Retour à la Maison

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Christian
Enfin – enfin ! Le Dr Greene autorise Ana à s’en aller. Pas trop tôt. Tout à l’heure, à mon retour de
la douche, j’ai réglé la paperasserie hospitalière – par un simple : « Faites suivre à GEH, mon assistante
s’en chargera » mais c’est l’intention qui compte. La petite grosse derrière le comptoir m’a regardé avec
des yeux ronds, avant de hocher la tête sans insister, beaucoup plus occupée à me mater qu’à faire son
boulot. Parfois, avoir une belle gueule a des avantages… mais pas souvent.
Le Dr Greene conseille à sa patiente de se reposer. J’ai bien l’intention d’y veiller. Ana croise mon
regard – et lève les yeux au ciel. J’ai du mal à retenir ma joie. Enfin, je la retrouve !
Je sors mon BlackBerry.
— Taylor ? Où êtes-vous ?
— Devant la porte, Mr Grey.
— Préparez la voiture. Nous rentrons.
— Où voulez-vous que je vous attende ?
— Devant l’entrée principale.
Ana fait tout un pataquès pour prendre place dans la chaise roulante amenée pour elle. Je préfèrerais
la porter, mais peu importe, je me rattraperai dès que nous serons seuls.
— Je serai grotesque là-dedans, bougonne ma délicieuse épouse, aussi hérissée qu’un chaton en
colère. Je ne suis pas invalide ! Je peux marcher.
— Mais oui, mais oui, répond l’infirmière.
À voir les bras de cette femme, je jurerais qu’elle fait de la lutte ou du catch à ses heures de liberté.
À mon avis, en cas de contestation, Ana ne ferait pas le poids. Moi non plus !
Quand nous passons dans l’entrée de l’hôpital, Ana s’étonne :
— Il n’y a pas de papiers à signer ?
— Je m’en suis déjà chargé, baby.
— Oooh ! Mon héros !
Elle se fout de toi, Grey. Donc, tout va bien.
Sawyer et Taylor, tous les deux dans la voiture, descendent en nous voyant arriver. Tandis que
Sawyer échange quelques mots avec Ana, je surveille de chef de ma sécurité. Je lui trouve le visage un
peu rouge – serait-il fiévreux ? Je ne veux pas qu’Ana soit confrontée à des germes microbiens.
— Bonjour, Mrs Grey, marmonne Taylor. J’espère que vous vous rétablirez très vite.
— Merci, Taylor.
Merde ! Qu’est-ce qui se passe ? En temps normal, je suis parfois jaloux de l’amitié existant entre
Ana et Taylor, je n’ai jamais entendu ma femme lui parler de cette voix distante. Je prends note de
résoudre le problème – quand j’aurai parlé à Ana. Les conseils de Kate me vrillent le crâne depuis
plusieurs heures : « Réfléchis bien, Grey, sinon tu la perdras vraiment. Ana ne supportera pas le manque
de communication. »
Réfléchis bien, Grey, sinon tu la perdras vraiment…
J’ai encore aux oreilles la voix hautaine de la femme de mon frère quand je soulève Ana de sa chaise
infamante pour la mettre dans la voiture.
Réfléchis bien, Grey…
Taylor démarre. Il s’arrête brièvement au bout de l’allée, avant de s’engager dans la rue, et je vois
dans le rétro ses yeux noisette examiner Anastasia. Il parait… soucieux.
Je tourne la tête vers Ana, elle regarde avec un sourire ravi la pluie qui tombe sur Seattle ; elle a la
tête appuyée sur mon épaule. Je lui chuchote à l’oreille :
— Dès que nous serons à la maison, tu vas m’entendre, Mrs Grey !
Elle éclate de rire.
— Ne me dis pas que tu comptes m’enguirlander ? Ce serait un manque de fair play flagrant,
Mr Grey. Je suis une pauvre handicapée qui vient juste de quitter sa chaise roulante.
Je fonds… Oh baby, comme ton rire m’a manqué !
— Je ne compte pas t’enguirlander, Mrs Grey. Je compte juste étudier ton bouquin et appliquer la
Communication pour les Nuls de A à Z.
