait une thrombose – j’apprends enfin de quoi il s’agit : un caillot de
sang qui migre dans les poumons. Du coup, sa mère était en détresse respiratoire, le bébé en souffrance
fœtale. Je suis sous le choc en écoutant ce compte rendu. Je ne suis pas le seul : tous les visages qui
m’entourent sont livides.
Grace continue à parler dans un silence de mort :
— J’ai été appelée par mon confrère, quand il a vu le nom de la patiente sur la fiche. Ross Douglas
est un pneumologue réputé. (Elle soupire.) Devant l’urgence de la situation, il m’a demandé
l’autorisation d’opérer.
En l’absence d’Elliot, ma mère a convoqué d’autres spécialistes : le Dr Pratt, du service pédiatrie et
néonatalogie ; le Dr Greene…
— Le bébé est né il y a trois heures, conclut-elle. Elliot, tu es papa d’une petite fille.
Un soupir soulagé s’élève de toutes les poitrines. Une fille… Elliot a une fille. Je m’apprête à le
féliciter, mais Diane Kavanagh est la première à l’atteindre. Elle pleure. Une vraie fontaine ! Elle n’a
plus rien d’une reine des glaces. Quant à Elliot, il paraît perdu… Je le comprends ! Je me souviens de
mon état à la naissance de Ted, tout se mélangeait : euphorie affolement, émotion…
Je sors mon BlackBerry pour prévenir Ana. En même temps, j’écoute la suite des informations de
Grace. Le bébé est prématuré, mais rien d’inquiétant. Il est en couveuse aux soins intensifs. Quant à
Kate, ses opérations se sont bien déroulées : après la césarienne, le Dr Douglas a ponctionné le caillot
pour résorber l’embolie. Elle en a fait des tonnes, à son habitude, Grey ! Les toubibs ont décidé de la plonger dans un coma artificiel pour lui laisser le temps de récupérer. Excellente initiative, elle serait
capable de tenter une interview…
— Merci, maman, souffle Eliot.
— C’est normal, Kate est de la famille…
Ding. Ana vient de me répondre. Je lis son SMS pendant que ma mère continue à rassurer mon frère.
— Demain, nous baisserons les doses de sédatifs pour lui permettre de se réveiller tranquillement.
— Je peux la voir maintenant ? demande Elliot.
Non. Il ne peut pas, Kate est en atmosphère stérile et bla-bla-bla… Oh merde, une réponse pareille
me foutrait sacrément en rogne. Je surveille la réaction d’Elliot : il semble juste assommé. Keith
demande sèchement à voir le bébé, mais ce n’est pas possible non plus. Grace nous indique que Kate
sera bientôt transférée au service pneumologie, où il y a une salle d’attente. Pourquoi ne pas nous y
rendre ? Cette suggestion me paraît sensée. Et Taylor apprécia.
— D’accord, maman. Nous descendons en pneumologie.
Personne ne bouge. Bon, je prends le mari éploré par le bras pour amorcer notre migration.
— Viens, Elliot.
Il se laisse faire, hébété.
***
Papa nous rejoint vers 19 h 30, le visage marqué par l’angoisse. C’est Keith Kavanagh et moi-même
qui le mettons au courant, maman a disparu et Elliot est HS. Je laisse les deux grands-pères en tête pour
retourner me rasseoir.
Dan Carter est le premier qui prend congé d’Elliot. La salle d’attente se vide peu à peu. Ethan réveille
Mia qui dormait, et part avec elle, tout en promettant de revenir d’ici peu. Diane, Keith, Carrick les
suivent.
— Rentre chez toi, frangin, souffle Elliot. Va retrouver ta femme et ton fils.
— Non.
Je l’informe qu’Ana passerait demain. Nous venons de nous engueuler au téléphone. Elle n’est pas
contente d’être laissée en plan, j’ai dû lui promettre qu’elle pourra venir demain au Northwest Hospital
& Medical Center demain, pendant sa pause-déjeuner. Je n’aime pas l’idée qu’elle soit soumise à un tel
stress, dans son état, mais Kate est sa meilleure amie, j’ai dû transiger – trouver un « compromis »
comme dit le Dr Flynn. Merde. Bien sûr, je la comprends, puisque je tiens à soutenir moralement mon
frère, même si je ne suis pas certain qu’il ait toujours conscience de ma présence.
