Week-end suite 50

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Johann progressait à petits pas, presque à l'aveugle, car la lumière diffuse des étoiles et du maigre croissant de lune était voilée par les ramures des arbres.

Nicolas suivait l'adolescent dont il devinait à peine la silhouette devant lui. Il tenait fermement la lampe de poche, éteinte pour le moment car il ne fallait pas prendre le risque d'attirer le taureau. Et en même temps, Nicolas ne devait pas oublier que le garçon dégingandé qui soupirait dans la nuit restait un agresseur potentiel aussi brutal qu'imprévisible. L'enseignant toucha le manche du couteau à travers la poche révolver de son blouson. Il n'hésiterait pas à s'en servir si Johann redevenait menaçant.

Tout à l'heure, quand il s'était retrouvé sur le sentier, devant la grille de La Forestière, il s'était retourné pour observer la maison dont les contours s'estompaient dans l'obscurité. Une émotion soudaine l'avait submergé car cette habitation aux pièces détruites, aux meubles pulvérisés, était tout à coup devenue le reflet de la déliquescence de son union avec Marie. Cette comparaison entre la fin de son mariage et les destructions occasionnées dans l'habitation lui avait sauté au visage comme une évidence cruelle. Derrière ces vitres brisées, ces portes défoncées, des êtres à qui il tenait profondément comptaient tous sur lui.

En s'enfonçant dans la forêt, sur le qui-vive, Nicolas espérait qu'il ne commettait pas une erreur fatale en accordant sa confiance - certes toute relative - à Johann. Malgré les pullovers et les manteaux, l'adolescent et l'homme grelottaient car l'air était hivernal. Une chouette frôla la cime des arbres en chuintant plaintivement et ils écoutèrent ses battements d'ailes qui traversaient la nuit. Ils cheminèrent ainsi pendant une quinzaine de minutes en pensant au taureau qui se dissimulait probablement quelque part dans les ténèbres. Nicolas se fit la promesse d'emmener son fils pêcher le week-end prochain et cette perspective lui permit de refouler l'angoisse qui commençait à l'envahir. Il y avait longtemps que le père et le fils avaient prévu de passer un après-midi ensemble mais Nicolas n'était pas parvenu à consacrer quelques heures à Sébastien en raison d'un emploi du temps chargé. Il connaissait un coin formidable du côté de Lyons-la-Forêt , près de l'abbaye de Mortemer. Il imaginait déjà son fils, planté au milieu du gué, les jambes écartées, le dos bien droit, les yeux rivés sur le flotteur, à l'extrémité de la ligne. Nicolas regrettait tant de n'avoir pas su profiter mieux des membres de sa famille. Aujourd'hui, il était peut-être trop tard.

Quelque chose bougea dans la forêt, sur leur droite. Ils s'immobilisèrent un instant, écoutèrent les branches craquer autour d'eux. Un animal semblait déambuler sous les arbres : un renard ou un blaireau, peut-être... Une fois le silence revenu, Nicolas et Johann reprirent leur course. Finalement, ils découvrirent l'automobile, un peu plus loin, encastrée dans un arbre. Le faisceau de la lampe permit rapidement d'établir un diagnostic : la 206 n'était plus qu'une épave et l'espoir de la faire redémarrer malgré tout fut rapidement abandonné.

- Il faut trouver le portable et le chargeur de mon épouse ... murmura Nicolas en faisant signe à Johann de chercher à l'intérieur du véhicule.

Il avait déjà éclairé les sièges et les tapis de sol en espérant apercevoir la carabine mais l'arme avait probablement été éjectée en même temps que Christophe. Tandis que Johann s'affairait dans la 206, Nicolas s'attela à fouiller chaque buisson, chaque broussaille aux alentours du véhicule accidenté mais rien... aucune trace de Christophe ni de l'arme à feu.

- Je l'ai, s'écria brusquement Johann en émergeant de l'automobile. Apparemment, il a encore du jus...

Nicolas éclaira l'adolescent et découvrit le téléphone mobile de Marie qu'il dressait comme un trophée au-dessus de lui.

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