Vendredi 24 Octobre, dans un train en direction de Paris/gare du Nord, 13h17.
L'arrivée à la gare de Beauvais était prévue dans une dizaine de minutes ce qui lui laissait juste le temps de vérifier les titres de transport des derniers passagers. La jeune femme aux longs cheveux roux rendit son billet à la voyageuse et, de sa voix commerciale, lui souhaita un agréable voyage jusqu'à Paris. A cette heure intermédiaire de la matinée, il y avait peu de passagers ; l'essentiel du flux des usagers se répartissant surtout entre le train de 5h55 et celui de 6h45. De nombreux salariés travaillant à Beauvais et surtout à Paris empruntaient quotidiennement la ligne et les wagons étaient souvent bondés. Le même phénomène se produisait le soir, à partir de 17 heures, mais cette fois-ci dans la direction opposée. Plus il y avait de monde et plus il y avait du travail pour l'équipe de contrôleurs - au nombre de quatre - qui officiait pendant ces créneaux horaires particuliers. Le matin, encore à moitié endormis, les passagers n'étaient pas toujours de bonne humeur et le soir ils étaient excédés soit par la chaleur, soit par la fatigue de la journée, ou parce qu'ils avaient hâte de retrouver leurs pénates. Il fallait sans arrêt désamorcer les tensions quand un voyageur s'énervait parce que le train avait quelques minutes de retard ou qu'un autre grognait parce qu'il ne parvenait pas à dénicher un siège inoccupé. Il fallait sourire, toujours, même quand un goujat vous insultait et rassurer, encore, quand une vieille dame craignait de rater sa correspondance à la gare d'Abancourt sans oublier les resquilleurs qui obligeaient les contrôleurs à leur faire la chasse à travers les compartiments. Il s'agissait toujours des mêmes individus : des jeunes désœuvrés, pour la plupart, ou des étudiants fauchés qui ne payaient jamais leurs abonnements.
Mais aujourd'hui, la jeune femme était de service de dix heures à seize heures. Elle savait que la journée serait calme et tranquille. Les quelques voyageurs étaient composés de jeunes mamans, accompagnées de leurs enfants ou de retraités qui allaient se promener à Beauvais pour faire des courses.
Elle fit coulisser la porte d'un compartiment et salua un couple de personnes âgées. L'homme et la femme se tenaient étroitement serrés, l'un à côté de l'autre comme s'ils s'excusaient presque d'occuper tant de place. Face à eux, sur la banquette opposée, un adolescent blond regardait tranquillement le paysage qui défilait derrière la vitre.
Le vieux monsieur tendit son billet à la contrôleuse. La jeune femme remarqua que la main de l'homme tremblait puis elle découvrit une trace de sang au coin de son œil gauche.
- Merci monsieur... Tout va bien ? fit elle, intriguée par le regard désespéré qu'il lui lançait. Il ouvrit la bouche pour lui répondre mais ne prononça aucun mot. Son épouse continuait à fixer intensément le jeune passager dont l'apparente tranquillité semblait artificielle. La jeune femme comprit immédiatement que quelque chose d'insolite était en train de se produire. Quand elle se tourna vers le jeune garçon, elle aperçut le sac à main de la vieille dame, posé sur le siège, juste à côté de lui. Ce n'était pas une situation normale. La passagère aurait dû avoir son sac à main auprès d'elle ou sur ses genoux.
- Bonjour jeune homme, votre billet s'il vous plait...
Aucune réaction, aucune réponse.
- Votre billet, s'il vous plait...
La vieille dame agrippa le bras de son mari et se recroquevilla tant qu'elle put contre lui. L'adolescent sauta au cou de la contrôleuse et la renversa sur la banquette. Le couple se redressa. La femme commença à hurler tandis que son époux tentait de porter secours à la jeune femme que l'agresseur étranglait.
La porte s'ouvrit brutalement et deux autres adolescents s'engouffrèrent dans le compartiment. Le plus âgé tenait une carabine par la crosse. La passagère se tut immédiatement et retomba mollement sur son siège. Le plus jeune des arrivants repoussa le vieux monsieur sur la banquette et lui ordonna de se calmer où on allait lui faire la peau. Son compagnon dont la haute stature contrastait avec celle, plus fluette, de ses deux comparses, se pencha sur la contrôleuse presque évanouie et l'aida à se rasseoir tandis que son agresseur se désintéressait d'elle pour vider le contenu du sac à main sur le siège et dérober les quelques euros qui s'y trouvaient.
- Vous avez ce que vous voulez... parvint à murmurer le vieux monsieur, tout tremblant. Ne nous faites pas de mal !
- Ta gueule, le vioque...grogna le plus petit des trois jeunes dont les yeux clairs, acérés, lançaient des éclairs. On peut te couper les couilles, si on veut...
Le train commença à ralentir et une voix masculine – celle du collègue de la contrôleuse qui peinait à retrouver sa respiration – s'éleva dans l'habitacle pour annoncer l'arrivée imminente du convoi en gare de Beauvais.
- Ne bougez surtout pas d'ici ! murmura Kévin à l'oreille de la jeune femme. Si vous tentez quoi que ce soit, vous le regretterez.
La jeune femme acquiesça d'un hochement de tête sans oser regarder le fût de la carabine que le type promenait devant son visage. Tout de bon neutralisé, le couple de retraités s'était réfugié contre la vitre et l'homme caressait le visage de son épouse qui pleurait en silence. Ils étaient en état de choc et ne réagissaient plus.
Les trois garçons firent coulisser la porte puis s'assurèrent que la voie était libre. Ils avaient à peine atteint l'extrémité du couloir qu'ils entendirent le sifflet de la contrôleuse retentir derrière eux.
- Merde, j'ai pas pensé à lui arracher son sifflet... On ne peut plus envisager d'aller à Paris en restant dans ce train, dit Kévin en bousculant un passager qui s'apprêtait à débarquer.
L'homme grommela mais quand il vit l'arme préféra regagner l'intérieur du compartiment qu'il venait de quitter.
- Qu'est-ce que tu proposes, alors ? demanda Johann, essoufflé.
- On descend ici et on trouve un autre moyen de locomotion pour gagner la capitale, c'est plus sûr...
En traversant le wagon suivant, ils furent gênés par les passagers qui, en file indienne, encombraient le couloir. Kévin dissimula la carabine sous le pan de son manteau. Comme Christophe commençait à s'agiter, il lui fit signe de se reprendre car il allait finir par attirer l'attention des voyageurs. La porte extérieure s'ouvrit et le flux se répandit sur le quai. Les trois garçons évitèrent de regarder derrière eux et ils marchèrent vers la sortie de la gare, à pas pressés. Une fois à l'air libre, ils partirent en courant sous l'œil intrigué de deux ou trois passants, avant de disparaître au coin de la rue.
A SUIVRE...
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WEEK-END
Mystery / ThrillerA l'occasion d'un week-end dans leur maison secondaire de Giverny, Nicolas Derruau, son épouse Marie et leurs deux enfants sont victimes d'une agression menée par trois jeunes délinquants, fraîchement échappés d'un centre du nord de la France. Un vé...