WEEK-END

Week-end suite 23

L'animal s'acharnait sur le tronc d'arbre. Les coups ébranlaient le hêtre sur sa base tandis que les feuilles couleur or se décrochaient une à une et flottaient dans le vide avant de rejoindre le sol dans une danse aussi légère qu'aérienne. Le vieil homme se cramponnait aux branches avec toute la vigueur qu'il lui restait et malgré la fracture ouverte qui lui occasionnait une souffrance insupportable. D'ailleurs, sa plus grande crainte était de s'évanouir d'autant plus qu'il avait perdu beaucoup de sang. Il regarda encore une fois l'os blanc qui crevait le muscle de son mollet et réitéra ses appels au secours. Il ne comprenait toujours pas comment ce drame avait pu se produire, ni comment - malgré sa blessure - il avait eu assez de force pour se traîner jusqu'ici et se hisser dans l'arbre. Il se rappelait seulement les cris d'effroi de sa compagne quand l'ombre grise du taureau s'était allongée sur le pare-brise, masquant leur champ de vision, telle une créature démoniaque surgie des Enfers.

Ensuite il y avait eu un choc, le bruit métallique d'une portière qui s'ouvre, une douleur fulgurante à la tête puis le trou noir... Quand il avait rouvert les yeux, il avait constaté qu'il gisait dans l'herbe, loin de la camionnette, et que sa jambe droite était curieusement tordue... Il songea à son amie. Avait-elle été également éjectée? Il n'avait pas eu le temps de le vérifier puisque le taureau était revenu à la charge, faisant rebondir le véhicule sur les mottes de terre, comme s'il s'agissait d'un vulgaire jouet d'enfant. Le vieil homme en avait profité pour gagner le sous-bois. Il cria le prénom de sa compagne plusieurs fois de suite mais seul le souffle rauque du taureau, juste en dessous de lui, lui répondit. L'arbre résista à un nouvel assaut en craquant de façon sinistre.

- Au secours ! hurla le malheureux, la voix transformée par la terreur. Par pitié, quelqu'un... Aidez-moi !

Il baissa la tête en direction du sol. Ses yeux croisèrent les yeux ronds et noirs de l'animal. Il avait le sentiment effroyable que celui-ci évaluait sa capacité de résistance. Le monstre de muscles n'était que frémissements, halètements  profonds, piétinements impatients... Un être dont la nature entière semblait être programmée pour écraser et pulvériser. Quelque chose remua derrière l'animal et attira l'attention du vieillard. Une jeune fille venait d'apparaître à travers les broussailles ! L'homme n'était malheureusement pas le seul à avoir aperçu la jeune fille. Le taureau se dirigea immédiatement vers Kate Silcox...

Kévin s'avança au milieu de la chambre et annonça à toute la famille qu'ils partaient tous les trois. Puis il précisa en fixant Nicolas :

- C'est le mieux que nous ayons à faire, de toute façon. On ne vous ennuiera plus, c'est promis...

Nicolas eut l'impression que le jeune homme semblait soulagé en prononçant ces derniers mots, peut-être autant que tous les membres de la famille réunis. Un peu sonnés par cette annonce qu'ils avaient tant espéré entendre depuis des heures, Nicolas et Marie ne trouvèrent rien à répondre. La jeune femme restait oppressée et supposait que le soulagement viendrait plus tard, une fois que ces garçons seraient sortis définitivement de leur existence. Le visage de Kévin afficha un sourire un peu triste tandis qu'ils observait les mines défaites des prisonniers.

- Vous n'êtes pas censés me croire mais je vous assure que je regrette tout ce qui s'est passé... Nous vous avons effrayés et même molestés... Christophe et Johann sont ... Ce sont des brutes, je pense qu'on peut dire cela, pas vrai ?

Ils acquiescèrent d'un hochement de tête, sans réfléchir. Marie se rappela la scène pénible qui venait de se dérouler dans le salon, quelques minutes auparavant. Kévin aussi était une brute. Il n'avait pas hésité à la menacer avec le couteau. Aurait-il hésité à enfoncer la lame dans sa gorge si Nicolas n'avait pas obtempéré ? La jeune femme n'était pas certaine d'avoir envie de connaître la réponse à cette question.