- Si ce que vous venez de me raconter est vrai, alors il ne peut s'agir que d'Oscar...
- Pardon ?...Oscar ?
- C'est son nom... le nom que mon père lui a donné. Oscar est notre taureau, vous comprenez ?
- Votre taureau ? fit Kate, désarçonnée par l'affection que l'homme, visiblement, portait à cet animal monstrueux.
- Oui, enfin celui de mon père, André Leroux... Il n'y a que nos animaux dans le coin. Si vous dites qu'un taureau traine dans les parages, alors il s'agit d'Oscar et celui-ci n'a rien d'une bête féroce. Il est doux comme un agneau donc il y a quelque chose de pas net, dans tout ça !
- C'est pourtant un tueur, renchérit l'étudiante un peu agacée par la manière dont Philippe Leroux prenait la défense de cet animal.
- Dans ce cas, si Oscar s'est comporté avec la violence que vous décrivez, c'est qu'on l'y a poussé et qu'il s'est défendu.
Kate ne mentionna pas les pauvres vaches prises pour cible par leurs agresseurs car elle craignait que l'agriculteur ne change d'avis et souhaite immédiatement vérifier l'état de son troupeau. La jeune fille eut la nausée en imaginant la scène de carnage qui avait dû se dérouler dans le pré où paissaient les pauvres bêtes.
Philippe Leroux avait raison. Oscar, son taureau, avait été rendu fou de rage à cause de l'attaque menée par trois délinquants sans limite. Mais, cette explication ne suffisait pas à faire disparaître la terreur et le dégoût que lui inspirait cet animal. Elle l'avait vu à l'œuvre, avait même manqué perdre la vie à cause de lui. Elle avait toujours en tête la vision épouvantable du corps de la femme et de ses membres brisés.
Au sortir du chemin, Philippe manœuvra le tracteur avec dextérité pour lui faire dessiner un large virage afin de revenir vers le sentier. Fabien Gayraud exécuta son demi-tour lui aussi et les deux véhicules entamèrent leur retour en direction du village. Une eau noire dévalait la pente en charriant un monceau de feuilles et de branches cassées. La pluie crépitait sur la carrosserie du tracteur dans un bruit assourdissant de rafales de mitraillettes tandis que la citerne ventripotente glissait dangereusement de part et d'autre des deux bras de traction. Philippe ralentit encore pour éviter les soubresauts trop brusques risquant de déséquilibrer le chargement.
- On évite de monter dans les champs quand il fait un temps pareil, précisa l'agriculteur en haussant le ton pour couvrir les martèlements de la pluie. Evidemment, on pouvait pas prévoir...
« Rien de ce qui est arrivé n'était prévisible... » pensa Kate en caressant machinalement les cheveux de Julie.
Il s'était mis à pleuvoir des cataractes de pluie comme si un gigantesque réservoir venait de se renverser au-dessus de l'habitation. Les arbres tanguaient dans la tempête. Le vent mugissait. Par la seule fenêtre du salon qui n'avait pas été pulvérisée par le taureau, Marie observait la danse frénétique des feuilles. Elle pensa à sa famille, se demandant si celle-ci avait eu le temps de se mettre à l'abri car les heures s'allongeaient et personne n'était encore revenu du village. A présent, la douleur irradiait tout le côté droit de son corps. Quant à Kévin, sa situation était plus inquiétante encore car son ventre était anormalement gonflé, comme déformé par un œdème monstrueux et son visage avait pris la teinte d'un drap mortuaire. Il semblait de plus en plus mal en point.
- Quel temps ! entendit-elle dans son dos.
Elle se retourna, regarda le blessé se redresser pour s'asseoir plus à son aise dans le canapé. Marie avait toujours en tête les derniers mots que celui-ci avait prononcés avant de s'assoupir à nouveau.
- D'où venez-vous finalement ? demanda-t-elle abruptement. Je pense qu'il est temps, compte tenu des circonstances, de raconter un peu votre parcours, vous ne croyez pas ? Pourquoi et comment êtes-vous arrivés chez nous tous les trois ?
Kévin se raidit, hésita. Des frissons parcouraient son corps malgré l'épaisse couverture qui le recouvrait. Il s'affaiblissait de minute en minute. Pendant un instant, il imagina ce que l'on dirait de lui quand toute l'histoire serait divulguée. Il savait que les médias le décriraient certainement comme un délinquant irresponsable et violent mais il frémit à l'idée qu'on pouvait lui imputer le meurtre du lycéen de Beauvais. Ca, il ne pouvait l'accepter ! Johann avait disparu, Christophe était mort, probablement. Il ne restait plus que lui pour l'instant. Il ne voulait pas mourir sans avoir livré sa version des faits ; celle qui correspondait à la vérité. Cette femme qu'il avait lui-même molestée quelques heures auparavant serait en quelque sorte son confesseur.