Elliot secoue la tête. Il a l’air perdu, malheureux. Je cherche à lui faire comprendre qu’il peut compter
sur moi.
— Je reste avec toi, Lelliot, je sais ce que c’est. J’ai déjà vécu ça, j’ai compris que c’est important
dans ces moments-là d’être entouré de sa famille.
Il hoche la tête en silence. Nous restons ainsi, à attendre. Il ne reste plus qu’Elliot, Taylor et moi dans
cette putain de salle.
Grace revient enfin et s’approche d’Elliot. Il blêmit.
— Maman… alors… ?
— Tout va bien, chéri. Kate est maintenant en réanimation, elle a quitté les soins intensifs. Tu
pourras bientôt aller la voir.
Elliot, assommé par la « bonne » nouvelle, mais tout reste relatif.
— Dieu merci ! souffle-t-il. Et la petite ? Comment va le bébé ?
L’état du bébé est encore critique. Merde ! Je serre les poings, impuissant à aider cette enfant. Je
déteste de ne rien pouvoir faire.
— Nous en saurons plus demain, dit Grace, avec un pauvre sourire. Elle doit passer un scanner et
des radios. Mais elle est forte, c’est une battante.
Je ricane malgré moi : maman et moi avons les mêmes arguments. Elliot est au même moment appelé
en salle de réanimation pour rendre visite à Kate. Je le retiens par le bras.
— Elliot, je vais aller dîner à Broadview avec ma femme et mon fils, je reviendrai ensuite.
— Christian, ce n’est pas la peine, je peux…
— Laisse tomber ! Je ne changerai pas d’avis.
Il soupire sans insister. Puis il disparaît dans un couloir. Je prends Grace dans mes bras.
— Tu sembles épuisée, tu devrais rentrer.
— Oui, Cary m’a donné le même conseil. Je crois que je vais le suivre. Je n’ai plus vingt ans – ni
trente, ni quarante hélas !
— Ne t’inquiète pas, maman, Lelliot ne sera pas seul. Taylor et moi veillerons sur lui cette nuit.
J’ai prévenu Welch, il y aura aussi un de ses hommes de garde cette nuit : Reynolds.
— Merci, chéri, dit-elle en m’embrassant.
***
La nuit est épouvantable ! Entre Elliot qui tourne en rond, ces putains de sièges et les hauts-parleurs
qui se déclenchent toutes les cinq minutes, je suis prêt à commettre un meurtre. Et il est à peine 5 heures !
Génial ! Taylor me jette un coup d’œil et quitte la pièce avec un signe – du pouce, il se désigne la v
bouche. Il va chercher du café ? Bonne idée, mais celui de la cafétéria est imbuvable. Je le sais
d’expérience.
Soudain, Elliot fait un bond et se redresse en disant :
— Salut, frangin. Bien dormi ?
Il est con ou quoi ? J’aboie hargneux :
— Comment veux-tu dormir sur ces putains de siège ?
Mon frère soupire en levant les yeux au ciel. Il sort sans un mot, sans doute pour demander des
nouvelles. Il n’y en a pas, mes hommes m’auraient prévenu.
Taylor revient avec quatre gobelets de café Starbucks dans une barquette en carton. Comment a-t-il
fait ? Il y a trois coffee houses autour du Northwest, dont deux sur Aurora Avenue, mais pas à moins de
cinq cents mètres… C’est sans doute un des hommes de Welch qui les a apportés, celui qui va relever
Reynolds. Je bois le breuvage encore fumant avec reconnaissance, je me sens presque devenir humain.
— Merci, Taylor. Il ne mange plus que les donuts.
— Ils n’étaient pas encore cuits, monsieur. J’y retournerai tout à l’heure.
Ray avait voulu un beignet en sortant de son hôpital, à Portland… je sors mon BlackBerry pour
envoyer un petit mot à Ana. J’espère qu’elle dort encore. Oh, baby, tu me manques…
Une infirmière revient au comptoir et examine notre petit groupe, elle a tout du sergent-major, e
particulier l’air pincé et vaguement réprobateur.
— Mr Grey ? dit-elle avec un fort accent canadien.
Elliot, lui, ne rit pas du tout.
— Oui, je suis le mari de Katherine Grey.