Taylor donne un coup de volant et manque emplafonner la voiture d’à côté. Il a bu ou quoi ? Sawyer
s’étrangle et sort son mouchoir. Quant à Ana, elle écarquille de grands yeux. Elle se penche et pose la
main sur ma joue. Du coup, j’en oublie ma contrariété concernant les deux agents sur le siège avant.
— C’est vrai ?
— Oui. J’ai appris de bonne autorité que toi et moi avions un problème de communication.
Ana hoche vigoureusement la tête.
— C’est ce que Kate m’a dit.
— Je sais.
— Ah bon ? Comment ça ?
— J’ai vu Kate à New York. Nous avons pris un verre ensemble.
— Toi ? Avec Kate ? Vous avez pris un verre… dans un bar ? Je croyais… je pensais que…
— Oui, que pensais-tu, Mrs Grey ?
— Que vous étiez tous les deux là-bas pour travailler et que vous étiez horriblement occupés !
— C’est le cas. Mais je me rongeais les sangs à ton sujet – et Kate aussi. Elle est venue me parler
de toi.
Ana ouvre la bouche, éberluée. Elle n’a pas le temps de m’interroger. Nous sommes déjà arrivés à
Broadview. Gail se précipite vers la voiture, avec Ted dans le bras. Il hurle à gorge déployée – j’imagine
qu’il est content de retrouver ses parents après s’être cru abandonné.
— Ana ? Crie Gail en ouvrant la porte. Comment allez-vous, mon petit ? Bien sûr, Jason m’a
rassurée sur votre état, mais je m’inquiétais tellement !
Dire que j’ai toujours conseillé à Ana de maintenir une certaine distance avec le personnel ! Il est
évident qu’elle a scrupuleusement écouté mes ordres- mes instructions – mes conseils… bref, elle n’en
a fait qu’à sa tête. Comme de coutume. Je retiens un sourire en quittant la voiture pour en faire le tour.
— Ana ! Ne t’avise pas de poser le pied à terre. Je vais te porter.
Ted trouve très drôle la procession qui remonte jusqu’à la chambre d’Ana. Au moment de pénétrer
dans la chambre, je fronce les sourcils. Merde ! Le matelas doit être…
La voix de Taylor retentit dans mon dos :
— Le matelas a été changé ce martin, Mr Grey. Je m’en suis chargé personnellement.
— Merci, Taylor.
Après une certaine confusion, due aux efforts de Ted pour aider sa mère – et à ceux de Gail pour
l’empêcher d’être dans mes jambes – j’installe ma femme dans son lit. Ted est assis par terre, sur le
tapis, avec des jouets que Gail a été récupérer dans la nurserie.
— Voulez-vous que je vous monte quelque chose, Mr Grey – madame ?
— Un repas pour deux vers 12 h 30, Mrs Taylor, je vous prie.
— Pour trois ! Intervient Ana. Teddy mangera avec nous.
— Génial ! Avec ce petit cochon, Taylor devra acheter un autre matelas !
Ana se met à rire. Je dirais et ferais n’importe quoi pour qu’elle continue.
— Très bien, je vous monterai du poulet et de la purée, avec un bouillon et de la salade de fruits.
— Ce sera parfait, Gail, merci beaucoup, dit Ana.
Nous sommes enfin seuls tous les trois. Mon BlackBerry sonne. C’est Mia. Je ne réponds pas. Je
coupe aussi le son de ce foutu appareil.
— À nous deux, Mrs Grey.
— Raconte-moi ce que Kate t’a dit !
— Pour commencer, elle m’a traité de con et d’âne.
— Quoi ?
Ana se redresse, furieuse, le visage empourpré. Elle est adorable. Je m’assieds à côté d’elle pour la
repousser sur ses oreillers.
— Du calme, petite tigresse. Elle avait raison. Franchement, si j’étais aussi mauvais pour gérer mes
affaires professionnelles que notre couple, nous serions déjà à la rue. Baby, pardonne-moi, je suis
tellement désolé. Tu veux que je me mette à genoux ?
— Non !
Elle secoue la tête. Je prends son visage entre mes deux paumes.
— Chut, ne t’agite pas… Nous avons une demi-heure avant que Gail remonte. J’ai des projets
pendant la sieste de Ted. En attendant…
— Oui ?
— Baby, je vais communiquer.
— Oh ?
— Déjà réduite aux onomatopées par mes superbes envolées rhétoriques, Mrs Grey ?
