Week-end suite 59

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- Fabien, je suis sincèrement désolée, répéta la jeune femme. Cette histoire ne te concerne pas et puis je m'inquiète sûrement pour rien.

- Justement... Nous allons vérifier que tout va bien chez ta tante et ensuite nous partons directement pour Etretat.

Axel et Romuald, assis sur la banquette arrière avec Justine, poussèrent des hurlements de joie.

- Je n'avais encore rien dit de notre destination, expliqua Clara tandis que Fabien jetait un œil dans le rétroviseur intérieur, intrigué par la réaction des deux garçons.

- Ah, je comprends... tu voulais leur faire la surprise. Je suis navré, j'ai tout gâché !

- Ce n'est pas grave... Je crois que Justine n'aurait pas pu encore très longtemps résister à leur interrogatoire forcené....

- On y va, alors ? C'est sûr ? demanda Romuald faisant apparaître sa frimousse entre les deux sièges avant.

- Je n'en sais rien, mon chéri... Tout va dépendre de ce que nous allons trouver chez Tati Bérengère, d'accord ? J'espère qu'il ne lui est rien arrivé de grave.

- Ne t'en fais pas pour l'instant, répondit le conducteur. Je suis prêt à parier que ta tante se porte bien et que nous allons comprendre très vite pourquoi ni elle ni son ami ne répondent au téléphone. Il y a peut-être un problème avec sa ligne téléphonique et son compagnon est chez elle pour essayer de voir ce qui ne va pas ? Voilà la raison pour laquelle tu ne parviens pas à le joindre, lui aussi.

Fabien Gayraud engagea la Citroën DS 5 que lui avait prêtée sa sœur – la mère de Justine - sur le pont Clémenceau. Celui-ci lui avait pris l'apparence d'une longue barque grise qui semblait flotter au-dessus d'une mer de nuages. Quelques promeneurs matinaux bravaient le froid pour gagner le centre-ville de Vernon en longeant les rambardes. Certains se penchaient pour tenter d'apercevoir la Seine qui avait disparu sous la couverture de brouillard.

Ils parcoururent les cinq kilomètres qui séparaient Vernon de Giverny en une dizaine de minutes et Fabien gara son véhicule devant la haie d'Edmond Dufour.

- Tu veux que je vienne avec toi ?

- Je préfère y aller seule, pour le moment. Je te confie les enfants ?

- Pas de problème, nous t'attendons.

La cour était déserte. En s'approchant, la jeune femme remarqua le vélomoteur, à la même place qu'hier, toujours adossé contre la façade de la petite maison, près du chèvrefeuille. On ne l'avait pas bougé d'un iota. Elle poussa le portillon et pénétra dans la propriété.

- Ah, Clara... te voilà ! fit une voix derrière elle.

Edmond se tenait sur le trottoir, visiblement en proie à l'inquiétude.

- Bonjour Edmond. Je possède un double des clés de la maison, expliqua la jeune femme, la gorge sèche. Viens avec moi, nous allons entrer à l'intérieur...

Vide. L'habitation était totalement vide de toute présence humaine. Dans la chambre de Bérengère, le lit n'était pas défait. La vieille dame ne semblait pas avoir dormi ici.

- C'est incompréhensible, murmura Clara, totalement désorientée par la disparition de sa tante.

Edmond se planta devant elle :

- Je ne vois qu'une seule explication possible, ma jolie. Ils ne sont jamais revenus de là-haut... Ni Bérengère ni Pierre ne sont revenus de chez les Derruau !

- Depuis hier matin ?

Elle frissonna en se demandant ce qui avait bien pu se dérouler dans les collines car si Edmond ne se trompait pas, cela signifiait que le couple n'avait plus donné signe de vie depuis plus de vingt heures. Devant elle, la chemise de nuit de sa tante était soigneusement pliée et trônait au milieu de l'édredon, rendant l'absence de sa propriétaire encore plus criante. Le silence emplissait chaque pièce, renforçant la crainte d'Edmond et de Clara.

- Je sais où habitent les Derruau, dit la jeune femme. Plus jeune, j'accompagnais souvent Bérengère jusqu'à La Forestière. Je vais y aller et vérifier que tout va bien... Après tout, ils ont peut-être été invités par les rouennais à passer la nuit là-bas.

Mais elle ne croyait pas vraiment à ce qu'elle disait. Elle désirait simplement rassurer Edmond. Le pauvre vieux venait de s'asseoir sur le banc que Bérengère – avec l'autorisation de la municipalité – avait récupéré dans l'ancienne école communale, l'été précédent. L'image de sa vieille amie en train de cirer le banc tout en chantonnant lui traversa l'esprit. Il priait sincèrement pour que celle-ci soit de nouveau très bientôt auprès de lui.

- Edmond...

Clara se pencha sur lui, serra ses grandes mains noueuses entre les siennes.

- Edmond, je suis venue accompagnée d'un ami, de la nièce de celui-ci et de mes fils... Est-ce que tu peux surveiller les petits pendant que Fabien et moi irons faire un tour chez les Derruau ?

Il acquiesça d'un hochement de la tête puis ajouta :

- Et si vous ne la trouvez pas ? Et si les Derruau ne sont au courant de rien ?

Clara prit une profonde inspiration avant de répondre qu'il faudrait, dans ce cas, prévenir la gendarmerie.



Elle suivit Nicolas des yeux jusqu'à ce que sa silhouette se mélange au manteau vaporeux du brouillard, particulièrement dense à proximité de la maison. La gorge nouée, elle leva machinalement la main, fit un signe à travers la vitre, imaginant qu'il s'était probablement retourné une dernière fois, pour lui dire au revoir. Voilà, les dés étaient jetés... A présent, elle était seule, complètement seule, avec pour compagnon, un garçon dangereux qui dormait sur un canapé. En effet, pour le moment, Kévin ne s'était même pas rendu compte de sa présence. Il avait presque entièrement disparu, enfoui sous une épaisse couverture et l'unique partie de son anatomie que Marie apercevait était le sommet de son crâne que coiffaient quelques mèches de cheveux collées par la transpiration. Malgré l'état préoccupant dans lequel se trouvait le jeune homme, Marie savait qu'elle devait néanmoins rester vigilante. Elle tint plus serré le tisonnier, vérifia que le couteau se trouvait bien dans la poche intérieure de son gilet. Elle tremblait de froid mais aussi probablement de peur et ses dents s'entrechoquaient. La jeune femme peinait à contrôler les mouvements de sa mâchoire.

« Reprends-toi, ma vieille, se dit-elle en écoutant le silence qui l'enveloppait. Je vais d'abord me rendre dans la salle de bains pour refaire mon pansement. Ensuite, je vais vérifier que toutes les entrées sont bien bouchées puis je vais m'asseoir ici, dans ce fauteuil. Je vais surélever ma jambe pour qu'elle se repose... » .

Organiser les minutes, peut-être les heures qui s'annonçaient, c'était un peu comme maîtriser un minimum les événements et espérer que tout se déroulerait sans plus de mauvaises surprises ni de drames. Elle avait eu sa dose d'émotions pour au moins une centaine d'années.

Elle clopina tant bien que mal jusqu'au couloir et s'immobilisa un court instant en passant devant le divan. Elle se demanda si Kévin n'avait pas sombré dans le coma. Elle venait de quitter la pièce quand le blessé ouvrit les yeux avant de se redresser, sans un bruit...

A SUIVRE...


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