Week-end suite 24

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Vendredi 24 Octobre, centre éducatif fermé (CEF) de Douleraines-le-Château, 9h25.


Amina Dhanaoui transmit le message à l'intention du neuropsychologue puis déconnecta sa boite email pour éviter d'être dérangée pendant l'heure suivante. Un nouveau résident devait intégrer le centre dans trois jours et il lui fallait prendre connaissance du contenu de son dossier médical. Assez rapidement, son esprit divagua et elle pensa à Grégory. Comme l'attente lui semblait interminable ! Elle avait rencontré le jeune psychiatre, à l'occasion d'un colloque à Anvers, trois mois auparavant. Le coup de foudre avait été immédiat entre ce jeune homme anguleux et la séduisante métisse. Grégory avait totalement bouleversé le cours de son existence et la jeune femme souffrait presque physiquement lorsqu'il s'absentait pour raisons professionnelles. Quinze jours seulement après avoir fait l'amour pour la première fois, ils avaient décidé de vivre ensemble. Grégory était donc venu rejoindre sa fiancée dans la Somme où ils partageaient un adorable F2. Bref, Amina était follement éprise de cet homme intelligent, raffiné, doté d'une troublante sensualité. Depuis qu'ils vivaient ensemble, les journées passées au centre lui semblaient plus supportables. L'atmosphère pouvait avoir ici quelque chose de pesant d'autant plus qu'il fallait souvent affronter les crises d'agressivité ou d'angoisse des résidents... quand il ne s'agissait pas de soigner les mutilations que les plus perturbés d'entre eux s'infligeaient parfois.

Amina était salariée de l'institut depuis une dizaine d'années mais, le temps passant, constatait que son métier l'oppressait de plus en plus. Il y avait une douzaine de pensionnaires dont il fallait s'occuper et qu'elle recevait régulièrement dans son bureau. Quelques jours auparavant, Christophe Delahaye avait prétexté un début de grippe pour lui rendre visite. Pendant qu'elle cherchait une boite de médicaments dans l'armoire, l'adolescent s'était jeté sur elle, avait tenté de lui arracher sa blouse et de soulever sa jupe. Elle avait eu toutes les peines du monde à repousser son agresseur et avait fini par lui griffer le visage pour le forcer à la lâcher. Ses cris avaient alerté un éducateur qui traversait le couloir. Celui-ci était parvenu, non sans mal, à maîtriser le garçon. Profondément choquée par ce qu'elle venait de vivre, la jeune femme avait voulu porter plainte mais madame Grémont était parvenue à l'en dissuader. Pourtant, l'ensemble du personnel considérait que Christophe Delahaye était dangereux et qu'il n'avait pas sa place en ces lieux. Amina était persuadée que l'adolescent était perdu pour la société, sans doute inapte à vivre en communauté car il était pervers et probablement sociopathe. C'est ce que la jeune femme avait écrit dans son rapport et c'est aussi ce qu'elle avait expliqué à Liliane Grémont mais, comme souvent, celle-ci n'avait pas tenu compte de son analyse. Selon elle, Christophe méritait une autre chance... encore une. Depuis l'agression, Amina envisageait de donner une autre direction à sa carrière. Elle ne se voyait pas continuer ainsi à travailler dans un tel climat de tension pendant encore de nombreuses années. D'ailleurs, Grégory et elle prévoyaient de partir vivre en Belgique où vivaient les parents du jeune homme. Elle avait commencé à consulter vaguement quelques annonces professionnelles dans la perspective de proposer prochainement ses services à différents hôpitaux et autres cabinets spécialisés. L'infirmière délaissa le dossier médical, récupéra une revue scientifique sous une pile de dossiers, et relut un article passionnant consacré aux enfants psychopathes. L'auteur de l'article - un psychopathologue de renommée mondiale - expliquait que le mal de vivre était si fort chez certains adolescents qu'ils finissaient par s'automutiler ou - dans les cas les plus graves - occasionner des blessures à d'autres individus, choisissant de préférence des victimes vulnérables, c'est-à-dire des êtres fragiles physiquement et psychologiquement. Parfois, l'agression aboutissait à un crime sordide, sauvage ; le fait de tuer devenant ainsi une sorte d'exutoire similaire à un acte thérapeutique indispensable puisqu'il permettait à son auteur de pouvoir continuer à vivre lui-même. Tuer pour survivre soi-même comme si on ingérait un médicament capable d'apaiser vos souffrances. C'était effrayant quand on y songeait sérieusement. Amina avait la conviction que Christophe Delahaye appartenait à cette catégorie d'individus. Il présentait de nombreux troubles du comportement qui pouvaient indiquer un dysfonctionnement de ce type. La liste des méfaits et autres cruautés qu'il avait commis au cours de ses douze années de vie en témoignait : incendies volontaires, tortures et mises à morts d'animaux, attentats à la pudeur, agressions à caractère sexuel...

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