Chantal Du Tunnel – infirmière du service pneumologie – nous informe d’une voix de stentor que la
Walkyrie a passé une bonne nuit, ses constantes sont stables. Le Dr Douglas a jugé nécessaire de
prolonger le coma artificiel.
— L’organisme de votre femme a été mis à rude épreuve, Mr Grey. C’est la procédure habituelle.
Je vais vous conduire à son chevet, mais avant, vous devez respecter la procédure d’hygiène.
Elliot acquiesce, prêt à tout pour être au chevet de sa femme. Une chance pour moi qu’on ne m’ait
pas refusé ce droit quand Ana était dans le coma…
Un quart d’heure après, Taylor devient avec un petit déjeuner. Lorsque nous avons terminé, il
demande :
— Que voulez-vous faire ce matin, Mr Grey ?
— Je vais passer à GEH, Ross Bailey m’attend à 7 h 45 pour le report d’une réunion qui a été
annulée hier. Je me changerai sur place et je resterai jusqu’au déjeuner. J’ai prévenu Sawyer que Mrs
Grey viendrait rendre visite à Mrs Katherine Grey, entre 12 h30 et 13 h30… Rentrez à Broadview,
Taylor, vous n’avez pas fermé l’œil cette nuit.
— Je vais très bien, mon…
Nous sommes interrompus par une musique tonitruante qui émane de la chambre de Kate. Je
reconnais The Scientist, de Cold Play128. L’infirmière Du Tunnel-Virago arrive à toute blinde et ouvre
la porte. Comme elle ne la referme pas, je l’entends engueuler mon frère :
— Mr Grey, je sais bien qu’on vous a dit que stimuler les patients dans le coma peut être bénéfique,
mais là, tabouère129, vous allez réveiller les morts de la morgue !
Tabouère ? Je me mords les lèvres pour ne pas rire.
— Dois-je intervenir, Mr Grey ?
— Hum, non, qu’il se débrouille ! Merci, Taylor.
— Excusez-moi.
J’entends dans la voix d’Elliot un fou-rire nerveux. Lui aussi doit trouver cette femme grotesque.
Elle quitte la chambre avec une expression encore plus revêche. Diable, il manque une formation
« amabilité » dans les études d’infirmier au Canada !
Je préviens Elliot que je dois m’absenter ce matin pour retourner à GEH.
— Bien sûr, Christian, c’est normal. Et merci. Merci d’être resté avec moi.
Il semble ému, je crois même voir des larmes briller dans ses yeux. Merde, je n’aurais pas dû le
déranger. Je détourne la tête pour ménager sa pudeur.
Je croise les parents Kavanagh qui sortent de l’ascenseur au moment où je m’apprête à y monter.
Nous échangeons une poignée de main.
— Des nouvelles ? demande Keith.
Je désigne d’un geste Ms Virago, à son comptoir d’accueil.
— Voici l’infirmière qui s’est occupée de votre fille, elle vous renseignera mieux que moi.
— Merci, chuchote Diane, les yeux rougis par l’insomnie et les larmes.
J’ai de vagues remords de ne jamais avoir beaucoup apprécié cette femme.
— De rien, dis-je, mal à l’aise.
***
Ana
Je frappe doucement à la porte de la chambre de Kate.
— Entrez !
Houlà, quelle drôle de voix a Elliot ! Je passe la tête, désolée de le déranger, mais je tiens à voir Kate.
Depuis hier, je ne tiens plus.
— … Ana, viens, dit gentiment Elliot.
Il se lève et m’embrasse sur les deux joues, puis il fait quelques pas vers la porte et marmonne :
— Je vais te laisser avec elle.
Juste avant de sortir, il ajoute, faussement bougon :
— Et si tu arrives à faire entendre raison à cette tête de mule, je te serais reconnaissant !
Je lui souris, mais j’ai le cœur lourd. Je n’arrive pas à y croire. Kate l’indomptable est étendue là,
devant moi, immobile, reliée à des tubes, des moniteurs, des appareils sophistiqués et terrifiants. En
entendant ces « bip-bip », je suis projetée en arrière, de quelques années, quand papa a été blessé dans
un accident de voiture. C’était la veille de mon anniversaire, en septembre 2011. J’ai passé des heures
épouvantables à son chevet, sans savoir s’il reprendrait conscience, s’il marcherait, s’il serait vraiment
lui-même. Je retrouve aujourd’hui la même peur, le même sentiment d’impuissance, en regardant Kate,
mon amie, ma sœur, ma seule confidente à l’université pendant quatre ans.
