Réminiscences

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Christian
Il est midi 25 quand je me gare devant SIP. Taylor n'est pas avec moi - je l'ai envoyé déjeuner avec
Gail. Ils sont mariés, merde, ça me paraît normal qu'ils passent du temps ensemble. Pourtant, cet enfoiré
de Taylor m'a jeté un œil noir, comme si j'étais incapable de me déplacer sans lui. Peuh ! J'ai vécu seul
pendant des années. D'accord, j'étais moins connu qu'aujourd'hui, mais quand même.
J'ai vu le moment au Taylor allait discuter mes ordres. Au lieu de l'engueuler, je me suis entendu lui
promettre d'emmener Sawyer comme agent de sécurité. Je suis vraiment con ! Que risquons-nous, Ana
et moi, Chez Canlis ?
Je m'apprête à descendre de la voiture quand Anastasia sort, accompagnée de Sawyer. Ah, baby,
toujours impatiente ! Je suis garé juste devant la porte, elle n'a que le trottoir à traverser. Il n'y a pas de
journalistes, une chance. Ana est ravissante dans sa robe chasuble, même si son ventre proéminent
déforme sa silhouette. Mmm. Ma femme et mon fils. Je ne me lasserai jamais d'un tel spectacle.
Grey, et si tu descendais lui ouvrir la portière au lieu de bayer aux corneilles ?
Trop tard, Sawyer s'en occupe déjà. Je descends quand même, c'est lui qui va prendre le volant. Je
m'installe à l'arrière côté de ma femme.
- Bonjour, baby, dis-je en lui caressant les doigts.
Elle m'adresse un sourire éblouissant. Sa joie est si contagieuse qu'elle me monte à la tête, comme
un nectar enivrant. Je me penche pour l'embrasser sur les lèvres.
- Tu as faim ?
- Oui. Terriblement. Tu sais, cette activité cérébrale de la matinée m'a coûté beaucoup de calories.
- Vraiment ? Si je dois en croire un mail dénonciateur que j'ai reçu, tu n'as rien fait du tout. Tu
sais, je n'autorise pas mon personnel à se tourner les pouces durant les heures ouvrables.
- J'ai mis mes fleurs ravissantes dans des vases ! Proteste Anastasia.
- C'est très bien, baby, mais ce n'est pas ce qui va faire avancer l'édition à Seattle. En plus, tu as
osé parler au personnel de SIP de nos affaires privées !
J'essaie de prendre l'air sévère, mais je ne dois pas y réussir parce qu'Ana éclate de rire.
- Ils ne m'ont pas beaucoup aidée. Je suis déçue. D'après Hannah, des éditeurs devraient être
capables de bien manier les mots, les lettres, les énigmes.
Effectivement, dans son mail, Ana a évoqué les idées « abracadabrantes » de ses collègues -urgence,
acclamation, attirance, augmentation... À dire vrai, je suis impressionné qu'elle ait réussi à déchiffrer
mon rébus. Moi, je n'y suis pas arrivé en attendant Andrea ce matin. Peut-être Ana se souvenait-elle de
la date après tout... ?
- Tu te souvenais de la date, baby ?
- Pas vraiment. Tu sais, je ne suis pas très chiffres. Je savais que c'était début mai, peu avant mes
examens. Oh Christian ! Je n'oublierai jamais cette journée, qu'elle soit le 9 mai ou un autre jour n'a
aucune importance.
Déjà, nous nous garons devant Chez Canlis. Je prends le coude d'Ana pour l'aider à sortir. Andrea
nous a réservé une table et un salon privé. Je ne veux personne aujourd'hui, je tiens à passer un moment
en tête-à-tête avec ma femme.
Un maître d'hôtel s'approche.
- Mrs Grey, Mr Grey, quel plaisir de vous revoir. Par ici, votre table vous attend.
Je le salue d'un signe de tête. Derrière moi, j'entends Luke Sawyer chuchote :
- Hey, Joey. Comment va ?
Je suis surpris. J'ignorais que Sawyer connaissait aussi intimement le personnel de ce restaurant
huppé. Du coup, j'examine le maître d'hôtel : trente-cinq ans, d'origine italienne, des cheveux bruns,
des yeux noirs, la posture fière d'un ancien soldat. Voilà qui me donne un indice : « Joey » et Luke sont
probablement des frères d'armes. Par principe, je vérifierai dans le dossier de Sawyer. Je n'aime pas
manquer d'informations.
La salle où nous sommes introduits est petite et intime, avec une vue superbe sur les jardins fleuris
et le Lake Union. J'ai toujours aimé me trouver au bord de l'eau, je ne me lasse pas de la vue que j'ai
de chez moi sur le Puget Sound. Un rêve devenu réalité. Et pourtant, je n'aurais jamais cru être homme
à rêver.
- Tu sais, dis-je à Ana en lui prenant la main, l'an dernier à la même époque, j'étais effondré.
Elle proteste instantanément.
- Je ne te crois pas ! Christian, tu étais riche, tu pratiquais d'innombrables activités, la voile, le
planeur, les affaires... et tu avais aussi des soumises, ajoute-t-elle d'un ton plus sec. Tu n'étais peut-être
pas heureux à 100 %, mais effondré ? C'est un mot bien fort.
- Pourtant, c'était le cas. Je m'ennuyais. J'étais déprimé. Parfois, je me retrouvais devant les baies
vitrées de mon bureau... La vue est magnifique, comme tu le sais, mais tu crois que je l'appréciais ? Pas
du tout. Je ne voyais que le ciel gris. Je me disais régulièrement que mon humeur était comme le climat
de l'État de Washington. Gris et monotone. Je ne savais plus quoi faire en guise de diversion, le travail
ne me suffisait plus, mes... (Je ricane,) occupations du week-end non plus. Je devenais de plus en plus
acharné à courir, à m'entraîner avec Claude, mais même le sport ne m'apportait plus de véritable
exutoire.
