Week-end suite 57

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La réunion de famille se déroulait dans la grande salle à manger de la ferme. S'ils avaient tous envisagé la mort d'André comme un évènement naturel inscrit dans la logique des choses – puisqu'il était vieux et usé par sa longue existence – ils n'avaient jamais imaginé que son agonie pourrait prendre cet aspect tragique.

Comme s'il voulait déjà les préparer à cette éventualité, le médecin avait insisté tout à l'heure en précisant que si le vieil homme était bien victime d'une attaque cérébrale et s'il s'en sortait, il risquait néanmoins de garder de terribles séquelles qui le laisseraient diminué, handicapé, incapable de s'exprimer pendant des mois voire des années. André était un homme fier qui ne supporterait jamais cette nouvelle condition si les prédictions du médecin se confirmaient. Qui veillerait sur lui ? Car il était hors de question de le laisser à l'hôpital ou de le placer dans un centre médical spécialisé. Chez les Leroux, quand le moment de passer le flambeau était venu, on mourait à la maison et dans son lit, entouré des siens. Ses fils, pris par leurs activités quotidiennes seraient incapables de s'occuper d'André.

Caroline avait déjà proposé de prendre le vieillard sous son aile car finalement, n'était-ce pas ce qu'elle avait fait depuis qu'elle était devenue l'épouse de Louis ? Veiller sur chaque membre de cette famille et s'assurer qu'il ne manquait de rien ? Mais Louis, justement, n'était pas d'accord pour que son épouse assume seule la charge du malade. Sa femme prenait déjà beaucoup trop de responsabilités dans cette famille. Certes, elle était la plus âgée des brus et certainement l'une des préférées d'André même si celui-ci, trop retors et bourru, ne l'avait jamais clairement reconnu. C'était également la plus expérimentée puisqu'avant d'épouser Louis, elle avait exercé un temps la profession d'infirmière libérale. Vincent avait envisagé d'avoir recours au service d'une aide-soignante pour seconder Caroline si la tâche s'avérait trop difficile et les autres femmes de la famille avaient proposé leur aide, évidemment. Dans un coin de la pièce, Raphaël rongeait son frein, le visage fermé, les bras croisé sur son torse étroit d'adolescent. Il vénérait littéralement son grand-père même si celui-ci le rabrouait souvent ou piquait des colères aussi soudaines qu'inexplicables. Le jeune garçon considérait que son père, ses oncles, ses tantes allaient un peu vite en besogne : Papy n'avait pas encore dit son dernier mot et Raphaël était persuadé qu'il allait vite se rétablir. Il fallait s'accrocher à cet espoir, prier pour que le téléphone sonne et annonce que Papy avait recouvré la globalité de ses facultés motrices.

- Une attaque cardiaque foudroyante, c'est bien ce qu'a dit le docteur ? dit Jean-Paul en triturant sa longue moustache brune.

- Il a dit que ça pouvait être ça mais que papa pouvait également présenter les symptômes d'un ictus apoplectique, précisa Gérard. D'après ce que j'ai compris, dans l'éventualité où papa serait bien victime d'un ictus, les prochaines vingt-quatre heures seront décisives. Si les symptômes régressent pendant ce laps de temps, il devrait s'en remettre assez vite... De toute façon, il faudra attendre les résultats des examens pour en être certain.

- Il avait l'air tellement désemparé, il m'a fait pitié, le pauvre bougre...

- Mais enfin, qu'est-ce qui a pu provoquer cette crise ? Il allait très bien dans l'après-midi.

- Tu oublies qu'il s'est mis la pression avec cette histoire stupide de grasse matinée, rappela la jolie Ophélie... A cet âge, le moindre emportement peut nuire à la santé.

Philippe acquiesça de la tête puis déposa un baiser léger sur le front de sa jeune épouse.

- C'est peut-être affreux ce que je vais dire, ajouta-t-il mais s'il devait rester dans cet état, eh bien je préfèrerais qu'il meure maintenant, paisiblement...

WEEK-ENDOù les histoires vivent. Découvrez maintenant