Il étouffait... Quelque chose de pesant comprimait sa poitrine ; un poids phénoménal qui l'empêchait de reprendre sa respiration. Il se sentait partir comme s'il surnageait entre deux eaux, au bord de l'évanouissement. Il allait se laisser couler tranquillement, pour toujours. La lutte semblait plus éprouvante que le renoncement et l'oubli. Brusquement, alors qu'il tentait encore de résister à l'eau froide qui engourdissait ses membres, il se retrouva dans un long couloir inquiétant, baigné d'une lueur grise. Une odeur fétide de moisi envahit ses narines. Merde, alors ! Il connaissait ce lieu ; cette cave humide où il déambulait parfois avec les gars de l'immeuble. Il venait d'avoir quatorze ans à l'époque, vaquait à ses occupations avec la certitude que rien ne pourrait lui arriver. Rien de fâcheux ou de regrettable. Et évidemment, comme d'habitude, il s'était trompé. Il ne voulait pas rester ici, il préférait encore l'eau glaciale et la noyade. Il savait déjà que dans quelques secondes, son cerveau divaguant allait faire apparaître le monstre au milieu du couloir... le monstre de son enfance ; celui qui lui avait tout volé : son insouciance et les espoirs de sa jeunesse. C'est exactement ce qui se produisit. La silhouette massive du monstre masqua la lumière grise tandis qu'il avançait lentement vers lui
- Bonjour, mon mignon... Ca fait longtemps, pas vrai ? Trop longtemps.
La voix sépulcrale avait la même intonation un peu trainante d'autrefois. Il voulut hurler, se réveiller, mais l'homme se jeta sur lui et le força à toucher son sexe dur qu'il venait d'extraire de son caleçon...
La première fois, le viol s'était déroulé ici, dans cette cave, sans brutalité physique car le monstre, usant de toute sa perversité, avait su endormir la méfiance de sa proie jusqu'à la rendre elle-même responsable de la séance de masturbation réciproque qui s'était déroulée dans l'obscurité. Il avait eu honte immédiatement pendant que l'homme se réajustait avant de disparaître. Il se rappelait encore les mots que le monstre avait prononcés pendant qu'il le caressait : « Un bon p'tit gars, ça c'est sûr... Tu es un bon p 'tit gars et plutôt doué, ma foi...». Il était rentré chez lui, s'était précipité sous la douche, avait lavé son corps pendant plus d'une heure jusqu'à ce que chaque parcelle de sa peau soit devenue couleur rouge vif à force d'avoir été frottée. Il n'avait rien dit à ses parents. Le monstre avait laissé entendre que c'était lui l'initiateur, qu'il s'était contenté de lui rendre service, finalement. Un service sexuel rendu au petit vicieux qu'il était. Alors, il n'avait plus su quoi penser. Avait-il été la victime ou le complice actif de cet acte immonde ?
Les semaines s'étaient succédé les unes après les autres. Son excellente capacité de résilience lui avait permis sinon d'oublier, au moins de supporter ce qui s'était passé dans la cave. Les cauchemars s'étaient faits plus rares, au fil des jours. Il avait fait en sorte de ne plus croiser la route du monstre ; en tous les cas, jamais quand il était seul. Malheureusement, l'homme habitait à quelques mètres de son immeuble dans une petite maison grise devant laquelle il ne passait plus. Parfois, quand il jouait au foot avec ses copains, dans le terrain vague qui jouxtait le supermarché, le monstre jaillissait du coin de la rue et cheminait à petits pas vers le groupe d'adolescents. La Bête fixait sa proie un long moment avant de pénétrer dans le supermarché ou le bureau de tabac pour acheter sa boîte de cigarillos qu'elle fumait en permanence. Il riait plus fort alors en défiant l'homme quand ces rencontres inévitables se produisaient. Rire, pour rejeter au loin la terreur glaciale que les yeux reptiliens du monstre lançaient vers lui. La terreur glissait sur le bitume, tel un fluide maléfique, et quand elle atteignait enfin sa victime, tentait de s'immiscer dans chaque cellule de son corps. Le monstre n'avait pas dit son dernier mot...
Le second viol avait eu lieu presque onze mois plus tard. Un mercredi soir, alors qu'il venait de passer l'après-midi à faire du roller avec son meilleur ami Cédric et qu'il rentrait chez ses parents, l'homme avait surgi soudain devant lui, sans crier gare. Il avait été incapable de la moindre résistance face au monstre et s'était laissé entraîner jusque dans son antre, alors qu'une voix hurlait dans son crâne, appelait au secours tandis que celle du monstre se faisait doucereuse pour l'amadouer. L'homme avait promis qu'il offrirait des romans de Stephen King, des places de cinéma et même des vêtements de marque. Il était revenu de la chambre avec des revues pornographiques et avait forcé l'adolescent à les feuilleter en sa compagnie. Puis il avait frotté son gros ventre contre ses cuisses avant de le violer.

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WEEK-END
Mystery / ThrillerA l'occasion d'un week-end dans leur maison secondaire de Giverny, Nicolas Derruau, son épouse Marie et leurs deux enfants sont victimes d'une agression menée par trois jeunes délinquants, fraîchement échappés d'un centre du nord de la France. Un vé...