- C'est pour te distraire que tu as accordé à Kate une interview ? Ça te ressemble si peu, je me
suis toujours demandé ce qui t'avait poussé à accepter.
- Le destin, baby. Je ne connaissais pas encore cette harpie, mais je détestais déjà les journalistes,
surtout les jeunes sans expérience. Leurs questions me semblaient d'une bêtise à pleurer, toujours les
mêmes, sans originalité. J'ai accepté de rencontrer Katherine à cause de son père, Keith Kavanagh, un
homme intelligent. Il ne m'aime pas beaucoup, ni aucun des Grey - je pense. Mon père et lui
s'affrontaient souvent devant les tribunaux, mais professionnellement c'est un requin. Je me disais que
rendre service à sa fille pouvait un jour ou l'autre me rapporter quelque chose.
- Christian, tu es tellement manipulateur ! Je n'arrive pas à croire que tu puisses accomplir un
simple geste avec l'intention d'en retirer un avantage.
- C'est comme ça que marche le monde, baby.
On frappe à la porte. Ce sont nos premiers plats. Anastasia lève les yeux, étonnée, en réalisant que
nous n'avons pas commandé. Puis elle me sourit. Elle sait bien que j'adore m'occuper d'elle et la
surprendre. Je connais ses goûts.
Elle fait la grimace en voyant la bouteille d'eau minérale. Elle adore le champagne mais dans son
état, il n'en est pas question. Ma mère a beau prétendre que quelques gorgées sont permises de temps à
autre, je préfère ne courir aucun risque. Par solidarité, je bois aussi de l'eau. Pétillante. Les bulles ne
sont-elles pas censées être festives ?
Nous dégustons notre « avant-bouche » : une délicieuse salade aux endives, pamplemousses, praires
et chorizo... Je suis ravi de voir Ana se régaler.
- Je pensais que nous mangerions des pâtes dans une pizzeria, dit-elle avec un sourire.
- Ana, il n'y a pas que les pizzerias qui servent des pâtes. Je t'en ai commandé, ne t'inquiète pas.
Je sais que tu as besoin de sucres lents.
Elle me jette un regard étréci, presque soupçonneux. Pense-t-elle que je me moque d'elle ? Ce n'est
pas le cas. J'aime la voir manger, c'est viscéral.
Le soleil brille derrière la vitre, mettant des reflets d'or dans ses cheveux bruns relevés sur la tête. Je
la trouve si belle. Malgré moi, je pense à l'an passé...il pleuvait ce jour-là sur Seattle. Ana semble suivre
le même cheminement de pensée.
- Si tu sentais déprimé, dit-elle, rêveuse, moi j'étais terrorisée. C'est vraiment pour aider Kate que
j'avais accepté de te rencontrer. Le journalisme, ce n'était pas du tout pour moi. Comme Wanda était
incapable de faire toute cette route, Kate m'a prêté sa Mercedes. Je n'ai même pas pu en profiter
tellement j'avais peur ! À peine arrivée, j'ai été impressionnée par ta tour de vingt étages, tout en verre
et en acier. Je me rappelle avoir longuement fixé le « GREY HOUSE » marqué au-dessus de l'entrée
principale. Et ton personnel...
Elle fait la grimace, je lui souris.
- Quoi, mon personnel ?
- Ces filles étaient toutes blondes, superbes, efficaces, bien habillées... Je me sentais si banale et
maladroite.
Oh baby... J'en ai le cœur serré d'émotion. Elle portait une jupe mal coupée, des bottes marron et un
pull bleu informe qui dissimulait sa délicieuse silhouette. Mais elle avait d'épais cheveux ébouriffés très
longs, très bruns. Et les plus beaux yeux bleus que j'aie vus de ma vie.
- Tu étais merveilleuse, Ana. Je crois que je suis tombé amoureux de toi à vue. Même si je ne
m'en suis pas rendu compte sur le coup. Comment aurais-je pu reconnaître l'amour ?
- J'avais le cœur qui battait après être montée jusqu'au dernier étage dans ton ascenseur-fusée. Je
tremblais tellement que mes genoux ont lâché. Je suis tombée...
- Je sais, à quatre pattes, dans mon bureau. J'ai failli éclater de rire.
- Oh, tu te moquais de moi, je m'en suis rendu compte. Ce n'était pas très galant de ta part.
- Galant ? Anastasia, je n'ai rien d'un homme galant. Tu devrais le savoir.
- Je pensais que ta mère t'avait bien élevé ! Rétorque-t-elle hautaine.
- Mais c'est le cas, baby. Je me suis levé pour te ramasser, non ?
- Tu m'as trouvée grotesque !
- Je t'ai trouvée belle. J'ai fixé tes yeux si bleus et innocents, ils m'ont presque fait peur, j'ai cru
que tu voyais à travers moi, jusqu'à mon âme. Et baby, je tenais vraiment à cacher mon âme au monde
entier. Et puis il y avait tes joues, rouges d'embarras. Je me suis demandé si ta peau était partout aussi
parfaite et lisse. Je suis aussi demandé à quoi elle ressemblerait, réchauffée par la morsure d'une trique.
- Christian !
Affolée, Ana regarde autour d'elle. Mais nous sommes seuls. Elle s'empourpre délicieusement. Tout
mon corps réagit à sa rougeur naturelle. Ana le remarque et me sourit- d'un air langoureux.
- Moi aussi, chuchote-t-elle, je t'ai trouvé beau.
- La beauté physique n'est que superficielle, Ana. Toutes les femmes y sont sensibles. En fait, ton
admiration naïve a eu sur moi l'effet d'une cape rouge sur un taureau. Ça a déclenché mes instincts les
plus sanguinaires.
- Mon admiration naïve ? Pfut ! Je t'en ficherais ! J'étais surprise, voilà tout. Je ne m'attendais
pas ce que tu sois aussi jeune. Et si différent. Les étudiants que je fréquentais portaient des jeans et des
sneakers, toi, tu avais un superbe costume gris, une chemise blanche et une cravate noire. J'ai été frappée
par tes yeux d'un gris si intense. Tu me scrutais avec attention.
