Un second coup de feu déchira le silence. Kate se raidit, sur le qui-vive, se préparant à entendre une troisième détonation tout en essayant d'en déterminer sa provenance. La jeune fille fronça les sourcils. Elle avait l'impression d'avoir entendu une plainte ; une sorte de cri bref, quelque part dans la forêt. Elle scruta les alentours. Il lui était difficile voire impossible de localiser la direction du coup de feu ni celle de la plainte. D'ailleurs, elle n'était même plus certaine d'avoir entendu un gémissement. Le craquement d'une branche l'effraya. Et si un animal blessé surgissait tout à coup de sous les arbres ? Un sanglier ou un chevreuil pouvait fondre sur elle et la piétiner. Elle ne devait pas rester ici mais gagner au plus vite la clairière, éclaboussée de soleil, qu'elle devinait à l'extrémité du sentier. D'après son plan, elle devait traverser la clairière en ligne droite pour rejoindre un autre chemin menant directement à la maison de Nicolas. Elle pressa le pas, jetant un regard derrière elle de temps en temps. Alors qu'elle débouchait dans la clairière, elle aperçut une camionnette, en partie dissimulée par un rideau d'arbustes. S'agissait-il du véhicule de l'auteur des coups de feu ?
- Hello ? fit-elle, d'une voix mal assurée. Êtes-vous-là ? Il y a quelqu'un dans le coin ?
En s'approchant de la camionnette, elle constata que la carrosserie était endommagée, du côté droit ; comme si l'automobile avait été violemment percutée. Puis elle remarqua la couleur de l'herbe, juste devant elle. On avait l'impression qu'à cet endroit précis, quelqu'un avait renversé un bidon de peinture rouge. Une odeur ferreuse la fit grimacer. La portière côté conducteur était ouverte et deux jambes sortaient de l'habitacle... deux jambes ensanglantées. Pendant quelques secondes, Kate crut identifier un mannequin de plastique - un de ceux que l'on voit dans les vitrines des magasins - et qu'une personne aurait couché en travers de la banquette pour tenter de le peindre, mais presque aussitôt, la jeune fille rejeta cette explication aussi farfelue qu'incongrue. Lorsqu'elle contourna le véhicule, elle resta muette de stupeur et d'effroi. Un désir irrépressible de fuite l'envahit mais elle ne parvenait pas à détacher ses yeux des deux jambes ni des escarpins de femme qui gisaient à quelques centimètres d'elle, dans l'herbe rouge.
- Madame ? murmura Kate en hésitant à marcher jusqu'à la portière. Madame, tout va bien ?
Evidemment que ça n'allait pas ! Mais c'était les seuls mots qui lui étaient venus à l'esprit et les seuls qu'elle avait réussi à prononcer. Des mots ridicules, insensés, totalement inappropriés mais elle n'avait pas trouvé mieux. S'enhardissant, Kate Silcox parvint enfin à regarder à l'intérieur de l'habitacle pour découvrir une vision d'horreur : la femme était allongée en travers des sièges avant, les deux bras tendus vers la portière opposée comme si elle avait tenté de s'y accrocher. Toute la partie inférieure de son corps, à partir de la taille, semblait avoir été compressée, écrasée, enfoncée. Les chairs étaient éclatées, formaient un amas sanguinolent, amalgamé au tissu de la veste et du pantalon que la femme portait. Kate crut qu'elle allait défaillir quand elle comprit que ce qu'elle avait pris pour des morceaux de bois blancs étaient en fait des débris d'os qui crevaient les chairs. La victime avait visiblement cherché à se réfugier dans le véhicule pour échapper à ... à quoi ? A qui ? Qu'est-ce qui pouvait réduire un être humain à un tel état de bouillie de chair et d'os? Quelle arme avait la capacité de causer de telles blessures ? Brusquement, l'épouvante s'empara de la jeune fille. Ce qui avait massacré la femme pouvait encore être ici, tout près, dissimulé derrière les arbres. Kate hoqueta tout en reculant à petits pas, les yeux rivés sur le visage de la femme, miraculeusement épargné, qui reposait, sur la joue droite, contre le cuir du siège maculé de sang. C'est comme si l'étudiante prenait enfin conscience de la terrible réalité de la scène qu'elle observait. La respiration lui manqua, ses membres furent pris de tremblements incontrôlables et elle chût à genoux, dans l'herbe. Une nausée brutale lui tordit les entrailles. Kate se plia en deux pour vomir son petit-déjeuner, ce qui ne la soulagea même pas. Elle songea à ses parents, en sécurité dans l'appartement de Rouen et qui la croyaient, elle aussi, en sécurité. Il ne fallait pas rester ici. Elle devait absolument s'éloigner de ce carnage et trouver des secours. La camionnette ! En utilisant la camionnette, elle regagnerait le village très rapidement et avertirait quelqu'un. Elle se débarrassa de son sac à dos puis parvint à se relever et à marcher vers le véhicule. Elle concentra son attention sur le tableau de bord mais la clé de contact ne s'y trouvait pas. La jeune fille se mordit les lèvres en pensant à ce qu'elle s'apprêtait à faire ; à ce qu'elle devait faire si elle voulait partir de cette clairière au plus vite. Elle posa sa main tremblante sur le pantalon déchiré et poisseux de sang, s'encourageant à voix basse à persévérer. Chaque minute semblait s'éterniser. Avec répulsion, Kate glissa la main dans la première poche puis dans la seconde. Rien ! Pas de clé ! La camionnette ne lui était d'aucune utilité. Elle finit par chercher à tâtons, au hasard, sous les pédales, dans les boîtes à gants, dans les compartiments installés le long des portières et même dans l'herbe. Elle ne se résignait pas à déplacer le corps. Une autre solution s'imposa alors à elle : pour venir jusqu'à leur maison secondaire, les Derruau avaient probablement utilisé la 206 de Nicolas. Il suffisait à Kate de se précipiter chez eux. La promenade sympathique s'était transformée en un parcours horrifique, semé d'embûches. Les arbres, dont certains gardaient encore leur feuillage flamboyant et tanguaient paresseusement contre le manteau bleu du ciel, n'avaient plus rien de rassurants, au contraire. La jeune fille courut tant bien que mal à travers la clairière, appréhendant de s'aventurer encore une fois dans la forêt mais elle n'avait pas d'autre choix si elle voulait avertir Nicolas. Un faible cri troua le silence, un cri humain qui demandait de l'aide. La jeune fille l'entendit au moment où elle allait atteindre la rangée de chênes sous laquelle le sentier dessinait un ruban grisâtre. Elle s'immobilisa puis tourna sur elle-même, regardant tout autour pour vérifier qu'il n'y avait pas quelqu'un. Puis les pleurs d'un homme s'élevèrent au-dessus des arbres entrecoupés de craquements de branches. Kate se retint pour ne pas hurler car jamais elle n'avait eu aussi peur de toute son existence, jusqu'à aujourd'hui. Que faire ? Fuir ou porter secours ? Les appels reprirent, désespérés.
Désespérants...
A SUIVRE...
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WEEK-END
Mystery / ThrillerA l'occasion d'un week-end dans leur maison secondaire de Giverny, Nicolas Derruau, son épouse Marie et leurs deux enfants sont victimes d'une agression menée par trois jeunes délinquants, fraîchement échappés d'un centre du nord de la France. Un vé...