Alors, à voix basse au début puis d'une manière beaucoup plus affirmée, il raconta à Marie tout ce qui s'était déroulé depuis leur fuite de l'institut jusqu'à leur intrusion dans La Forestière. Il ne lui épargna aucun détail, ne chercha pas à se déresponsabiliser, ne tenta jamais de susciter chez son auditrice la moindre compassion. Marie écouta sans interrompre, profondément choquée par tout ce que le garçon lui confiait. Ils avaient volé, agressé plusieurs personnes, tué des animaux, assassiné un lycéen avant de brutaliser une famille entière. Tout cela en quelques heures. Le lycéen... n'était-ce pas de lui dont parlait le speaker, l'autre soir, alors qu'ils roulaient en direction de Giverny ? Un jeune homme était porté disparu. Marie croyait se rappeler qu'il résidait à Beauvais... Mort, poignardé par un gamin âgé de douze ans puis immergé dans les eaux saumâtres d'une mare, en pleine forêt ! Un cauchemar...
Kévin la dévisagea un long moment comme s'il cherchait à lire dans ses pensées puis il ajouta :
- Nous voulions simplement aller nous amuser tout un week-end, à Paris, Johann et moi. Je ne sais pas comment ni pourquoi mais Christophe a été mis dans la confidence... à moins qu'il n'ait lui-même mis ce projet dans la tête de Johann. Je ne l'ai jamais senti ce gars-là... J'ai ma part de responsabilité et Johann a la sienne... On sait bien que ce qu'on a fait, c'est pas bien ni juste mais Christophe, lui... Il n'a aucune limite, madame. Christophe est fou...Tout a dérapé par sa faute ! Il déteste tout le monde ou presque et il a des problèmes... des problèmes sexuels, j' veux dire. Il a forcé plusieurs résidents du centre à... à faire des choses pas très nettes avec lui. Il s'en prend toujours à des plus jeunes ou des plus faibles que lui, évidemment. Tout le monde le sait là-bas, enfin excepté les adultes. Il fait des fixations sur certaines personnes et il ne lâche rien, s'entête, conspire, manipule tout le monde jusqu'à ce qu'il parvienne à ses fins. L'infirmière de l'institut lui plaisait beaucoup. Le soir, dans la chambrée, il nous racontait toutes les cochonneries qu'il aurait aimé faire avec elle. On avait beau lui dire de se taire, il continuait, recommençait le lendemain. Il a fini par passer à l'action : il l'a agressée, elle aussi.
Il fit une pause durant de longues minutes comme s'il cherchait avec précision les mots qu'il allait utiliser avant de reprendre le fil de son récit.
- C'est terrible ce que je vais vous dire mais la mort de Christophe, dans cet accident de voiture, eh bien, c'est la meilleure chose qu'il pouvait arriver... Nous étions tous en danger avec lui et...
- Et ? insista la jeune femme pour l'encourager à poursuivre.
- Et surtout vous puis l'autre fille mais dans une moindre mesure... Ce soir-là, dès qu'il vous a vue, près de l'automobile, tandis que nous avancions tous les trois dans votre direction, après avoir assommé votre mari, Christophe n'a eu qu'une idée en tête.
Marie fit un signe de dénégation comme pour signifier que ça suffisait, qu'elle ne voulait plus rien savoir mais Kévin se méprit sur la signification de ce mouvement de la main:
- Il voulait abuser de vous... Il nous encourageait à tous le faire, à tour de rôle...
- Taisez-vous, s'il vous plait ! ordonna la jeune femme d'une voix gutturale. Taisez-vous donc...
- Ne vous inquiétez pas, m'dame ajouta le blessé. Jamais je ne lui aurai permis de vous faire du mal. Ni à vous et ni à aucun membre de votre famille...
Marie tourna son visage vers la fenêtre, les lèvres serrées, le cœur palpitant, se plongeant à nouveau dans la contemplation des éléments, pour oublier, ne serait-ce qu'un instant, tout ce qu'elle venait d'entendre...
A SUIVRE...

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WEEK-END
Tajemnica / ThrillerA l'occasion d'un week-end dans leur maison secondaire de Giverny, Nicolas Derruau, son épouse Marie et leurs deux enfants sont victimes d'une agression menée par trois jeunes délinquants, fraîchement échappés d'un centre du nord de la France. Un vé...