- Tu ne savais pas que je t'imaginais dans ma salle de jeu. Heureusement !
- C'est vrai ?
- Oui, mais je me m'en suis voulu tout de suite. Je t'ai jugée trop jeune, trop pure. Une enfant. Je
ne voulais pas te souiller. Ta présence m'enchantait.
- Ce n'est pas vrai ! Tu n'as pas aimé mes questions.
- Pour te dire la vérité, baby, c'est mon ego qui en a pris un coup. J'ai vite réalisé que tu ignorais
tout de moi et de ma société. Ça m'a vexé. En plus, je te savais intelligente : ta réflexion concernant mes
Trouton était pleine de sensibilité.
- Je m'en souviens. Tu les as toujours dans ton bureau.
Elle ajoute avec un sourire :
- Avec mon portrait.
- Tu as dit de mes tableaux : ils rendent l'ordinaire extraordinaire. Et c'est exactement ce que je
ressentais vis-à-vis toi. Tu étais introvertie et timide, mais je t'ai quand même regardée de près, j'ai noté
la luminosité de ta peau, la profondeur de ses yeux, la grâce de ton sourire. Une femme secrète, exquise
et délicate.
- Oh Christian...
- C'est la vérité, baby. Certaines femmes attirent l'attention, toi tu la retiens. Depuis le jour où
j'ai posé les yeux sur toi, Anastasia Rose Steele, tu m'obsèdes. Je t'aime plus que ma vie.
Nous sommes interrompus par le premier plat... des spaghettis à la langouste dans une sauce aux
saveurs méditerranéennes. Nous avons découvert ce plat ensemble sur la Côte d'Azur française, durant
notre voyage de noces.
Durant quelques minutes, Ana dévore son plat avec un murmure d'extase. C'est très excitant. Je la
fixe avec ferveur. Je me demande si j'aurai le temps...
Elle interrompt mes idées lubriques en revenant au jour de notre première rencontre.
- Tu sais, cette interview, c'était difficile pour moi. Je ne connaissais pas les questions que Kate
avait préparées, aussi je les ai débités comme un perroquet.
- C'était des questions banales et sans intérêt.
Je repousse l'irruption de Miss Kavanagh dans la conversation d'un geste de la main, comme un
insecte désagréable avant d'enchaîner :
- Les remarques les plus surprenantes venaient de toi, baby. Tu m'as demandé si j'avais eu de la
chance. Franchement, personne n'avait jamais osé me lancer une réflexion aussi insolente. Et l'entendre
dans ta bouche, c'était encore plus déstabilisant.
- Maintenant que je te connais, je devine que cette question a dû t'éperonner. Je suis désolée.
- Je sais parfaitement avoir réussi grâce à un travail acharné. J'ai aussi le don de savoir juger les
gens que j'emploie. Connaissant leurs points forts, je peux en obtenir le meilleur. Et quand je me trompe,
je m'en débarrasse sans trop de remords. Je suis joueur, je sais évaluer les risques, j'ai une bonne notion
de l'évolution des marchés. Ça n'a rien à voir avec de la chance.
- Christian, je me suis excusée. D'ailleurs, tu as été prétentieux et pédant... tu m'as cité Carnegie
- Je m'en souviens. Tout homme qui acquiert la capacité de prendre pleine possession de son
propre esprit peut prendre possession de tout ce à quoi il estime avoir droit.
Nous éclatons de rire ensemble.
***
Ana
Incroyable... Je passe un moment enchanteur et tout à fait inattendu. Christian n'est pas du genre à
exprimer ses sentiments, même s'il le fait davantage depuis ces quelques jours de coma, après ma
rencontre avec Hyde. Il est très rare de sa part de ressasser. Comme il le dit toujours, le passé est écrit,
alors il trouve inutile de perdre du temps sur ce qui ne peut changer. Christian est un homme de l'avenir,
parce qu'il a un don pour le prévoir, ce qui explique en partie son succès dans les affaires mais avant
tout, il vit dans le présent.
Pas aujourd'hui. Pas en ce jour anniversaire.
Comme lui, je suis emportée dans cette folle spirale qui nous fait revivre notre première rencontre.
Je n'arrive pas à croire à quel point j'ai changé en un an. Extérieurement d'abord : je porte désormais
des vêtements de marque, je suis coiffée par un styliste de renom, bien maquillée, manucurée et
pédicurée - même si je pense que ce mot n'existe pas. C'est surtout à l'intérieur que j'ai changé. Ana
Steele a disparu. C'était une jeune fille naïve et gauche, la tête dans les nuages, introvertie, timide, mal
à l'aise dans sa peau. Je suis Ana Grey. Christian m'a débarrassée de mes complexes. Chacune de ses
caresses sur ma peau - et Dieu sait si elles ont été nombreuses ! - m'a libérée un peu plus, comme une
chrysalide sortant de son cocon. J'ai grâce à lui pu explorer les aspects ignorés de ma sexualité. Il m'a
révélé des secrets que j'ignorais, des pulsions que je ne savais pas posséder. Je suis sûre qu'il a raison
en affirmant que moi aussi, j'ai un côté obscur. Je n'aurais pu me satisfaire d'amour à la missionnaire
une ou deux fois par semaine. D'ailleurs, ce cliché existe-t-il chez les autres couples ? Sans doute, ce
qui explique l'insatisfaction générale qu'on lit souvent dans les journaux. Les gens ont des fantasmes
sans les réaliser. Ils sont frustrés et malheureux, mais par souci du qu'en-dira-t-on, ils n'osent pas faire
le plongeon...
J'ai presque envie de rire. Depuis quand suis-je une spécialiste du sexe ? Ce n'est pas le cas. Je sais
simplement ce que je veux, ce que j'aime, ce que j'apprécie. Grâce à mon mari.
- Ana, proteste Christian, où es-tu partie ?