Étrangement, ce que je ressens le plus fort, c’est une violente colère envers elle. Je dois serrer les
dents pour ne pas hurler. Christian m’a raconté que, durant mon coma après l’attaque de Jake Hyde, tous
les membres de nos familles et nos amis ont défilé dans ma chambre, chacun apportant son lot de
consolation – paroles d’espoir et soutien à mon mari éploré. Sauf Kate… Elle était furieuse ! Furieuse
contre Christian, contre moi, contre le monde entier. À l’époque, j’avais été un peu choquée de sa
réaction, mais aujourd’hui, je la comprends. Seigneur, mais pourquoi, pourquoi s’est-elle délibérément mise en danger ? Pourquoi a-t-elle couru des risques inutiles en se rendant à une manifestation ? Elle est
enceinte, elle aurait dû penser à son bébé…
Ma conscience intervient avec un ricanement de banshee :
Ah, ah, ah ! C’est l’Hôpital qui se moque de la Charité ! persifle-t-elle. Tu étais également enceinte
de Teddy, je te le rappelle, en acceptant de rencontrer Jake Hyde. Et tu savais qu’il avait envers toi de
mauvaises intentions. Tu ignores tout de la situation de Kate. Je ne la juge pas. Tu n’en as pas le droit.
Et alors ? La colère n’a rien à voir avec le droit ou le bon sens… En fait, c’est à moi que j’en veux :
je n’ai pas été très présente durant la grossesse de mon amie. Nous nous sommes vues souvent, mais en
groupe. Depuis quand n’ai-je pas téléphoné à Kate ou passé un moment avec elle ?
Depuis le jour où elle a débarqué chez toi après s’être disputée avec Elliot…
J’ignore ma conscience – toujours à se mêler de ce qui ne la regarde pas, celle-là ! Je me souviens,
c’était le mois passé, Christian revenait de New York… Kate et moi avons mangé de la glace Ben &
Jerry, mais je sentais l’impatience de mon mari, qui voulait être seul avec moi. Et comme d’habitude, je
lui ai donné la priorité.
Je suis une amie épouvantable !
Une idée me vient soudain : quand j’étais dans le coma, j’ai perçu des échos ce qui se passait autour
de moi ; c’était assez vague et les voix me parvenaient déformées, j’étais comme perdue dans une sorte
de brouillard blanc… mais je savais qui se trouvait à mes côtés, dans ma chambre. Est-ce la même chose
pour Kate ? M’entend-elle ? Me comprendra-t-elle si je lui explique tout ce que j’ai sur le cœur ?
— Kate ?
Mais enfin, Anastasia, tu es débile ou quoi ? Elle est dans le coma, comment veux-tu qu’elle t’entende
dans le brouhaha des instruments médicaux si tu parles aussi bas ?
Je hausse le ton :
— Kate ?
Rien, aucune réaction, même pas un frémissement de ses paupières. Et là, d’un coup, je perds la tête :
— KATHERINE AGNES KAVANAGH ! Ne t’avise pas de mourir, je ne te le pardonnerai
jamais. Je t’ai laissé faire quand tu portais ce ridicule pyjama en pilou après une rupture, parce que je
savais que tu allais bientôt te reprendre, réagir, rebondir et retrouver ta pugnacité. Franchement, cette
chemise d’hôpital est encore pire ! Kate, réveille-toi, s’il te plaît…
Je regarde vivement autour de moi : personne. Christian a accepté de me laisser seule un moment au
chevet de mon amie. Je ne sais pas où est Elliot. Le pauvre, j’ai eu un choc en le voyant : il a une mine
affreuse. Je ne suis pas certaine qu’il ait remarqué ma présence ; il paraissait en transe.
— Kate, arrête d’être aussi égoïste ! Debout feignante ! Pense à ton mari. Tu lui as fait peur, mais
maintenant ce n’est plus drôle. Bouge-toi !
Je lui prends la main, emmêle mes doigts aux siens, les pose contre ma joue.
