Kate longeait la forêt depuis un bon moment. Elle n'avait croisé personne depuis la sortie du village. L'étudiante fit une courte halte et en profita pour admirer le paysage. Au loin, derrière le ruban sinueux du sentier, on apercevait les toits sombres de quelques maisons. Une grosse bâtisse rustique ouvrait ses larges fenêtres sur la rue principale. A l'une d'entre elles, un drapeau tricolore flottait au vent. Kate en déduisit qu'il s'agissait probablement de la mairie. De l'endroit où elle se tenait, le village semblait être enfoui sous les arbres et comme enfoncé entre les collines. Plus loin encore, la jeune fille reconnut le musée des impressionnismes avec son architecture particulière et ses toits plats recouverts de gazon. Quelques touristes commençaient à se masser devant l'ouverture. Kate tourna légèrement la tête sur sa gauche. Sur la rive opposée de la Seine, d'autres collines dessinaient des dômes sombres qui contrastaient avec le bleu éclatant du ciel d'octobre. Elle reprit sa route, eut une pensée fugace pour ses parents à qui elle avait menti afin d'expliquer son départ matinal. Elle était parvenue à les convaincre assez facilement d'ailleurs - ce qui l'avait étonné elle-même - qu'elle allait réviser des cours, dans la perspective de futurs partiels, chez une camarade de fac à Yvetot et qu'elle rentrerait probablement tard. Les pauvres avaient une confiance aveugle envers leur progéniture si gentille, si aimante, si brillante que cela en devenait pathétique. Bien que refusant objectivement de l'admettre, Kate les méprisait profondément.
Le chemin de terre se séparait en deux voies distinctes. La première se perdait dans la forêt tandis que la seconde la contournait pour s'en éloigner progressivement et mener à travers champs. Une pancarte vermoulue indiquait clairement la direction et Kate s'engagea résolument dans la forêt. C'est à ce moment-là qu'un claquement sec retentit. La jeune fille sursauta. Des oiseaux, affolés par le coup de feu, s'égarèrent dans le ciel en piaillant. Un chasseur devait se trouver dans les parages.
- Eh, faites attention car il y a des gens qui se promènent, cria Kate afin de signaler sa présence proche.
Elle patienta plusieurs minutes mais le silence avait déjà réinvesti le sous-bois. Les gazouillis des oiseaux reprirent. La jeune fille s'engagea sous les arbres dénudés...
La chienne poussa un hurlement déchirant quand la balle lui arracha l'oreille droite. Elle ressentit la douleur quelques secondes plus tard, envahie par la terreur. La pauvre bête restait pétrifiée sur place, roulant autour d'elle de gros yeux exorbités, comme pour tenter de déterminer l'origine de cette souffrance soudaine. Un liquide chaud, gluant, coulait sur sa joue et le long de ses pattes avant. Le Beagle reniflait l'odeur aigre de son propre sang.
- Arrêtez, espèces de fous ! hurla Nicolas.
Marie et les enfants étaient en pleurs. Spontanément, la jeune femme avait obligé Sébastien et Julie à se détourner de la fenêtre pour leur éviter d'assister à la mise à mort de l'infortunée Scarlett.
- T'es nul ! ricana Johann. Tu l'as loupée !
- Elle a bougé cette saloperie, répliqua le tireur avec une froideur épouvantable. Je sais parfaitement tirer. A la ferme, quand je vivais encore avec ma mère, c'est moi qui tuais les rats en utilisant le flingue de mon père.