Oh Fifty, Fifty ! Toujours si exigeant, dominateur, et impatient. Et si possessif ! Il a tort de s'inquiéter,
l'essentiel de mes pensées lui appartient. Je pourrais lui avouer qu'il m'obsède, même quand je parais
être ailleurs... Je ne le fais pas. Je lui souris sans mot dire et il se détend immédiatement
- À l'époque, dis-je d'un ton léger, je n'ai pas reconnu ta citation de Carnegie - franchement, qui
connait un philanthrope britannique du siècle passé qui s'est fait naturaliser américain ?
- C'est un homme très intéressant, sa biographie est passionnante. Andrew Carnegie est né en
1835 en Écosse. Son père a participé au chartisme, un mouvement social dont le but était d'améliorer
les conditions de vie des ouvriers en Grande-Bretagne. La faille a fait faillite et ils ont tous émigré aux
États-Unis. Lui avait treize ans, il a commencé dans l'industrie textile comme simple ouvrier, il s'est
éduqué tout seul, puis il a créé une des plus importantes aciéries américaines. C'était à Pittsburgh, après
la guerre de Sécession.
- On dirait un conte de fées, dis-je, en l'écoutant.
- C'est plutôt le Rêve Américain dans toute sa gloire. Le succès de la société, la Carnegie Steel -
c'est presque ton nom Ana -, a été lié à sa capacité de produire à bas prix et en grande quantité des rails
de chemin de fer. Évidemment, la demande était forte à cette époque. Très vite, le mec a été nommé
« l'homme le plus riche du monde ».
- Je comprends mieux ta fascination à son endroit : il te ressemblait !
- Je suis flatté.
- Comme je ne le connaissais pas, j'ai juste déduit de ta pédanterie que tu étais un psychorigide
obsédé par le besoin de tout contrôler. Les gens, les êtres, tout ton environnement.
- C'est la vérité. Bravo ! Tu auras fait un bon psy. Tu m'as traité de consommateur compulsif.
Christian ricane en me faisant un clin d'œil.
- J'ignorais que tu connaissais par cœur ce genre de jargon. Moi, j'avais lu cette formule dans un
magazine... Je ne sais même plus où.
- Nous parlions de la faim dans le monde. C'était pour moi un point sensible, Ana. Chercher à
bien utiliser mon argent est pour moi une nécessité, un besoin. Je n'ai jamais voulu être considéré comme
un philanthrope, même si ces braves savants de l'Université de Vancouver à qui je donne des millions,
cherchent régulièrement à me coller ce titre.
- Quelle folie, Christian ! Tu es bon, un point c'est tout. Ton problème à l'époque, c'est que tu
refusais de t'accorder la moindre qualité. Comme tu niais aussi l'amour de tes parents et de tes amis.
Tous n'attendaient qu'une chose pour te tendre la main : une acceptation de ta part.
- Tu as parlé de ma famille et de mon adoption pendant l'interview... Très vaguement d'ailleurs,
tu ne connaissais rien de moi.
- Ce n'est pas de ma faute !Je venais juste d'apprendre que Kate était malade et qu'elle ne pourrait
se rendre à cette interview. Je n'ai pas eu le temps de chercher sur Google. D'ailleurs, je n'avais pas
d'ordinateur.
- Je sais. Ça m'a choqué. À l'époque actuelle, qui peut se passer d'un portable ? En particulier
une étudiante. Est-ce que l'Université ne communique pas par mail avec ses élèves ?
- Si, mais j'avais accès à un ordinateur à WSUV. Et à la maison, je me branchais sur celui de Kate
en cas de nécessité.
Christian fait la grimace.
- L'incontournable Miss Kavanagh.
- Christian, arrête ! C'est ma meilleure amie, en plus d'être ma belle-sœur. Je veux que tu entendes
avec elle. Tu avais promis de faire des efforts et manifestement, ce n'est pas le cas. Elle sait bien que tu
ne peux la supporter. Ça l'énerve. À mon avis, elle prévoit de se venger, un jour ou l'autre. À ta place,
je me méfierais.
- J'espère que tu me défendras contre cette sauvage Walkyrie, baby. Et puis, tu es gonflée, j'ai
fait des efforts... je ne l'insulte plus, pas vrai ? Même Elliot l'a remarqué.
Alors que je m'apprête à répondre, un serveur frappe à la porte et entre avec notre dessert. J'ai les
yeux qui brillent. J'ai encore faim. Incroyable après tout ce que je viens d'avaler. Qu'est-ce que Christian
a commandé ? Canlis se spécialise dans la cuisine française et je me souviens des délicieuses pâtisseries
dégustées à Paris ou à Cannes, durant notre voyage de noces. Mmm...
- Qu'est-ce que c'est ?
Le gâteau parait sophistiqué : plusieurs couches crème et moka qui semblent toutes plus succulentes
les unes que les autres.
- Une de leur spécialité, répond Christian. Un millefeuille à la banane, chocolat blanc, caramel et
beurre de cacahouète.
- Oh lala !
Je goûte... Exquis. Très crémeux, ça fond dans la bouche. Je ferme les yeux quand les saveurs
éclatent sur mes papilles. Je sursaute parce que les lèvres de Christian se pressent sur les miennes. Il
m'embrasse ? Oups. J'ai la bouche pleine... C'est...
- Tu es irrésistible quand tu fais cette tête, baby. Ton plaisir à manger est très sensuel. Tu fais
exprès de m'exciter ?
J'écarquille les yeux et secoue la tête avec véhémence. Il sourit. Je fonds...
- Tu sais, chuchote-t-il à mon oreille, l'an passé, ta bouche me rendait déjà fou. Si douce, si belle,
si renflée... un fruit mûr. Et elle prononçait les paroles les plus insolentes qui soient. J'imaginais ta
bouche sur moi... As-tu remarqué que je bandais comme un malade ?
Je manque m'étrangler.
- Quoi ? Non ! Bien sûr que non. Heureusement, je crois que je me serais évanouie sous le choc.