— Kate, tu as un bébé, une petite fille. Je ne l’ai pas encore vue, les médecins ne veulent pas. C’est
à toi, sa mère, de la découvrir la première. Elle a besoin de toi. J’attends aussi une fille. Imagine un
peu… deux petites cousines !
Après une minute de silence, je continue :
— Je sais que tu es fatiguée, j’ai vécu la même chose, c’est difficile… Mais il faut que tu ouvres
les yeux. Tout le monde est là, Elliot, tes parents, Ethan et Mia, Christian…
Je ris nerveusement, entre deux sanglots.
— Tu ne t’entends pas très bien avec lui – et c’est la litote du siècle, je sais –, mais il était effondré
en apprenant ton accident. Non, non, non, ne crois pas qu’il t’accusait d’avoir fait passer ton métier
avant ton enfant, c’est moi qui l’ai pensé, pas lui. Christian ne l’avouera jamais, mais il a pour toi
beaucoup d’admiration. D’une certaine façon…
Houlà, je m’aventure sur un terrain miné. Mieux vaut revenir à un sujet plus sûr : Elliot.
— Et Elliot, hein, est-ce que tu penses à lui ? C’est le père de ton bébé, ton grand amour. Tu
prétendais que tu ne perdrais jamais la tête pour un homme, Katherine Kavanagh, tu te vantais d’être
une femme moderne, indépendante et autonome. Et regarde-toi ! Une vraie midinette dès qu’Elliot te
sourit. Tu veux mon avis ? Tu serais capable de traverser l’enfer pour lui…
Je m’interromps, horrifiée de l’image mentale créée par mes paroles.
— Euh, Katie, si c’est là que tu es… taille-toi et vite ! Même si c’est à plat ventre, en rampant,
reviens. S’il te plaît. Elliot a besoin de toi !
Malgré moi, je souris aussi en évoquant ce couple improbable : Kate et Elliot, la Walkyrie – comme
l’appelle Christian – et le Viking ; ils sont aussi beaux, blonds, et éclatants de vitalité l’un que l’autre.
Ils auraient pu se combattre, ils ont su s’accorder.
— Kate, réveille-toi. Réfléchis un peu à tout ce qui t’attend ici : un homme généreux et tendre ; un
homme qui t’aime et qui sait faire rire ; un homme beau comme un dieu avec des yeux d’un bleu plus
pur qu’un ciel d’été…
— De qui parles-tu ?
Je sursaute, d’un air coupable. Oups, je n’ai pas entendu Christian revenir. Il pose les deux mains sur
mon épaule, je me redresse pour presser ma tête contre son ventre.
— D’Elliot.
— J’avais compris, baby, je ne suis pas sûr d’apprécier que tu évoques mon frère comme « un
homme beau comme un dieu » !
J’entends à sa voix qu’il n’est pas vraiment fâché.
— J’essayais juste de convaincre Kate qu’il lui fallait se réveiller, Christian. Quand j’étais dans le
coma, je sentais ta présence et celle des autres à mes côtés. J’espère que c’est pareil pour elle.
— Sûrement… Écoute, baby, Elliot aimerait revenir auprès de sa femme, baby. Et puis, tu es
enceinte, il faut que tu te reposes. Viens, je vais te ramener à la maison…
— Mais non, pas question !
J’essuie les larmes qui me maculent les joues.
— Anastasia…
— Non, Christian, j’ai des obligations à Grey Publishing cet après-midi. Rien de fatigant, je te le
promets.
Ignorant le soupir exaspéré que pousse mon pauvre mari anxieux, je me penche sur Kate pour
l’embrasser sur la joue ; je lui chuchote :
— À très bientôt, Katie…
Alors que je m’apprête à quitter la chambre, je me fige sous le coup de la stupeur. Katie ? Pourquoi
Katie… ? Je n’ai jamais appelé mon amie Katie, elle est trop sûre d’elle-même pour un surnom aussi
enfantin. Le front plissé, je me retourne pour fouiller la chambre des yeux. Il y a comme une… présence.
Je ne vois pourtant que Kate sur le lit, ses moniteurs, sa perfusion…
Que c’est étrange ! Ce doit être la fatigue, le choc, l’émotion, que sais-je. Christian a peut-être raison :
il faudrait que je rentre à la maison. Les Grey n’ont pas besoin d’une autre invalide en ce moment. Je
vais quand même retourner au bureau, je suis P-DG à présent.
