Week-end suite 12

33 10 6
                                    


Vendredi 24 Octobre, 14h30, Giverny.


Le rouge-gorge sautilla jusqu'au banc de pierre afin de se rapprocher du plat ébréché. A travers les rideaux, Bérengère Aymar espionnait le manège de l'oiseau et elle resta quelques minutes à l'observer tandis qu'il picorait les morceaux de pain qu'elle avait ramollis tout à l'heure en les trempant dans l'eau tiède. « Allez ma vieille, secoue-toi un peu, tu as du boulot ... ». Elle fit rapidement la vaisselle puis passa l'aspirateur. Le cadran de la pendulette lui indiqua qu'il lui restait encore un peu de temps avant de monter à La Forestière. L'après-midi était baigné d'une lumière dorée et froide. Bérengère adorait ce type d'atmosphère emplie des prémices de l'hiver quand la nature paraît s'assoupir, peu à peu. Elle décida de profiter des rayons roux du soleil d'octobre et, après avoir revêtu un manteau épais, entreprit de balayer l'allée dallée du jardin. Celle-ci était envahie par les feuilles rousses de la vigne vierge que les courants d'air amoncelaient à cet endroit.

- Tu en fais trop, Bérengère... marmonna une voix qu'elle reconnut aussitôt.

- Bonjour, Edmond... Je te signale que je ne suis pas encore morte !

Elle fit un signe de la main à l'attention de son voisin qui lui souriait par-dessus la haie clairsemée.

- N'as-tu rien d'autre à faire ? Tu m'espionnes encore ?

- Je te surveille, nuança le vieil homme. Clara m'a dit : « Edmond, je compte sur toi pour veiller sur ma tante et l'empêcher de se fatiguer inutilement. ». Alors, c'est ce que je fais...

Elle rit et balaya les dalles avec encore plus de vigueur.

- Clara est une vraie mère poule et c'est une angoissée chronique ! Tu sais bien qu'elle a tendance à toujours tout exagérer...

- Tu ne vas tout de même pas lui reprocher de se faire du souci pour toi, quand même ? Il y a tellement de personnes de notre âge qui sont seules et abandonnées, de nos jours... Tu as de la chance d'avoir une nièce comme Clara, près de toi.

Edmond Dufour longea la haie pour réapparaître devant le portillon du jardin de sa vieille amie.

- Je n'ai jamais dit le contraire, répondit Bérengère en ramassant une brassée de feuilles. Mais je pense que Clara devrait surtout penser à elle, c'est tout. Je m'inquiète pour son avenir si tu veux le savoir...

- Cela aussi, c'est interdit pour toi en ce moment ! Tu ne dois songer qu'à ta guérison.

- J'ai atteint un âge respectable, mon cher, et la guérison se fera ou ne se fera pas. Je n'ai aucune crainte à ce sujet car l'essentiel de ma vie se trouve à présent derrière moi. J'affronterai mon destin comme je l'ai toujours fait mais contrairement à moi, Clara est encore une jeune femme qui se retrouve toute seule pour élever deux enfants. Comme si cela ne suffisait pas, elle vient d'être licenciée ! Comment veux-tu que je ne me fasse pas du souci pour elle ?

- Clara n'est pas la première à divorcer ni à perdre son emploi. C'est un coup dur, je te l'accorde car tout est arrivé en même temps mais ta nièce a de la ressource et je suis certain qu'elle saura réagir... La terre continue de tourner, Bérengère.

- Absolument, Edmond, et c'est la même chose pour moi ! Mon cancer - elle frissonna malgré elle en prononçant le nom de sa maladie - mon cancer n'a pas modifié ou stoppé les rotations de notre vieille planète Terre, alors cesse donc de t'inquiéter inutilement pour moi. J'ai le droit de balayer ma cour si j'en ai envie et sans avoir de comptes à te rendre !

- Touché, Bérengère, mais je vais continuer quand même à te surveiller... Au fait, n'oublie pas que tu dînes chez moi, ce soir.

Elle soupira, faussement agacée et en définitive secrètement flattée par la considération qu'il lui portait.

- Comme ça, tu pourras encore mieux me surveiller, vieux fripon ! Eh bien, à ce soir Edmond.

Elle lui tourna le dos pour aller jeter les feuilles sur le tas de déchets...


A SUIVRE...

WEEK-ENDOù les histoires vivent. Découvrez maintenant