WEEK-END

Week-end suite 64

Vendredi 24 Octobre, coteaux de Giverny, 16h45.

Le ciel s'obscurcissait de minute en minute et la nuit semblait imminente. Le chat avait repéré une musaraigne qui, inconsciente du danger, s'agitait sous un tas de feuilles desséchées dont les soubresauts incongrus avaient attiré l'attention vigilante du félin.

Le coup de feu le faucha en plein saut. Ses poils blancs rougirent instantanément. Le chat roula dans les feuilles puis se tordit de douleur sans émettre un seul cri. Des gouttes écarlates jaillirent de ses yeux et de ses oreilles. Johann abrégea l'agonie de l'animal d'un second coup de feu.

- Je l'ai eu ! s'écria-t-il en s'extirpant des broussailles. Non mais regardez-moi un peu tout ce sang !

Christophe arracha la carabine des mains de Johann.

- C'est mon tour... mais tuer un vulgaire chat, c'est minable si tu veux mon avis ! Moi, j'aime les cibles un peu plus grosses.

- Pauv' débile ! gronda Kévin en reprenant la carabine d'un geste sec. Tu n'as pas eu ta dose ? On est foutus à cause de ta connerie ! Tu sembles complètement oublier que tu as massacré ce garçon, sans aucune raison...

- Je t'ai déjà dit de me parler sur un autre ton et puis il voulait se barrer... C'est lui qui l'a cherché !

Pendant une fraction de seconde, Kévin faillit pointer l'arme dans la direction du jeune criminel et appuyer sur la gâchette pour le faire taire une bonne fois pour toute mais, encore une fois, l'intervention de Johann permit à Christophe d'échapper à une punition définitive.

- Fermez-la bon sang ! Ce qui est fait est fait... On va pas revenir là-dessus cent-sept ans, merde à la fin !

Kévin les dévisagea à tour de rôle comme s'il prenait enfin réellement conscience du danger que représentaient ses deux partenaires. Comment avait-il pu être assez stupide pour se laisser entraîner dans cette aventure en compagnie de tels dégénérés ?

- Je ne veux pas rester ici, dit-il distinctement. Nous devons absolument rentrer au centre et tout raconter...

- C'est ça, bien sûr ! rétorqua Johann. Pour finir en taule ? Tu oublies une chose : tu tombes avec nous si tu relates ce qui s'est passé dans cette forêt... Je n'ai tué personne, ni toi non plus. Mais nous avons aidé à dissimuler le corps. Avec nos antécédents, tu crois que les flics et les juges vont nous croire très longtemps ? Nous sommes tous les trois des coupables désignés d'office même si c'est ce petit con qui a tout fait...

Christophe souriait, comme totalement déconnecté de l'objet de la conversation.

- T'as la frousse, hein ? ricana-t-il en défiant Kévin du regard.

- J'ai pas la frousse... Tu me dégoûtes, c'est tout !

Christophe haussa les épaules avec une désinvolture qui choqua Kévin et il regarda l'adolescent gringalet enjamber le vélo de course qu'il avait dérobé à un cycliste une demi-heure auparavant. En deux coups de pédale, Christophe rejoignit Johann qui s'éloignait déjà sur le sentier.

La carabine en bandoulière, Kévin hésita. Il pouvait s'enfuir, là, tout de suite et prévenir quelqu'un mais il était le plus âgé des trois. Il était donc censé être aussi le plus responsable. Johann avait probablement raison : qui pourrait penser une seule seconde qu'il n'avait pas participé activement au meurtre du lycéen ? Il avait bien agressé des passagers dans un train, puis volé une automobile... Pour ce jeune homme fragile, il n'y avait plus d'échappatoire. Il se trouvait encore une fois englué dans une sale affaire et il ne savait pas comment s'en sortir. Qui sait si les deux autres, très complices, n'allaient pas tout lui coller sur le dos ? En les surveillant, peut-être pourrait-il au moins les empêcher de récidiver et de commettre un autre assassinat ? En désespoir de cause, il courut rejoindre les deux adolescents.

- Eh, c'est quoi là-bas ? fit Christophe en indiquant quelques gros points blancs et noirs que l'on apercevait au loin, au milieu d'un champ.

A SUIVRE...