- Je t'avais prévenue que j'étais individualiste et déterminé, que j'aimais à contrôler mon
entourage. C'était presque une déclaration d'intention. Je te voulais, Ana. Je pensais à toi comme à ma
future soumise parce que c'était la seule forme de relation que je connaissais, mais je te désirais.
Follement. Je t'ai parlé des quarante mille salariés qui dépendaient de moi pour vivre. Je t'ai parlé de
mes responsabilités, de mon pouvoir absolu. J'essayais de t'impressionner. Je voulais que tu m'aides à
me détendre d'un tel fardeau.
Christian se tait et me fixe. Tétanisée, je ne peux plus bouger. Il reprend, d'une voix hypnotique :
- Pendant que je te parlais, je t'imaginais dans diverses positions dans ma salle de jeu... baby, j'ai
encore ces images incrustées dans ma mémoire. Menottée sur ma croix. Écartelée sur mon lit, bras et
jambes attachés à un poteau aux quatre coins. Penchée en avant sur le banc de punition.
- Christian... arrête...
- Pourquoi ?
- Parce que ça me donne chaud...
Je sais qu'il dit la vérité. Je me souviens de ses yeux gris brûlants, intenses. J'ai rougi l'an passé sous
ce regard. Je rougis encore aujourd'hui. Parce que désormais, je peux partager ces visions érotiques : je
sais ce que j'éprouve dans toutes les positions qu'il mentionne. Même sur le banc de punition. Bon,
d'accord, ce n'est pas mon meilleur souvenir.
Je fronce les sourcils, il le remarque instantanément.
- Qu'est-ce qu'il y a, Ana ?
- Le banc de punition...
- Non, baby, je t'en prie. Tu m'as pardonné, oublie ma folie passagère. Nous avons surmonté cet
obstacle parmi tant d'autres. Et rappelle-toi : la dernière fois que je t'ai placée sur ce banc, tu as hurlé,
mais pas de douleur.
Je m'empourpre et bredouille :
- Je m'en souviens.
Christian a raison. Ces coups de ceinture, c'est du passé. Notre séparation ensuite a été autant de ma
faute que de la sienne. Manque de communication ou difficulté d'adaptation ? Peu importe. Nous nous
sommes réconciliés. Nous nous sommes mariés. Nous nous aimons. Nous attendons un enfant.
- Tu m'avais dit être quelqu'un de très secret. Tu l'es toujours.
- Pas avec toi, baby, je te raconte tout !
Il a de grands yeux, limpides de sincérité. Comment peut-il passer si vite du dominant au petit garçon
perdu ? J'aime toutes les facettes de sa personnalité.
- Pas tout à fait, dis-je avec un sourire tendre, mais chaque jour qui passe, j'apprends à te connaître
un peu mieux. Tu vois, je n'ai pas eu besoin de chercher dans Google, finalement.
Je lui adresse un clin d'œil moqueur.
- Ana, et ta dernière question ? Celle qui m'a vraiment laissé sur le cul.
- Tu ne me laisseras jamais l'oublier, pas vrai ? Tu y reviens régulièrement.
- Parfaitement, et je continuerai jusqu'à mon dernier souffle. Êtes-vous gay, Mr Grey ? Je
n'arrivais pas à croire que tu aies dit ça. J'étais bien conscient que ma famille se le demandait aussi,
mais jamais personne ne s'était hasardé à me le dire en face. Mais toi, si. Une inconnue. Une femme
jeune, fragile et innocente. Je ne sais pas comment j'ai résisté à mon désir de te sauter dessus pour te
jeter sur mes genoux et te coller une fessée...
Christian revit tellement cet instant qu'il en a les pupilles dilatées de désir.
- Non... dis-je dans un souffle.
- Si. Je voulais te frapper d'abord et te baiser sur mon bureau, les mains attachées dans le dos.
D'une pierre deux coups : j'aurais fait baisser ma pression et clairement répondu à ta question.
- Je t'ai déjà expliqué. Je n'ai pas fait exprès. J'étais bouleversée, je lisais les questions sans
réfléchir. Comment Kate a-t-elle osé me faire un coup pareil ?
- Tu ne le lui as pas demandé ?
- Si, mais j'ai oublié ce qu'elle m'a répondu.
- Probablement qu'un journaliste a tous les droits, ricane Christian, méprisant. Voilà qui ne
m'étonne pas d'elle.
- Christian !
Il refuse de s'excuser concernant Kate. Le rat !
- Tu as eu de la chance qu'Andrea nous interrompe, tu sais.
- Oh, j'étais très soulagée de son intervention. Comme tu avais un autre rendez-vous, j'ai
considéré que je pouvais m'enfuir. Mais tu m'en as empêchée.
- Ana il y avait des lustres que je ne m'étais pas autant amusé. J'ai dit à Andrea de tout annuler -
elle n'en croyait pas ses oreilles. Je voulais rester avec toi. Je te trouvais crispante, insolente... Il y avait
un contraste troublant entre ton aspect timide et tes paroles audacieuses. Tu étais comme un courant
d'air frais.
- Tu m'as demandé ce que je voulais faire de ma vie. Après mes examens
- Tu ne voulais pas répondre. Ce qui était gonflé de ta part après m'avoir passé sur le gril.
- Tu m'as proposé un stage à Grey House.
- Que tu as refusé de but en blanc. Je n'en revenais pas. Les étudiants se battent pour entrer chez
nous ! (Je fronce les sourcils.) Je me demande pourquoi Andrea a tellement de mal à trouver quelqu'un
de valable. Ses stagiaires sont toutes plus débiles les unes que les autres !
- Je n'étais pas blonde. Alors j'ai décidé que je ne serai jamais à ma place.
- Je n'engage pas les gens pour la couleur de leurs cheveux, baby, j'engage ceux qui sont brillants.
