Vendredi 24 Octobre, centre éducatif fermé (CEF) de Douleraines-le-Château, 8h49.
Le coup fut si violent qu'un éclair blanc passa devant ses yeux. Il vacilla, chercha à se rattraper au dossier de la chaise mais quelqu'un la retira et il tomba à la renverse sur le parquet. Quel con ! Pourquoi cognait-il si fort ? Les autres résidents faisaient un boucan de tous les diables et leurs hurlements finirent par alerter Liliane Grémont. Au moment où la petite femme s'engouffrait dans la salle d'étude, Mathias Viard et Lucille Bance séparaient les protagonistes de la bagarre.
- J'aurai ta peau, sale bâtard ! vociférait le plus petit, la bouche tordue par la fureur.
Christophe Delahaye, encore lui !
- Christophe ! hurla la directrice du centre tandis que le garçon se débattait farouchement.
Mathias Viard le maintenait d'une poigne de fer.
- Sale bâtard ! Sale pute !
- Allez-vous vous taire, jeune homme ! Je vous ordonne de vous calmer une bonne fois pour toute ou vous allez aggraver votre cas !
Liliane Grémont fit signe à quatre autres garçons d'aller se rasseoir puis se planta devant l'adolescent, les bras croisés sur sa poitrine. Les joues cramoisies, les mèches brunes collées sur le front, Christophe Delahaye fixait son adversaire d'un œil torve.
- Je vais le répéter pour la dernière fois, jeune homme ! Calmez-vous !
- Il m'a insulté, pleurnicha le garçon en cessant de se démener. Il m'a traité de fils de pute !
- C'est vrai ? demanda Lucille Bance en dévisageant le deuxième adolescent.
Longiligne, le front bombé, les yeux limpides dont l'éclat presque reptilien était renforcé par les cheveux blonds décolorés, Johann Colin avait tout du garçon taciturne et inquiétant ; un adolescent très perturbé qui avait été renvoyé de tous les collèges de l'Oise avant d'atterrir ici. Le dossier qui le précédait avait défavorablement impressionné le personnel du centre. Johann traînait derrière lui, tel un boulet, un lourd passé de délinquant. Il avait commencé par voler dans des boutiques puis racketté ses condisciples à la sortie des établissements scolaires. Il avait insulté, menacé et finalement frappé une enseignante. Il était passé ensuite au vol avec effraction puis au vol avec violence. Le dernier en date l'avait amené devant le juge pour enfant. La victime, un homme de soixante-dix-sept ans, avait été rouée de coups devant la porte de son domicile avant d'être délestée de ses économies. Johann avait échappé par miracle à un placement en centre de jeunes détenus, le juge ayant sans doute estimé que la vie familiale de cet adolescent, ponctuée de drames aussi traumatisants que répétitifs, avait pu favoriser de tels débordements.
En effet, le père du garçon s'était défenestré sous ses yeux alors qu'il était âgé de huit ans puis, quelques mois plus tard, le nouveau compagnon de sa mère avait été signalé aux services sociaux par la grand-mère maternelle. La vieille femme soupçonnait cet homme d'abuser régulièrement de ses petits-enfants, dont Johann. Faute de preuves et d'une accusatrice à la moralité irréprochable - la grand-mère étant imbibée d'alcool du matin au soir - les poursuites avaient été abandonnées et les enfants s'étaient rangés du côté de leur maman pour défendre l'honneur floué de l'accusé. L'adolescent avait d'ailleurs lui-même fait subir des attouchements à la plusjeune de ses sœurs.
- Eh bien, monsieur Colin, Lucille vient de vous poser une question et nous attendons une réponse ! dit Liliane Grémont en se tournant vers Johann.
- Je n'ai rien à vous dire... rien du tout.
- Comment ça « rien du tout » ? Je suis très étonnée de vous voir mêlé à cette bagarre, monsieur Colin. Christophe a, hélas, la réputation de chercher querelle à quiconque pour n'importe quel motif, ce qui n'était pas votre cas jusqu'à présent... Depuis votre installation chez nous, vous aviez accepté de respecter le règlement. J'appréciais beaucoup votre attitude. Mais aujourd'hui...
Johann ne répondit pas. Il afficha un large sourire ; un large sourire qui signifiait : « Je t'emmerde ! ».
Il paraissait inenvisageable que Liliane Grémont puisse laisser passer un tel affront sans réagir.
- Eh bien, puisque vous le prenez sur ce ton, suivez-moi tous les deux jusqu'à mon bureau. Nous allons régler cette affaire comme il se doit.
Mathias Viard redressa la chaise et jeta un regard perplexe en direction des deux adolescents. En général, ces deux-là s'entendaient plutôt bien. Il se demandait si les deux garçons n'avaient pas simulé la dispute pour sortir de l'étude et jouer les fanfarons chez la directrice. Le surveillant s'apprêtait à faire part de ses soupçons mais Liliane Grémont passa devant lui avec une moue tellement dégoûtée qu'il y renonça. La garce lui montrait qu'elle n'avait rien oublié de la conversation précédente ni de ses penchants lubriques. « Qu'elle aille se faire foutre ! » se dit Mathias tandis que la petite femme disparaissait dans le couloir, suivie des deux adolescents...
A SUIVRE...

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WEEK-END
Mistério / SuspenseA l'occasion d'un week-end dans leur maison secondaire de Giverny, Nicolas Derruau, son épouse Marie et leurs deux enfants sont victimes d'une agression menée par trois jeunes délinquants, fraîchement échappés d'un centre du nord de la France. Un vé...