Il visa une nouvelle fois. Marie resserra son étreinte sur Julie. La fillette se débattait, poussait des cris rauques, désespérés, car elle avait compris que Scarlett allait mourir sans qu'on ne puisse rien faire pour la sauver. Le spectacle de la fillette, le visage déformé par la terreur, était tellement insupportable que Nicolas réagit instinctivement. Il se jeta sur Kévin, le poussa violemment avant que le garçon ne puisse utiliser son couteau contre lui. Déséquilibré, le délinquant tomba à la renverse, heurtant Christophe dans le dos tandis que le téléphone mobile de Sébastien, tombé d'une de ses poches, se fracassait en plusieurs morceaux sur le carrelage. L'adolescent tira au hasard, bien au-dessus des arbres, avant de lâcher l'arme automatique qui chuta au milieu du salon. Scarlett réagit enfin et disparut dans les taillis. Marie et Sébastien se jetèrent dans la mêlée pour tenter de récupérer l'Opinel et la carabine. Johann administra un coup de pied dans le ventre de Sébastien qui se tordit de douleur. Kévin, telle une anguille, s'échappa avec vélocité des bras de Nicolas, se rua sur Marie qu'il saisit par les cheveux. Il tira violemment la tête de la jeune femme en arrière, dégageant ainsi sa gorge. Marie sentit le contact glacé de la lame du couteau contre la peau fine de son cou. Une goutte de sang jaillit à l'extrémité de la lame tandis que la voix caverneuse de Kévin ordonnait à Nicolas de ne plus bouger s'il ne voulait pas voir sa femme mourir dans la seconde. Dépité, Nicolas retira sa main de la crosse de la carabine, donnant ainsi l'opportunité à Johann de s'en saisir. Christophe pleurnichait parce qu'il s'était cogné la tête contre un meuble et surtout parce qu'il était vexé de n'avoir pas pu tuer le Beagle. Marie était anéantie par l'émotion, vidée de tout espoir. Si Kévin ne l'avait pas maintenue aussi fermement, elle se serait écroulée comme une chiffe molle.
- Le clébard s'est barré, merde alors ! gronda Christophe en serrant les poings. C'est de votre faute, professeur de mes couilles !
Nicolas qui s'était retrouvé à genoux n'eut pas le temps de se relever. L'adolescent s'acharna sur lui à coups de pieds et de poings. L'enseignant adopta la position du fœtus pour essayer de se protéger le mieux possible. Julie avait recouvert son visage de ses deux mains pour ne plus être témoin du déchaînement de violence. Sébastien venait de vomir près du canapé. Son ventre le faisait horriblement souffrir.
- Stop ! hurla Kévin. C'est bon Christophe, il a compris...
Le garçon frappa encore, chercha à écraser la main de Nicolas, puis se calma brusquement comme s'il s'était défoulé tout son saoul.
- En plus, il m'a fait mal, ce con ! Ces os sont durs comme de la pierre !
Il se pencha sur Nicolas, releva son visage ensanglanté et dit en le fixant dans les yeux :
- Tu sais comment on va te punir, mon pote ? On va se faire ta femme, tu entends... J' pense qu'à ça depuis hier soir. Ce sera ton châtiment. Hein, Johann, on se la fait, dis ?
Sa paupière gauche avait littéralement éclaté et il ne voyait plus rien car un flot de sang jaillissait de la blessure. Nicolas s'essuya les yeux d'un revers de la main et tendit un bras en direction de Marie.
- Si... si vous la touchez, je... je vous massacre, tous... les uns après les autres.
Un ultime coup de pied l'envoya rouler au pied de son épouse, tétanisée. Julie écarta ses doigts, observa ses parents. Ils étaient méconnaissables, comme vieillis d'un seul coup et il y avait tant de sang ; tant de sang autour d'elle, sur les visages et les vêtements de papa et de maman. Du haut de ses cinq ans, la fillette eut la perception imminente du danger, de la violence et de la mort.
A SUIVRE...

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WEEK-END
Mystère / ThrillerA l'occasion d'un week-end dans leur maison secondaire de Giverny, Nicolas Derruau, son épouse Marie et leurs deux enfants sont victimes d'une agression menée par trois jeunes délinquants, fraîchement échappés d'un centre du nord de la France. Un vé...