Tu as vu la dégaine de Barney Sullivan ? Il était pire encore le jour où il s'est présenté chez nous... Il
sortait à peine de la fac. Ros et moi lui avons parlé dix minutes avant de tomber d'accord pour l'engager
sur le champ. Barney n'en croyait pas ses oreilles. Tu es intelligente et travailleuse, Ana, tu aurais été à
ta place chez moi.
- Non ! Je te trouvais bien trop intense, jamais je n'aurais pu travailler là.
- Tu étais très pressée de rentrer ! Lance Christian dans ton accusateur. Tu as même refusé que je
te fasse visiter mes bureaux. C'est la première fois que je me laissais aller à une telle invitation et tu me
l'as renvoyée dans les dents. Franchement, c'était vexant.
- Je devrais réviser mes examens.
- Ana, je suis persuadé que tu savais déjà tout.
- Je n'aime pas laisser au hasard ce genre de choses.
Et tout à coup, j'avoue :
- Oui, j'étais pressée de m'en aller. Quand je t'ai dit au revoir, tu m'as répondu une façon bizarre.
J'ai senti un défi... ou une menace. Je ne pensais pas que nous nous reverrions...
Christian éclate de rire.
- Franchement, baby ? J'avais senti des étincelles crépiter entre nous, j'aurais fait n'importe quoi
pour te revoir. En plus, je m'inquiétais pour toi. Il pleuvait. Ça ne me plaisait pas du tout que tu doives
faire toute cette route toute seule. Je détestais l'idée de ne pouvoir t'ordonner de rester. Je crois que c'est
à ce moment-là que j'ai pris ma décision. Je t'aurai. Je t'aurai nue, attachée et pantelante de désir... Je
t'aurai soumise et confiante, me laissant te faire tout ce qui me plairait. Je te fouetterai. Et toi, tu
n'arrêtais pas de gesticuler, Ana, tu tripotais ton manteau, tes cheveux. Et tu sais ce que je pensais ?
- Non ? dis-je dans un souffle, assommée par la brutalité de sa déclaration.
- Que je pourrais t'apprendre à rester tranquille. Que je pourrais te dresser à la cravache, comme
une pouliche.
Il a dit ça ? Réagis, bécasse ! Aboie ma conscience, furieuse. Ma déesse intérieure vient de se pâmer.
- Christian...
- Tu as dit ça quand les portes de l'ascenseur se sont refermées. Christian. Mon nom émanant de
tes lèvres est resté à voleter autour de moi, un chuchotement étrange et familier, incroyablement sensuel.
Aucune de mes soumises n'avait jamais eu le droit de le prononcer, bien entendu. Mais toi, tu l'as fait,
à la première minute, sans permission. Toi, Anastasia, tu étais unique. Tu l'as toujours été. Tu le seras
toujours. Tu n'avais pas quitté Seattle que j'appelais déjà Welch pour en savoir davantage sur toi.
- Je sais ! dis-je outrée. J'ai vu mon dossier !
- Baby, c'était ma façon d'agir. Je ne pouvais approcher une femme à l'aveuglette.
Je regarde autour de moi, un peu perdue.
- Qui aurait pu croire qu'un an plus tard, nous serions là ? Ensemble...
- Effectivement.
Christian regarde sa montre.
- Tu as fini de manger ?
- Oui. Pourquoi ?
- Ana, je me souviens de mes fantasmes de l'an passé. J'ai bien l'intention de les réaliser cette
année. Tu seras en retard à SIP cet après-midi.
- Quoi... ? Oh non, je...
- Silence ! Je te veux dans la salle de jeu dès que nous arriverons à l'Escala.
Oh ? Oooh... ma déesse intérieure arrache ses vêtements et se tord les mains. Une vraie chienne en
chaleur. Ma conscience... a disparu. Peut-être est-elle entrée au couvent ? Bon débarras !
- Oui monsieur.
J'ai les yeux baissés et un sourire secret aux lèvres. Christian refuse depuis des mois que je pénètre
dans la salle de jeu - à cause de ma grossesse. Que va-t-il inventer aujourd'hui ?
Je t'aurai. Je t'aurai nue attachée et pantelante de désir... Je t'aurai soumise et confiante, me
laissant te faire tout ce qui me plairait.
Mmm... j'ai le souffle coupé et le cœur qui tape. Comme l'an passé dans la cabine de l'ascenseur.
La vie est un éternel recommencement.
Je n'oublierai plus la date du 9 mai. Plus jamais.
***
Christian
Ana et moi n'échangeons pas un seul mot durant le trajet jusqu'à l'Escala. Je suis heureux d'avoir
conservé cet appartement, je n'aurais jamais eu la patience d'attendre de retourner jusqu'à notre maison
sur le Sound, pour prendre Ana. De plus, à cause de nos futurs enfants, nous n'avons pas installé de salle
de jeu là-bas. Bien sûr, j'ai quand même divers accessoires (gardés sous clé) à ma disposition et notre
lit a quatre piliers de bois, bien solides, mais l'Escala... c'est différent. J'ai bien l'intention de garder
cette résidence en ville, proche de GEH.
Sawyer nous arrête devant l'entrée principale, puis il disparaît pour faire le tour du bâtiment et garer
la voiture dans le parking souterrain. Prenant ma femme par la main, je la conduis jusqu'à l'ascenseur.
Nous sommes seuls dans la cabine. La tension sexuelle crépite entre nous. Si fort que je dois m'écarter
de quelques pas. Je ne veux pas la baiser ici. D'accord, je l'ai déjà fait, mais ce n'est pas ce qui
m'intéresse aujourd'hui.
Lorsque nous émergeons au dernier étage, dans le vestibule, Ana est pantelante. Elle me fixe, les
yeux écarquillés. Je fronce les sourcils d'un air menaçant. Se souvenant de son rôle, elle baisse les
paupières et tente (en vain) de prendre un air soumis.
- Dans la salle de jeu ! Dis-je d'une voix rauque.
Je la regarde s'enfuir. Sa grossesse lui donne une démarche un peu lourde. Je suis effleuré par une
vague culpabilité à l'idée de soumettre mon fils, dans le ventre de sa mère, à une session de baise tordue.
