Week-end suite 7

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Ils venaient à peine de quitter Rouen que Julie somnolait déjà à l'arrière du véhicule, la tête reposant sur sa peluche qui faisait office d'oreiller improvisé. Calée entre la petite fille et son grand frère, les oreilles dressées, les yeux ronds comme des billes, Scarlett étudiait chaque véhicule qui dépassait celui de ses maîtres, cherchant à déterminer la catégorie dans laquelle il fallait « ranger » l'intrus : ami ou ennemi... Un léger grondement s'échappait de sa gueule quand l'animal considérait qu'une automobile les croisait d'un peu trop près. Marie se sentait de plus en plus accablée tandis qu'ils s'éloignaient de la ville car la distance qui s'amenuisait indiquait qu'une échéance fatidique se profilait et que tout serait différent dans quelques heures. La jeune femme n'avait pas encore réfléchi au moment considéré comme le plus propice pour annoncer la nouvelle à sa famille. Si la journée était belle demain - et visiblement elle le serait puisque la météo prévoyait non seulement du soleil mais des températures presque estivales au moins pour samedi – ils essayeraient peut-être de descendre à pied jusqu'au musée Claude Monet. Il y avait tellement longtemps qu'elle n'avait pas flâné dans les rues du village. Même si le caractère authentique de celui-ci s'était beaucoup altéré au fil des ans en raison de la fréquentation touristique, Marie aimait encore y musarder, surtout à cette époque de l'année, quand les rues du village se vidaient de leur flot de visiteurs. Certes, elle regrettait que les chambres d'hôtes, beaucoup trop nombreuses à son goût, aient remplacé les services de proximité qu'on y trouvait autrefois telles les deux épiceries et la charcuterie. Certes, les fleurs qui décoraient les façades et les terre-pleins dans la rue principale ou aux alentours des deux musées semblaient superfétatoires puisqu'on les avait plantées là pour offrir aux touristes le spectacle artificiel d'un monde bucolique qui n'existait plus en définitive depuis très longtemps. Mais Giverny restait le village de son enfance ; celui où elle avait grandi et puis Marie l'associait intimement à la personnalité de son père. Elle gardait donc pour lui, malgré ces évolutions inévitables, une tendresse toute particulière...

Au retour de la promenade, devant une bonne tasse de chocolat chaud, il serait plus facile d'aborder le sujet qui la préoccupait tant... Elle n'en savait rien finalement. Néanmoins, il lui semblait que ce serait plus aisé d'en parler ainsi tranquillement en essayant surtout de dédramatiser la situation même si elle se doutait pertinemment que Nicolas - et surtout les enfants - auraient du mal à la comprendre. Elle se rappela soudain l'invitation à déjeuner de Bérengère et se dit qu'il faudrait probablement l'annuler. Aucun d'entre eux n'aurait l'envie de faire illusion ni de jouer à la belle petite famille unie après la conversation de la veille. D'ailleurs, Marie comptait mettre Bérengère très rapidement dans la confidence dès que Nicolas et les enfants seraient informés.

Les Derruau firent un arrêt d'une demi-heure à Pont-de-l'Arche pour faire des courses au supermarché et un plein de gazole avant de reprendre la route en direction de la ville de Vernon, encombrée comme tous les vendredis soirs. Nicolas était tendu mais cherchait à ne rien laisser paraître de son stress. Malgré tout, deux rides nouvelles et profondes traçaient un sillon irrégulier en travers de son front. Il avait déjà compris en observant à la dérobée le visage exsangue de son épouse qu'elle s'apprêtait à lui annoncer quelque chose d'important, quelque chose qu'il n'avait pas envie d'entendre mais qu'il lui faudrait pourtant écouter. Bon dieu, comme il s'en voulait ! Il était trop tard à présent. Il devrait s'incliner devant les choix de sa femme. Sa gorge se serra tandis qu'il essayait d'imaginer son existence future sans la présence de Marie à ses côtés. Une impression de vide effroyable l'envahit, privant soudain ses bras de force. La voiture mordit la bordure de la route et Marie poussa un grand cri.           

- Eh ! Tu dors ou quoi ? Tu as failli nous flanquer dans le fossé !

- Oups ! Un moment d'inattention...

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