Des obligations… pfutt ! se moque ma conscience, sans me prendre au sérieux.
***
Christian
J’ai laissé Ana entrer seule dans la chambre de Kate, mon frère en émerge presque aussitôt. Il paraît
lessivé. Il a dû passer une matinée affreuse – la mienne n’a pas été de tout repos non plus. Je suis parti
en catastrophe de GEH, en abandonnant de nombreux dossiers urgents. J’ai d’autres priorités
actuellement.
Elliot me salue en marmonnant :
— Merci d’être venu avec Ana. C’est important pour Kate.
Comme si j’avais eu l’option de retenir Ana loin de son amie. Bon, je ne veux pas m’attarder sur le
manque de soumission de mon épouse adorée.
— Du nouveau Elliot ?
— Non, état stationnaire…
Il soupire et regarde autour de lui, il semble ne plus savoir où il en est ? Depuis quand n’a-t-il pas
dormi ?
— Dis, reprend Elliot en hésitant, comme s’il cherchait ses mots, tu restes… ici… avec Ana ?
Évidemment ! Je n’avais pas prévu d’aller courir les putes !
— Oui, pourquoi ?
— Je dois aller au service pédiatrie, pour savoir comment va ma fille.
Aucun problème. Je m’empresse d’affirmer à Elliot qu’Ana restera une bonne heure, elle et moi
avons prévu de déjeuner ici – et pas avec ce que fournit la cafétéria ! Elliot désigne l’agent de Welch,
toujours en poste devant la porte de sa femme. Il prétend que j’en fais trop.
— Il faudra qu’un jour, Flynn s’occupe sérieusement de ton cas, frangin.
Ce doit être l’épuisement qui le fait divaguer. Je ne me donne pas la peine de répondre. Si les vautours
de la presse débarquent au Northwest, Elliot sera bien content que Kate soit protégée.
Elliot n’est pas revenu quand il est l’heure pour moi de ramener Ana à Grey Publishing. Je hoche la
tête en retenant un ricanement satisfait : d’où l’intérêt d’avoir un agent de sécurité 24 heures sur 24 !
Ana et moi croisons Mia et Ethan devant l’ascenseur – décidément, cet endroit est le rendez-vous à la
mode !
— Salut, Ana !
Mia se jette sur ma femme comme un linebacker. Sous l’impact, Ana recule d’un pas.
— Mia, fais attention, elle est enceinte !
— Je sais, Christian, je sais !
Elle me jette un regard boudeur tandis qu’Ethan embrasse Ana. Je le surveille d’un œil étréci, surtout
quand il lui tapote le dos. Je n’aime pas les familiarités envers mon épouse. Elle est A MOI !
— Vous partez ! se lamente Mia. Nous n’aurons pas l’occasion de bavarder.
— Ana doit rentrer travailler, Mia. Elle a des obligations…
Et je ne supporte pas de la voir dans un hôpital, ça me rappelle trop de mauvais souvenirs !
— Comment va Elliot ? Il est au chevet de Kate ? s’enquiert Ethan.
— Il y a passé la matinée, mais là, il est au service pédiatrie, pour avoir des nouvelles de sa fille. Il
tient le coup, mais il est sacrément secoué.
— Oui… j’imagine.
Il y a sur le visage du frère de Kate une profonde émotion. Gêné, je me tourne vers ma sœur :
— Mia, je n’ai pas eu l’occasion de dire au revoir à Elliot. Salue de notre part, et dis-lui bien que
je repasserai à l’hôpital ce soir, en quittant GEH.
— D’accord ! Viens, Ethan…
Elle lui prend la main et part en courant. Quel vif-argent !
Un autre ascenseur arrive à notre étage, d’énormes gerbes de fleurs en émergent, comme portées par
des mains invisibles. Je fronde les sourcils ! Je croyais les bouquets interdits dans ce service, à cause
des risques d’allergie. Sinon, j’aurais fait envoyer aussi via Rainbow Flowers. Il faudra que je pose la
question ce soir à Elliot…
***
En fin d’après-midi, je suis de retour dans ce putain de service – que je ne peux déjà plus encadrer.
J’interroge Elliot dès que je vois.
