Week-end suite 28

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Vendredi 24 Octobre, centre éducatif fermé (CEF) de Douleraines-le-Château, 11h15.



En atteignant la sortie, l'air glacé mordit leurs oreilles et ils furent tous les trois éblouis par la lueur vive du ciel. A l'intérieur de l'institut, une lumière verdâtre baignait chaque pièce. Kévin tourna la tête pour protéger ses yeux et Johann se méprit sur la signification de ce mouvement.

- C'est pas la peine de regarder en arrière... On a décidé qu'on se barrait d'ici pour le week-end, alors on fait ce qu'on a dit !

- Tu t'imagines pas que je compte renoncer maintenant ? répondit Kévin, vexé par la réflexion de ce petit con, pétri d'arrogance. J'ai pas joué les malades pour rien... Allez, on y va !

Ils longèrent la bâtisse, traversèrent facilement la haie clairsemée qui délimitait la propriété et se retrouvèrent dans le champ d'herbes hautes qu'ils avaient souvent regardé des fenêtres de la bibliothèque. C'était en admirant ce paysage bucolique que l'idée d'une escapade improvisée leur était venue ; à Johann et à lui. Les trois garçons s'accroupirent quand un autobus passa sur la route départementale, puis, sans parler, ils marchèrent en file indienne jusqu'à la mairie. Adossés contre le crépi de l'ancienne école des filles, ils reprirent leur souffle, les joues en feu et le regard brillant.

- On l'a eue... On l'a eue la salope ! ricana Christophe qui serrait étroitement les pans de son manteau noir contre son maigre torse.

- Tu peux le dire, oh oui ! renchérit Johann. Elle a rien compris à ce qui lui arrivait, la vieille. Par contre, t'aurais pas dû la gifler avant de sortir...

- Quoi ? T'as pas fait ça, c'est pas vrai...

Christophe haussa les épaules et cracha un mollard épais devant les chaussures de Kévin avant de répondre :

- Qu'est-ce que ça peut te foutre ? C'est moi que ça regarde et puis, il ne s'agissait que d'une petite tape ; histoire qu'elle se souvienne de moi, quoi !

Kévin fit un pas vers Christophe, prêt à bondir sur lui pour écraser sa jolie frimousse d'angelot mais Johann l'en empêcha en le retenant par le bras.

- Pas d'embrouille, merde ! Elle a eu ce qu'elle méritait, après tout. Depuis le temps qu'elle nous emmerde... Et puis attends, Kévin, y a un bonus ! On va bien se marrer... Christophe, vas-y, montre-lui !

L'adolescent ouvrit son manteau, révélant le fusil semi-automatique.

- Putain, vous êtes dingues ! A qui avez-vous piqué cette arme ? C'est pas ce qu'on avait prévu ! Je veux pas être mêlé à un vol. J'ai donné avec les conneries, c'est bon !

Le canon de la carabine rutilait comme un bijou poli.

- Calme-toi, gloussa Christophe en refermant son manteau. Je l'ai pas volée, je l'ai empruntée, nuance ! Tu connais Viard, le surveillant qu'est arrivé depuis deux ou trois mois, au centre... Eh bien, un soir, alors que tout le monde croyait que j'avais fichu le camp, je l'ai suivi jusqu'à sa chambre... Par le trou de la serrure, je l'ai vu se pencher et extraire la carabine de sous une armoire. C'est dingue, hein ? Si tu l'avais vu et entendu : il lui parlait comme si elle était vivante, ce taré. Et que je te la caresse, et encore... J'suis sûr qu'il bandait, cet enfoiré ! Il a pas le droit d'avoir un tel objet surtout dans un centre pour jeunes délinquants. Il dira rien, ce con !

Des tarés, tous autant qu'ils étaient. Et lui compris... En fixant Christophe qui s'agitait devant lui, Kévin eut l'intuition fulgurante qu'un désastre s'approchait et que cette foutue carabine en serait probablement la cause. Il se méfiait d'elle et en même temps, il comprenait presque l'excitation joyeuse de son camarade car tirer avec cette arme devait procurer d'étonnantes sensations...

- Je veux pas d'histoires avec la Grémont, murmura Kévin en tendant la main vers la crosse.

- T'en auras pas, fais-moi confiance, promit Johann qui sentait les dernières résistances de son ami vaciller et céder les unes après les autres. On va passer le week-end dehors, loin de cette ville de merde et de son institut...  

Kévin jeta un regard en direction de Christophe qui refermait à nouveau les pans de son manteau sur la carabine. Il ne l'aimait pas. Ce gars-là était dangereux. Il ne se rappelait même plus à quel moment celui-ci avait pu se retrouver associé à leur projet d'évasion, dût-il durer le temps d'un week-end.

Plusieurs automobiles arrivaient face à eux. Les trois garçons s'installèrent dans un abribus puis, quand la voie fut libre, prirent la direction de la gare...



A SUIVRE...


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