Quand Ana reprend son sérieux, elle reste bien sagement couchée, les deux mains dans les miennes.
Nous nous fixons les yeux dans les yeux.
Ana a résisté à tes fouets et tes goûts tordus, elle ne résistera pas au manque de communication, quel
que soit l’amour réciproque que vous vous vouez.
Réfléchis bien, Grey, ou tu la perdras vraiment…
— Que connais-tu du jeu « action ou vérité », Ana ?
— Pardon ? Oh… c’est un jeu d’ado que je n’ai jamais pratiqué à Montesano. Kate disait que ça
manquait à mon éducation. Elle et moi y jouions autrefois, à Portland. Du moins la première année…
Pourquoi ?
— Parce que Kate a suggéré que nous le fassions aussi. Elle m’a parlé d’un gage : soit répondre
avec franchise à une question soit boire de l’alcool ou faire un truc sexuel. (Je lève un sourcil.) Tu n’as
pas droit à l’alcool après ton séjour aux Urgences, baby, et le sexe est certainement déconseillé durant
quelques jours. Je fais devoir faire preuve d’imagination…
— Ou ce pourrait aussi être juste la vérité.
— Oui. Cet après-midi, nous allons jouer. Ce soir, nous passerons le temps en tête-à-tête à discuter,
à parler de nous deux – et de ce qui cloche. Je veux tout savoir de tes rêves, Ana. Je veux pouvoir les
réaliser.
— Juste parler ?
— Oui, et comme tu es affaiblie, je ne serai pas distrait par tes charmes ni les promesses sensuelles
de ton adorable corps
Kate parlait de « phéromones » Grey.
— D’accord, chuchote Ana, les yeux brillants.
— Tu seras patiente avec moi, s’il te plaît ? Je n’ai n’as pas l’habitude de me justifier, ni d’expliquer
le pourquoi de mes décisions.
— Bien sûr ! Je n’ai pas l’habitude non plus d’exprimer mes attentes. Kate me le reprochait souvent.
C’est un signe d’immaturité, tu sais. Il est temps de mûrir. Après tout, je suis maintenant épouse et mère.
Comme à point nommé, Ted pousse un hurlement. Ana et moi nous retournons vers lui : il n’arrive
pas à faire tenir son château de cubes et ça le contrarie. Il tape sur ses jouets avec une rage enfantine.
Je me relève en riant.
— Ted, mon fils, tu t’y prends comme un manche. Tu ferais honte à ton parrain, tu sais. Tonton
Elliot est un brillant bâtisseur. Actuellement, il se trouve à Haïti pour aider à reconstruire le pays ravagé
par un cyclone.
— C’est vrai ? S’étonne Ana. Je l’ignorais.
— Elliot est une grande gueule pour les conneries…
— Christian ! Pas devant Teddy.
— Tu crois qu’il comprend ? Il ne parle pas encore.
— Peu importe, c’est une question de principe. Que disais-tu sur Elliot ?

— Qu’il est très discret quand il s’agit de son investissement humanitaire. Il se rend régulièrement
sur place pour œuvrer de ses mains. Cela fait plus de trois ans qu’il travaille sur ce projet.
— Je suis impressionnée. Kate est au courant ?
— Bien sûr !
Ted refuse de me donner ses cubes. Il les cache derrière son dos. Je le fixe sévèrement.
— Mon fils, décide-toi : tu veux que papa t’aide ou pas ? Je ne vais pas perdre mon temps à vouloir
faire boire un âne qui n’a pas soif.
Ana s’étouffe de rire, les deux mains sur le ventre, sa tête creusant l’oreiller.
— Christian ! Où as-tu pris cette expression ? Et même ton intonation… elle m’a rappelé quelqu’un,
je ne sais plus…
J’abandonne mon fils sur le tapis… il a la capacité d’attention d’un poisson rouge ! Il se passionne
maintenant pour sa toupie. Nous n’aurons pas un bâtisseur de plus dans la famille !
— Ana, baby, ne gesticule pas, bon Dieu ! Tu as soif ? Ou faim ? Tu veux que je t’apporte quelque
chose ?
On frappe à la porte.
— Je meurs de faim, répond Ana, des étoiles dans les yeux. Et voici que notre déjeuner apparaît
comme par magie.

Livre 4Où les histoires vivent. Découvrez maintenant