Week-end suite 29

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La balle décrivit un arc de cercle, passa au-dessus de la grille, roula en travers du sentier avant de disparaître au milieu des fougères qui bordaient la forêt. Julie encouragea la chienne à lui rapporter la balle mais Scarlett refusait obstinément de s'éloigner du perron.

- Viens par ici, Scatt' ! insista la fillette, les mains sur les hanches. Faut plus rentrer dans la maison, tu sais... Pas tant que les autres s'y trouveront car ils vont essayer de te faire du mal, autrement... Alors, on va jouer toutes les deux ensemble en attendant, ok ?

Le Beagle jappa faiblement mais ne bougea pas.

- La balle, coquine... Tu dois me la ramener comme on fait d'habitude à Rouen quand on va au parc avec papa et maman.

Le soleil d'octobre illuminait le ciel dont la profondeur bleutée commençait à être grignotée par un convoi de nuages crémeux. Julie s'amusa à filtrer la lumière du soleil à travers ses doigts puis se résigna à aller récupérer elle-même la balle. Le front soucieux, la chienne observa sa petite maîtresse s'éloigner de la maison avant de traverser le chemin. Quand Julie écarta les fougères, la chienne gémit et fila se dissimuler sous l'automobile, la queue entre les pattes. Julie ramassa la balle puis revint vers l'habitation. Elle poussa la grille, se retourna pour la refermer et découvrit un taureau qui sortait du bois dans un bruissement de feuilles. La fillette l'admira pendant plusieurs secondes, subjuguée par la longueur de ses cornes, la largeur de son encolure et l'apparente dureté de ses muscles. Elle se rappela la magnifique statue de marbre qu'elle avait admirée avec maman au musée du Louvre, le mois précédent. Maman avait expliqué à Julie que la statue représentait une divinité de l'Antiquité ou quelque chose comme ça. Le taureau ressemblait à la statue. Il en avait la robustesse et la couleur également. Mais ces taches sombres sur son poitrail, qu'est-ce que c'était ? La queue blanchâtre du taureau remua nerveusement et l'animal trottina en direction de la fillette. Scarlett poussa un cri plaintif avant de disparaître derrière la maison. Julie la suivit en riant.

- N'aie pas peur, bécasse ! C'est un taureau qui se promène... Un gentil taureau !


- Regarde, Nicolas... Dans le jardin, c'est Julie, avec Scatt' ! Elle est vivante, mon dieu...

Nicolas et Marie coururent jusqu'à la fenêtre. En bordure de la forêt, leur petite fille s'amusait à pousser une balle du pied. La chienne disparut au milieu des broussailles et Julie commença à l'appeler.

- Comment se fait-il qu'ils l'aient laissé sortir ? Et où est Sébastien ? s'enquit la jeune femme, soudain très angoissée.

- C'est étrange, effectivement... Ils nous ont dit qu'ils partaient, que Seb nous ouvrirait un peu plus tard et depuis... plus rien.

Quelques minutes auparavant, ils avaient bien perçu les bribes d'une conversation à travers le panneau de la porte mais sans en saisir la teneur. Nicolas envisageait à présent de contourner la maison en passant par la fenêtre. Le fait que Julie se trouve dans le jardin, sans surveillance et livrée à elle-même, renforça sa décision.  Il tournait le bec-de-cane lorsque le rideau d'arbustes qui faisait office de clôture naturelle à l'est de la propriété se mit à remuer vigoureusement avant qu'une masse immaculée ne le pulvérise.

- Bon sang, qu'est-ce que c'est que ça ?

Marie eut un mouvement de recul puis resta pétrifiée à observer le taureau qui s'ébrouait comme un jeune chien. L'animal chercha des yeux la fillette qui lui tournait le dos. Il semblait vaguement intéressé par la minuscule créature qui continuait à pousser sa balle.

- Je vais la chercher ! dit Nicolas en enjambant le rebord de la fenêtre. Ces sales cons ne sont pas fichus de surveiller notre fille !

- Fais vite, je t'en supplie !

Julie aperçut immédiatement son père qui venait de sauter à pieds joints dans l'herbe et elle oublia sa balle pour le rejoindre. Nicolas lui fit signe de ne plus bouger puis annonça que c'était lui qui irait jusqu'à l'endroit où elle se trouvait. Julie n'entendit pas ou ne comprit pas les recommandations puisqu'elle poursuivit sa course. Nicolas l'atteignit au milieu du jardin, la souleva à bout de bras et fit demi-tour lentement pour regagner la maison. L'air placide, le taureau observa le père et sa fille pendant une à deux secondes avant qu'un déferlement brutal d'images de veaux morts et de vaches terrorisées n'envahisse son cerveau bovin. Son attitude changea immédiatement et il se lança à la poursuite des deux créatures. Nicolas se précipita vers la fenêtre grande ouverte. Ses yeux, dilatés par la terreur, s'accrochaient à cette ouverture béante - son seul espoir de survie ! - derrière laquelle son épouse s'agitait.

- Plus vite, Nicolas... Plus vite !

Il essaya d'accélérer mais la tension des dernières heures combinée au poids de Julie le privait de toute possibilité de le faire. Il avait l'horrible impression que les mètres qui le séparaient de la maison s'allongeaient à vue d'œil. D'une voix devenue stridente, Marie l'exhortait à courir plus vite, très vite ; encore plus vite. Nicolas comprit que le taureau gagnait du terrain quand sa femme s'assit sur le rebord de la fenêtre et tendit ses bras vers lui avec une expression désespérée au fond des yeux. Il allait échouer ! Elle n'osait pas le lui avouer, mais il allait échouer et Marie allait être témoin de leur mise à mort, à tous les deux. L'ombre menaçante du taureau grignotait sa propre ombre sur l'herbe. Dans un sursaut ultime, Nicolas se jeta à travers la fenêtre ouverte, heurta violemment Marie et ils basculèrent tous les trois dans la chambre. En une seconde, la jeune femme se redressa, poussa les battants pour les refermer mais les vitres explosèrent. Nicolas fit rouler la fillette sous le lit afin de la protéger des éclats de verre qui volaient à travers la pièce.

- Il va entrer ! hurla Nicolas en tirant sa femme vers lui. Marie récupéra Julie et ils commencèrent à tambouriner frénétiquement contre la porte de la chambre.

Le taureau tenta pour la seconde fois de sauter au-dessus du rebord. Des morceaux de crépi tombèrent dans la chambre. La porte s'ouvrit au moment où le monstre enragé défonçait l'encadrement de la fenêtre...


A SUIVRE... 


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