Mais non, il n'y a rien de mal à aimer sa femme. Mes sentiments justifient tout ce qui se passe entre
nous.
Et puis, Ted a probablement été conçu dans un moment pareil, Grey.
Je cours dans ma chambre où je me déshabille à la hâte, arrachant veste, chemise et pantalon. Une
fois nu, je fouille dans mes tiroirs et j'en sors mon vieux fétiche qu'Ana aime tellement me voir porter.
Je me demande bien pourquoi. Elle sait que ce vêtement m'a accompagné durant ces années qu'elle
s'efforce d'oublier. Ou peut-être pas. C'est une des forces d'Anastasia d'accepter toutes mes facettes -
mes cinquante nuances de folie. Jamais elle n'a cherché à me faire changer, simplement à me rendre
heureux. Il me revient en mémoire la première fois où j'ai indiqué à une jeune femme innocente la
posture d'une soumise devant son dominant... Bon Dieu ! Je bande plus fort encore. Je sautille d'un
pied sur l'autre pour enfiler mon jean, commando. Je grimace en remontant ma fermeture éclair sur mon
sexe douloureux. Je n'attache pas le bouton de la ceinture. Traditions, traditions...
Émergeant de ma chambre comme un diable de sa boîte, je retourne dans le couloir et monte les
escaliers quatre par quatre. Même si quelques minutes à peine se sont écoulées depuis que j'ai quitté
Ana, déjà elle me manque. Terriblement. Contrairement à l'an passé, je ne pense pas à tester son
obéissance ni à la faire rester en position, sans bouger, aussi longtemps que ça me chante.
La porte de la salle de jeu est entrouverte, je la pousse, le cœur battant. Elle est là... à genoux, en
culotte, tête baissée, cuisses ouvertes. La posture idéale d'une soumise, confiante, obéissante et excitée.
Oh baby...
Une vue pareille ne manque jamais de m'exalter, mon cerveau et mon corps ayant été trop longtemps
programmés pour y répondre. Je ne suis plus que testostérone et désir, je sens un brouillard rouge me
passer devant les yeux.
Concentre-toi, Grey. Ne perds pas la tête !
L'an passé, presque à la même heure, je voulais avoir Miss Steele à ma merci, nue attachée et
pantelante de désir... Elle n'est pas attachée - pas encore -, mais elle est quasiment nue... et si je dois
en croire son souffle court et l'odeur chaude qui émane d'elle, elle est excitée. Je prends un accessoire
accroché au râtelier sur le mur avant d'approcher d'Ana.
Elle a le ventre rond, les seins gonflés, sa vulnérabilité de femme enceinte m'émeut et me bouleverse.
- Ana. Tu es si belle. Relève-toi.
Elle obéit, les yeux baissés. Elle suit le protocole à la lettre. Ça me plait.
- Je vais t'attacher, maintenant. Donne-moi la main. La droite.
Elle me la tend, sans remarquer que je tiens à la main un martinet aux fines lanières de daim, souples
et veloutées. Saisissant Ana par le poignet, je la force à me présenter sa paume ouverte. Puis, d'un
mouvement vif, j'en frappe le centre. Elle pousse un cri de surprise et écarquille les yeux.
- Chut ! Viens par là.
Je la conduis sous mon treillis, où sont suspendus différents modèles de menottes - sauf les
métalliques. Depuis ce sinistre épisode sur le Fair Lady, je ne les ai plus jamais utilisées. Il a fallu des
jours pour que les marques obscènes disparaissent des poignets et chevilles d'Ana ; ce souvenir me hante
encore. Je tire un jeu de bracelet en cuir. Oubliant de garder les yeux baissés, Ana suit chacun de mes
gestes avec attention. Elle connait le programme : nous commencerons ici, au centre de la pièce, puis je
l'emmènerai jusqu'à ma croix de bois pour la baiser debout. Les rails au plafond feront coulisser les
menottes sans que je doive détacher ma captive.
- Lève les bras au-dessus de la tête.
Elle obéit immédiatement. Son corps s'étire et son ventre devient plus proéminent encore. Quand je
lui attache les poignets, l'un après l'autre, Ana a les yeux qui papillonnent. Une fois qu'elle est en
position, je recule d'un pas pour l'admirer. Je tourne autour d'elle comme un prédateur. Ses seins
alourdis sont parfaits, très ronds, avec des pointes roses, dures et érigées ; et ce cul superbe, ses reins
cambrés. Ainsi ligotée, Ana est à moi. Je peux faire d'elle ce que je veux. Comme j'en ai fantasmé l'an
passé.
Tu obtiens toujours ce que tu veux, Grey.
- Mrs Grey, je vais te faire payer tes insolences du 9 mai dernier.
Elle ne répond pas. Cela ne lui ressemble pas, aussi je considère ce silence comme une victoire. Je
la veux nue maintenant. À genoux devant elle, je fais descendre sa culotte le long de ses jambes. Quand
j'enlève ce petit morceau de lingerie humide, je le presse contre mon nez pour inhaler son parfum
musqué. Ana sourit en reconnaissant un geste que j'accomplis souvent. L'an passé, elle en aurait été
horrifiée. Elle a beaucoup appris après un an avec moi, dans mon lit, dans mes bras, dans mon cœur.
Je me redresse et je commence à l'échauffer : je la frappe à petits coups, devant et derrière, en haut
et en bas... À peine des effleurements. Elle se tortille, les menottes cliquettent. Puis elle pousse un
gémissement sourd qui exprime la force de son désir charnel.
Je lui ai ordonné de se taire - mais c'est un ordre auquel elle n'a jamais été capable d'obéir.
Tu n'as pas réussi à lui apprendre le contrôle, Grey. Le feras-tu un jour... ?
J'en doute. Ses cris sont une musique bien trop érotique. Tiens... je n'ai pas encore mis de musique.