— Alors ?
— Elle dort toujours. D’après les toubibs, c’est normal. Elle n’a pas d’infection. Ils lui ont enlevé
son tube, mais le réveil peut prendre quelques heures, elle a quand même subi une anesthésie générale,
deux opérations lourdes et un coma artificiel !
— Parfait, c’est encourageant.
D’après la tête que tire Elliot, il ne trouve pas. L’infirmière canadienne intervient et réclame mon
frère au service néonatalogie – qu’elle appelle Réa-Néo-Nat – pour signer des papiers pour le bébé.
— Tu as vu ta fille à midi ?
— Non, elle était en radio. Je vais peut-être enfin la voir !
Je sens bien qu’il est tenté d’y aller – mais l’idée d’abandonner Kate lui répugne. Il m’est facile de
l’aider sur ce coup-là.
— Vas-y, Elliot. Je reste là le temps que tu règles ces formalités administratives,
— Tu es sûr ? Cela ne te dérange pas de rester avec Kate ?
Me déranger ? Pas quand elle est KO, grand frère. Je secoue la tête sans faire de remarque
sarcastique. Elliot semble cependant se douter du tour qu’ont pris mes pensées.
— Soyez sages tous les deux, dit-il, faussement sévère. Ne vous étripez pas.
Il finit par s’en aller. Mon BlackBerry sonne, c’est Ros. Ce doit être urgent, parce que je l’ai prévenue
que je serai à l’hôpital. Au cours de notre réunion de ce matin, lundi, Ros et moi avons connu des
difficultés alors qu’il s’agit du simple rachat des avoirs d’une petite boîte d’engineering. Les gérants
actuels, Mr et Mrs Cochrane, sont de vraies nullités qui essaient de sauver leur poste.
J’écoute avec rage le compte rendu de Ros concernant les récriminations qu’elle vient de recevoir
par mail. Les Cochrane ont déjà renié nos accords passés il y a deux heures par téléphone ? J’ai exigé la
liste des dépenses des trois derniers mois, pas un secret d’importance nationale ! Et ils ne sont pas
capables de répondre à une demande aussi naturelle ?
— Ils prétendent que leur expert-comptable est actuellement en déplacement, ricane Ros.
— Rien à foutre. Je vais les virer, ces incapables ! Je veux la réponse dans une heure !
Je raccroche et commence à arpenter la pièce avec nervosité, une main dans les cheveux. Je ne
supporte pas les hôpitaux, le « bip-bip » des moniteurs me vrille les tympans. Et pire encore, je ne peux
même pas hurler pour faire baisser ma tension, il y a une femme inconsciente dans ce putain de lit.
Je me tourne vers elle avec suspicion : fait-elle exprès de ne pas se réveiller pour emmerder Elliot ?
— Merde, Kavanagh !
Elle ne répond pas, bien sûr, mais de grosses larmes coulent de ses yeux clos, le long de ses tempes.
Il me semble voir sa bouche frémir, comme si elle cherchait à parler. Oh merde ! Si Elliot n’est pas là
au moment où sa femme reprend conscience, il s’en voudra éternellement. J’ouvre la porte à la volée,
une infirmière qui passait dans le couloir fait un bond de lapin affolé – je ne dois pas avoir l’air très sain
d’esprit.
Je l’ignore pour m’adresser à Taylor s’est approché :
— Mr Gr… ?
— Allez chercher mon frère en Réa-Néo-Nat ! Tout de suite ! Sa femme se réveille ! Et appelez-
moi un médecin, immédiatement !
Revenant au chevet de la Walkyrie, je lui prends la main. Elle doit être déboussolée. Merde ! Que
puis-je lui dire pour l’aider ?
— Katherine… tu es à l’hôpital, tu as été opérée… euh, Elliot va arriver…
La porte s’ouvre dans mon dos. Je me retourne, ce n’est pas Elliot mais le pneumologue, Ross
Douglas.
— Mr Grey, s’il vous plaît, laissez-moi l’ausculter, dit-il.
Je lui laisse bien volontiers ma place.
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Livre 4
RandomQui domine les autres est fort. Qui se domine est puissant. * Être aimé donne de la force Aimer donne du courage Lao Tzeu FAMILLE Par FIFTY SHADES de GREY **** LIVRE IV