Le jardin était vide de toute présence, humaine ou animale. Deux merles sautillaient au milieu du tapis de feuilles mordorées qui dessinait un cercle parfait sous l'abricotier dénudé. Christophe sortit avec précaution de l'habitation et fit le tour de la propriété, constatant que le taureau ne se trouvait plus à proximité. En longeant la façade arrière, il découvrit l'état de la chambre dans laquelle Nicolas et Marie avaient été enfermés : la fenêtre n'existait plus. Elle avait été remplacée par un large trou béant, aux bords déchiquetés, percés de briques saillantes. Christophe jeta un coup d'œil furtif dans la pièce et fut impressionné par le capharnaüm qui y régnait. Chaque objet, chaque meuble semblait avoir été réduit en miettes, y compris le lit massif, affaissé dans un coin sombre. Sans savoir pourquoi, l'image d'une baleine grise, échouée sur une plage, traversa le cerveau de Christophe. L'adolescent rejoignit le seuil et avertit ses compagnons que la voie était libre.
En avançant vers l'automobile, Kévin songea à leurs camarades, restés à l'institut, qui devaient comme d'habitude s'ennuyer dans leurs chambres ou traîner dans la bibliothèque. La fuite des trois jeunes avait été découverte, évidemment, mais les adultes du centre avaient-ils fait le lien avec ce qui s'était produit ensuite, à Beauvais ? Etaient-ils seulement au courant car après tout, la disparition avait eu lieu dans une autre région et à des kilomètres de la fondation ? Kévin regrettait d'avoir suivi ses deux compagnons car il avait su intuitivement que l'escapade tournerait mal ce que la suite des évènements avait hélas confirmé. Pourtant, il avait été un complice actif, du moins au début, puisqu'il avait lui-même participé à l'élaboration du plan pour leur permettre de se faufiler hors du centre. A présent, il s'en voulait. Il s'en voulait, comme toujours, quand il était trop tard et que les erreurs étaient commises. C'était le drame de sa courte existence. Il n'avait jamais été capable d'éviter le pire de se produire car, dès son plus jeune âge, il s'était souvent laissé entraîner dans des histoires sordides par des acolytes peu recommandables qu'il méprisait invariablement mais suivait quand même dans leurs pérégrinations criminelles.
Il avait ainsi participé à des trafics crapuleux avec deux ou trois partenaires, vendu à la sauvette des joints ou des vêtements griffés, volés dans les boutiques huppées du centre-ville, à plusieurs gamins de son âge et aux portes même du collège. Il avait fini par se demander si le manque d'amour de ses parents à son égard n'était pas en partie la cause de ses agissements illégaux ; un peu comme s'il avait cherché à attirer leur attention et à les faire réagir. Le Principal du collège avait fini par découvrir la vérité : Kévin et ses comparses avaient été convoqués devant un conseil de discipline et renvoyés définitivement de l'établissement. Ses parents étaient restés de marbre. Il n'y avait eu aucune crise de colère, aucune gifle administrée. Rien qu'un vague et énigmatique sourire sur le visage de sa mère et l'indifférence coupable de son père. Kévin avait eu l'impression d'être totalement transparent. Ce n'est que plus tard qu'il avait compris pourquoi cet homme et cette femme se comportaient ainsi avec lui...
Mais il était presque majeur, à présent. Il n'était plus un gamin inconscient. Il aurait dû empêcher tout ça ! Qu'est-ce qui allait se produire quand ils seraient rattrapés car Kévin savait que ce moment arriverait tôt ou tard ? Comment parviendrait-il à convaincre les enquêteurs, les juges, que ni Johann ni lui n'étaient responsables de ce... de ce drame horrible qui s'était déroulé dans un coin reculé de la forêt, près du village de Giverny ? Qui les croirait et d'ailleurs pourquoi les croirait-on puisqu'ils avaient ensuite dérobé le vélo à ce type, puis tiré sur le troupeau de vaches avant de persécuter une famille entière ?
Stupide... Stupide et coupable, pour toujours et parce qu'il avait tout fait pour l'être, comme s'il était conditionné par un destin tracé d'avance. Kévin n'avait plus aucun espoir de s'en sortir. Tout ce qu'il pouvait espérer à présent, c'était persuader les deux tarés qui marchaient devant lui qu'il était temps de se rendre. En fait, si tout avait dégénéré ainsi, c'était la faute de Christophe. Johann avait avoué à Kévin que c'est lui qui avait eu l'idée de cette escapade improvisée ; lui qui avait envisagé de voler la carabine ; lui enfin qui avait repéré l'automobile, garée dans une ruelle, à proximité d'un lycée de Beauvais... Sans rien laisser paraître de ses objectifs, Christophe parvenait en fait à exercer une sorte d'influence nocive sur les personnes comme Johann. Par des insinuations ou en distillant des idées, il donnait ainsi l'illusion à sa cible qu'il s'agissait au final de ses propres pensées, de ses propres idées. Christophe était un manipulateur compulsif et extrêmement dangereux, Kévin faisait les frais de cette constatation aujourd'hui. Ce gars-là était dingue... Un dingue total ! Même si Johann avait ses propres démons, Kévin se méfiait moins de lui que du comportement imprévisible et ultra-violent qui pouvait, en une minute, faire disjoncter Christophe . Celui-ci jouissait littéralement du malheur et de la souffrance des autres ; d'autant plus quand il était lui-même responsable de cette souffrance. Hier après-midi, Kévin l'avait vu se caresser l'entrejambe pendant que Johann tirait sur les vaches et il savait qu'il avait déjà agressé sexuellement deux ou trois gamins du centre. Des bruits circulaient sur son compte ; des rumeurs qui ne parvenaient jamais jusqu'aux oreilles des adultes de l'institut. S'il avait pu, Christophe aurait massacré les membres de cette famille, sans aucun scrupule ni aucun remord. Ce type était un psychopathe répugnant et Kévin ne comprenait toujours pas comment il avait pu se retrouver résident du centre alors qu'il aurait dû, selon lui, être enfermé dans un asile de fou...

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WEEK-END
Mistério / SuspenseA l'occasion d'un week-end dans leur maison secondaire de Giverny, Nicolas Derruau, son épouse Marie et leurs deux enfants sont victimes d'une agression menée par trois jeunes délinquants, fraîchement échappés d'un centre du nord de la France. Un vé...