Cet oubli prouve mon excitation. Je m'écarte d'Ana - qui doit penser que c'est sa punition - et vais jusqu'à la commode où est installé mon système hi-fi. Le Tango de l'Assassin... oui, ce titre m'inspire.
Je ne sais d'où me vient cette idée par contre. Étrange.
Revenant vers Ana, je me mets à lui tourner autour, en la frappant de façon aléatoire, sans lui faire
mal. Je place délibérément quelques petits coups légers entre ses jambes. Puis je lui caresse les seins des
lanières de mon martinet, très tendrement, sans frapper : je sais qu'elle a la poitrine sensible. Je vois ses
pointes durcir. Ana a les genoux qui lâchent, elle manque s'effondrer ; tout son poids est suspendu à ses
poignets. Elle tente d'étouffer ses plaintes, mais sans y réussir.
- Tu aimes ? dis-je amusé.
- Oui.
Non, baby ! Ce n'est pas la bonne réponse. J'abats violemment mon martinet sur ses fesses. Si le
bruit est pire que la douleur, Ana fait quand même un bond et se redresse.
J'insiste :
- Oui, qui ?
- Oui, monsieur, gémit-elle.
Elle renversa la tête et ferme les yeux. Je vibre du besoin frénétique la prendre, mais non, pas encore.
Devant moi, s'ouvrent les portes du monde BDSM qui a si longtemps été le mien. Il n'est plus sombre
et obscur comme autrefois, plutôt rouge et lumineux, aussi enivrant qu'une journée estivale...
embaumée de senteurs exotiques. Érotiques. Addictives.
Le corps et le sexe d'Ana.
Je dois attendre, ce qui va rendre tout à l'heure ma jouissance et la sienne encore plus intenses. La
voir répondre à mes coups avec tant de passion est un plaisir en soi. Je relève mon martinet pour la
frapper encore, sur le ventre, plusieurs fois, à petits coups qui la sensibilisent. Je passe ensuite à ses
flancs, au bombé de son mont de Vénus, entre ses jambes.
Elle crie et me supplie :
- Aaah... Christian ! S'il te plaît.
- Silence !
Une fois encore, je lui cingle les fesses et savoure le claquement sonore. Puis je continue mes
caresses. Ana est en feu. Je glisse le manche entre les lèvres de son sexe et la pénètre... avant de présenter
l'embout trempé devant ses lèvres.
- Ouvre la bouche.
Elle obéit, les yeux brillants de désir. Je veux que ses sens participent à la session : vue, goût, toucher,
ouïe, odorat.
- Suce, baby.
Elle resserre ses lèvres renflées sur le manche mouillé en gémissant. La scène lourde d'évocation est
d'un érotisme torride. Je ne peux résister. Jetant le martinet, j'empoigne Ana à pleines mains pour
l'embrasser avec passion, goûtant dans sa bouche un mélange riche de musc féminin, de cuir et de salive.
Il me semble même deviner le chocolat de son dessert chez Canlis.
- Tu veux jouir, Ana ?
- Oui.
Je lui cingle les fesses. Baby franchement !
- Oui, qui ?
- Oui, monsieur ! crie-t-elle
Je lui ordonne de fermer les yeux. Elle obéit, confiante et offerte. Le regard dur et déterminé, je
ramasse mon martinet. Je la travaille plus intensément, visant les zones les plus érogènes. Ana se tord
et se débat contre ses menottes, mais pas longtemps. Elle hurle son orgasme... en se renversant en
arrière. Je la retiens entre mes bras quand elle s'écroule.
Éperdu, je soulève son corps et l'emporte jusqu'au mur, je l'appuie contre ma croix. Je n'ai pas le
temps de l'attacher complètement, je suis trop pressé. J'ouvre mon jean d'une main rendue maladroite
par l'urgence et ordonne :
- Lève les jambes, baby, enroule-les autour de moi.
Merde, je n'en peux plus ! Je la désire tellement que j'en souffre. Elle met trop de temps à s'exécuter,
alors je la soulève pour l'empaler. Que c'est bon ! Elle est brûlante... Argh ! Doucement, Grey, elle est
enceinte... En fait, son ventre est un obstacle. Merde.
Je la détache et la porte pour la coucher sur ma table. Je lui écarte les jambes et la reprends très vite.
Cette fois, ça va... je martèle Ana qui recommence à gémir. Très vite, je trouve mon rythme. Anastasia
se ranime sous l'assaut, son ventre tremble, ses muscles se contactent...
L'orgasme nous saisit ensemble, un choc aussi brutal qu'un train à pleine vitesse. Juste à temps, je
me retiens de m'écrouler sur elle. Je retombe lourdement à son côté, sur le panneau ciré et dur de ma
table ancienne. Ce n'est pas confortable - pas du tout !
Ana ?
- Baby, ça va ?
- Non, gémit-elle. Je suis morte.
- Ne plaisante pas avec ça :
Malgré ma protestation instinctive, je souris, heureux de l'avoir satisfaite. Me redressant, je jette un
œil au banc de punition, qui se trouve juste à côté. Non, à l'heure actuelle, Ana n'est pas capable de s'y
coucher sans inconfort, mais bientôt... Il y a une autre virginité que je tiens à prendre à ma précieuse
épouse. Peut-être à l'occasion d'un autre anniversaire à fêter...
Soulevant Ana pâmée, je la serre contre moi comme une enfant. Je l'emporte jusqu'au lit où je
m'étends, avec elle dans mes bras. Je la cale contre ma poitrine et la berce.
- Tu n'as pas eu mal ?
- Non.
Elle est toute molle et repue. Oh baby !
Je n'aurais jamais cru que satisfaire un fantasme puisse me procurer un tel bonheur. J'aime tellement
cette femme endormie dans mes bras que j'en ai les larmes aux yeux.
Pas question qu'elle retourne travailler cet après-midi. Dès qu'elle se réveille, je recommence à la
baiser - non, à lui faire l'amour. Elle a juste besoin de reprendre des forces.
- Dors, baby. Dors... je suis là. Je t'aime...

Livre 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant