Week-end suite 36

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Saint-Marcel, 15h10.


La piscine avait été littéralement prise d'assaut dès le début de l'après-midi. Une horde d'enfants et d'adolescents s'ébattaient joyeusement dans le bassin. Clara avait interdit aux garçons de trop s'éloigner du bord. Même s'ils étaient de très bons nageurs tous les deux, leur maman craignait toujours de les voir paniquer et disparaître sous l'eau. Elle avait échappé elle-même de peu à la noyade, à l'âge de huit ans et n'avait pas oublié l'affreuse sensation d'étouffement quand l'eau au goût écœurant de chlore avait envahi son estomac. Sans la présence d'esprit d'un camarade qui lui avait lancé une bouée, elle aurait certainement perdu connaissance et probablement la vie.

La population entière de Saint-Marcel et celle de la ville de Vernon semblaient s'être précipitées de concert à la piscine afin de profiter des températures clémentes de cette fin de mois d'octobre. Clara peinait à suivre les déambulations de ses deux fils au milieu des autres baigneurs. Trois maîtres-nageurs musclés et bronzés surveillaient la foule d'un air placide. La jeune femme passa une bonne partie de l'après-midi à feuilleter des magazines et à s'enduire régulièrement le corps de crème solaire. De temps en temps, Axel et Romuald rejoignaient leur mère pour bavarder quelques minutes avant de replonger bruyamment dans l'eau.

Vers seize heures, la piscine commença à se vider peu à peu de ses baigneurs, permettant à Clara de récupérer un peu d'espace pour s'allonger plus à son aise sur sa serviette de bains. Les lunettes de soleil sur le nez, la jeune femme admira longtemps la profondeur océane du ciel. On aurait pu se croire au cœur de l'été. Oublié le froid piquant de ces derniers jours !

Au bout d'un moment, la luminosité du ciel s'estompa, le bleu céleste se voila de gris et un courant d'air frais, d'abord diffus, finit par rappeler à la jeune femme que l'été était bel et bien terminé. Clara sentit des boutons de chair de poule couvrir ses bras et ses cuisses. Elle décida de se rhabiller. Demain rapporterait certainement son lot de nuages gris et ses températures glaciales. Pour l'instant, la jeune femme s'en moquait. Elle continuait à se laisser bercer par les ronronnements des conversations autour d'elle.

Pour la première fois depuis des semaines, son état d'esprit était au beau fixe, comme le temps miraculeux d'aujourd'hui. Elle était apaisée même si elle ne se sentait pas encore totalement sereine. Son divorce avait été acté début septembre et elle avait le sentiment de tourner enfin définitivement une page de sa vie. Bien sûr, elle savait que pour les enfants, elle devrait maintenir les liens avec Vincent. Jusqu'à présent, ils avaient plutôt bien géré la situation. A aucun moment, Clara et son mari n'avaient essayé de prendre les enfants et leurs sentiments en otage pour les faire basculer dans l'un ou l'autre camp. Axel et Romuald aimaient autant leur mère que leur père et il fallait coûte que coûte préserver cet état de fait. Parfois, elle se réveillait au milieu de la nuit et se demandait si, un jour, elle serait de nouveau heureuse car elle appartenait à cette catégorie de femmes pour qui l'existence sans la présence d'un homme à leurs côtés était un non-sens. La séparation puis le divorce avaient brisé ses rêves d'adolescence ; ceux qui lui promettaient que Vincent serait l'unique compagnon de son existence et le père attentif de ses enfants. Il lui avait fallu du temps pour accepter l'échec de sa vie conjugale. Les sentiments n'avaient pas résisté aux aléas de la vie quotidienne : les galères professionnelles de Vincent qui passait de CDD en CDD et peinait à faire vivre décemment sa famille, son penchant pour l'alcool, ses sautes d'humeur imprévisibles et perturbantes, son indécision permanente qui l'empêchait souvent d'agir et de faire des choix. « A quoi bon, répétait-il souvent. De toute façon, je n'y arriverai pas... » Clara avait d'ailleurs fini par emprunter le titre d'une chanson de Serge Gainsbourg pour l'affubler du surnom d'aquoiboniste . Au final, le château de conte de fées censé protéger leur amour n'avait eu pour apparence qu'une froide et terne tour H.L.M, en bordure de la voie ferrée. Ils avaient bien tenté de se soutenir mutuellement, de se stimuler mais la désunion s'était progressivement installée. En effet, Vincent se montrait trop souvent résigné face aux difficultés voire défaitiste alors que Clara, au contraire, faisait preuve de combativité. Les derniers temps, ils se querellaient sans arrêt pour tout et n'importe quoi. La jeune femme venait de perdre son dernier emploi mais restait optimiste, pour les enfants. Elle s'en sortirait ; elle y croyait avec obstination même s'il lui faudrait se lever à cinq heures du matin, prendre un train dans le froid et la pluie pour aller remplir des boites en carton, sur une chaine de montage à quarante kilomètres de chez elle. Elle savait qu'elle pourrait compter sur Bérengère, si la situation l'exigeait, afin de s'occuper des garçons le soir après l'école. Sa tante était une femme exceptionnelle qui avait su transmettre à Clara son courage et de réelles capacités d'endurance pour affronter les épreuves de l'existence. Pour la jeune femme, Bérengère était comme une seconde mère...

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